1294. Une année au pied du clocher.

Mémoires d’acolytes d’entre les deux guerres (fin). Joseph Filée ()

Le vendredi après avoir fait de nouveau le tour du village avec les crécelles, nous nous rendons à l’église où l’on chante les psaumes et les lamentations de Jérémie. Ensuite, après une nouvelle lecture de la passion, nous avons les oraisons avec des génuflexions qui donnent ceci : Monsieur le Curé : « Oremus … Flectamus genua« . L’organiste, après la génuflexion :« Levate« . Ceci est, je crois, répété 7 fois, (toujours un nombre symbolique déjà connu en Mésopotamie, bien avant le Christ et venant de l’observation du ciel avec ses 5 grandes planètes plus la lune et le soleil). Vient ensuite l’adoration de la croix, et la cérémonie se termine par la distribution des hosties qui ont été conservées dans le petit tabernacle de l’autel de la Vierge.

Et voici Pâques, la fête des oeufs que les cloches rentrées de leur voyage à Rome nous ont jetés dans le jardin : des oeufs durs colorés (en brun dans l’eau où trempe de la chicorée, en rouge si on a utilisé des pelures d’oignons, en vert …. là, j’ai oublié), bref comme vous voyez, rien que des colorants naturels. Les enfants peuvent aussi trouver des gros oeufs en carton contenant des « chiques ».

Chacun alors s’en retourne à ses travaux de jardinage car le printemps est là et la grande journée de la communion solennelle arrive à grands pas. Chez nous c’est le premier dimanche de mai. Les trois jours de retraite ….à la sacristie et la visite dans les grands magasins pour le choix de la robe ou du costume lequel durait une éternité. Pour les filles, la longue robe blanche est indispensable avec le voile et l’aumônière alors que pour les garçons il s’agit souvent du costume d’officier de marine avec le long pantalon, leur premier, et le brassard blanc. Et que dire des cadeaux souvent les mêmes : des bénitiers de chambre, des statuettes et le gros missel. En remerciement nous distribuons nos « souvenirs de communion », images pieuses joliment illustrées au dos desquelles nous écrivons : »Souvenir de la communion solennelle de ….faite en l’église ….ce ……« .

Jeannine PIRON – Neuville le 1/5/1938

A la grand-messe de profession de foi, deux par deux nous nous agenouillons devant Monsieur le Curé et la main posée sur le gros évangile nous promettons de « renoncer à Satan, à ses pompes et à ses oeuvres et de nous attacher à Jésus pour toujours ».

La journée se prolonge par le dîner, un long repas qui réunit les vieux grands-parents, les parrain et marraine, oncles et tantes, cousins et cousines. Ceci pouvait faire une assemblée de 25 personnes. En milieu d’après-midi, entre le poisson et le plat de viande, le communiant et ses parents doivent se rendre à l’église pour assister aux vêpres. Ceci permet un moment de digestion pour les grands qui se promènent au jardin et une petite sieste pour les grands-parents. Le lendemain, un lundi bien entendu, les communiants ont congé pour se rendre après la messe de 8 heures en excursion à … Chèvremont.

Pendant le mois de mai, nous participons au salut de huit heures, une occasion pour nous les garçons de taquiner les filles (qui ne demandent pas mieux) pendant quelques moments autour du monument dans l’ombre complice de l’église.

Durant ce mois de mai également, nous étions « confirmés ». Pour cette journée, nous nous déplaçons vers l’église du doyenné, en l’occurrence celle de Nandrin qui est très grande et qui peut accueillir ainsi beaucoup de monde. Nous étions en effet des dizaines, venus de toutes les paroisses du Condroz, âgés de 11, 12 ou 13 ans car Monseigneur l’Evèque ne se déplace pas dans chaque paroisse ni chaque année. Nous étions accompagnés de nos parents bien entendu mais aussi d’un parrain et d’une marraine, notables du village qui avaient les moyens de nous payer une tasse de café et un morceau de tarte offerts après la cérémonie. C’était aussi parfois, hélas, l’occasion de fumer notre première cigarette puisque nous étions sortis de l’enfance. En effet, Monseigneur l’Evêque nous avait donné un soufflet pas bien méchant sur la joue pour nous adouber tout comme le seigneur du moyen âge qui recevait ainsi son chevalier en lui frappant l’épaule du plat de son épée. Et en souvenir nous recevions une image avec le portrait de Monseigneur.

Souvenir de communion de 1882

Ceci nous amène tout en douceur à l’été sans oublier le passage obligé par la semaine des Rogations du latin « rogare = demander« . Dans le missel vespéral romain édité par l’Abbaye de St-André en 1923 on lit : »A la suite de calamités publiques qui s’abattirent au Ve siècle sur le diocèse de Vienne en France, st Mamert établit une procession solennelle de pénitence qui précédait la fête de l’Ascension.« . Pendant cette procession, on récite la litanie des saints. Entre nous, c’est une fameuse litanie : ainsi on répète 61 fois « Ora pro nobis » et pourtant certains saints ont été regroupés comme Côme et Damien ou encore, Gervais et Protais (tiens, en voilà que je ne connais pas). Suit une série d’invocations (j’en ai compté 38, telles : « a subitanea et improvisa morte« , en français « de la mort subite et imprévue« , l’une ne va pas sans l’autre, je crois, ou encore « a peste, fame et bello » traduction : »de la peste, de la famine et de la guerre« ) terminées chacune par « Liberamus Domine« , le tout accompagné de psaumes et de prières. Evidemment pour durer toute la procession il faut bien ça. Nous parcourons toutes les rues du village mais aussi les chemins de campagne et des prairies d’où les vaches enfin sorties de leur étable nous regardent passer d’un oeil bovin. Les plus jeunes bêtes nous accompagnent et certaines se mettent à « biser » quand on entonne un cantique. Aucun fermier n’aurait manqué cette procession qui assurait de bonnes récoltes pour l’année.

Et nous arrivons petit à petit à l’Ascension que nous apprécions beaucoup puisque c’est un jour férié légal et donc jour de congé, suivi 10 jours plus tard par la Pentecôte elle-même précédée de sa période de 4 temps. Et c’est enfin l’été, avec les vacances, les fêtes de villages et les processions.

Chez nous, c’est le 15 août. Je ne vous parlerai pas de la « fête », « so l’fiesse » comme on dit, c’est à dire l’endroit où se situent les baraques foraines et les carrousels car tel n’est pas mon propos. Je vais vous parler de la procession. Celle-ci se prépare plusieurs jours d’avance par le grand nettoyage de l’église, la fabrication de roses en papier et la coupe des « mais », ces baliveaux, jeunes arbres provenant de la coupe des taillis. La veille ou même le dimanche matin, les hommes plantent les « mais » pendant que les femmes accrochent les roses et ornent les fenêtres de leur maison, de chandeliers, de statues de saints ou de crucifix qui trônent un peu partout dans les maisons, entourés de chandeliers.

Puis la rue est parsemée de pétales de fleurs et du feuillage de l’ache au parfum caractéristique qui abonde au jardin à cette époque de l’année.

Procession à Neuville

Le nec plus ultra est l’autorisation de pouvoir installer un reposoir chez soi, promesse certaine de nombreuses grâces. Une table recouverte d’une nappe blanche brodée sur laquelle sont déposés 2 chandeliers est dressée devant la porte d’entrée qui a été masquée par une grande draperie le tout entouré de mais et de bouquets de fleurs apportés par les voisins. Au cours de la procession, Monsieur le Curé y fait une halte et bénit la foule et tout spécialement les habitants qui ont érigé ce reposoir.

Le cortège se met en place après la grand-messe. Le garde-champêtre, en grand uniforme, ouvre la marche. Il est suivi d’une première bannière, celle de saint Michel terrassant le démon, ceci pour écarter du parcours les mauvais esprits. Les jeunes gens accompagnent saint Michel afin de lui prêter main-forte le cas échéant!. Vient alors la bannière de la Sainte Famille escortée des jeunes filles portant elles aussi de petites bannières et des communiantes de l’année qui ont revêtu leur robe blanche.

Procession à Neuville

Vous avez alors, précédée des dames, la statue de Notre-Dame portée sur un baldaquin par 4 jeunes hommes vigoureux accompagnés de leurs remplaçants. La bannière du Saint-Sacrement arrive enfin suivie des hommes et des acolytes en ornements bleus, parmi ces derniers vous avez les thuriféraires secouant énergiquement les encensoirs, les sonneurs agitant vigoureusement leurs sonnettes et tous les autres. En dernier lieu, arrive, porté par les dignitaires de la Fabrique d’Eglise, le dais sous lequel Monsieur le Curé a pris place, revêtu de la lourde chape d’or et de l’huméral des fêtes et portant le lourd et majestueux ostensoir. Et tout autour, les chantres de la chorale formant une haie d’honneur parcourant toutes les pages de leur « Hosanna » pour retrouver les paroles des chants latins ou des cantiques en français.

Si le droit de porter le dais est un honneur réservé aux dignitaires de la Fabrique d’Eglise, il en est de même pour les bannières et cet honneur est presque une affaire de famille qui se transmet de génération en génération. Et dans ce cortège, les cantiques alternent avec la récitation du chapelet.

Procession à Neuville

A chaque reposoir, le baldaquin de Notre-Dame est soutenu par des béquilles et Monsieur le Curé s’avance vers l’autel temporaire. On chante un cantique, on prie pour tous puis Monsieur le Curé bénit la foule avec l’ostensoir qui brille de tous ses feux pendant que les petites filles jettent à pleines mains des pétales de fleurs tandis que les acolytes agitent vigoureusement leurs sonnettes. La foule chante à pleine voix le « Tantum ergo« . Enfin la procession rentre à l’église pour une dernière bénédiction et chacun s’en retourne pour dîner avant d’aller s’amuser « sur » la fête. A propos de la procession, il m’a été conté tout dernièrement une petite histoire et elle est authentique. Voyez plutôt. Ce dimanche-là, on avait lâché les pigeons et ils tardaient à rentrer. Soudain le « maïté » de Henri arrive et se pose sur le toit de la maison quand s’amène au coin de la rue la première bannière. Henri craignant que les cantiques n’effraient son champion, se précipite au devant du cortège pour l’arrêter. Monsieur le Curé, « colèbeu » lui aussi, n’a pas hésité un instant et … on fit une pause. Je n’ai pas su si le pigeon avait fait un prix!

L’été tire déjà à sa fin et septembre est là avec la rentrée des classes et la reprise du catéchisme du matin puis c’est le mois d’octobre avec son salut du Rosaire, une nouvelle occasion pour les garçons de courir derrière les filles autour du monument dans l’obscurité naissante.

Et nous voici à la Toussaint puis au jour des morts, autre jour férié et de congé. La semaine qui précède, voit arriver au cimetière un défilé de seaux, de brosses et d’eau de Javel pour nettoyer la pierre de taille des tombes. Il faut en effet débarrasser les dalles des mousses qui ont proliféré depuis 11 mois. Certains de ces monuments funéraires valent une fortune et quelquefois certaines familles s’endettent pour faire ériger de véritables mausolées que voisinent d’humbles tombes où se dresse une croix de fonte ou tout simplement une croix de bois.

Je me promène quelquefois au cimetière et je me remémore les anciennes anecdotes du village au vu des photos vernissées et pâlies. Ici c’est mon ancien curé, tout à côté le garde-champêtre qui, l’un comme l’autre « requiescit in pace » sous une simple dalle de granit, une dalle qui porte ces 3 lettres « C.A.P », ce qui veut dire : concession à perpétuité! Une perpétuité de … quelques décennies. Plus loin ce sont les mausolées des familles qui avaient du bien et les caveaux des grandes familles où reposent, côte à côte, les grands-parents, les parents, des oncles, des tantes, des enfants morts en bas âge. Et je revois la vieille forge, la petite maison du cordonnier, l’étal du boucher charcutier, les belles « dorées d’Alice », le sourire d’une voisine, les frasques d’anciens condisciples, les aventures avec des amis, mes premières amourettes. J’entends encore la voix de basse de l’organiste et ….l’angélus, bien réel lui, qui sonne au clocher et me ramène à mon histoire, l’histoire …d’une année au pied du clocher.


Toussaint 2003.