« Lors
de notre dîner d’anniversaire, Mme Michèle DISPA, conteuse, apporta
une animation tant particulière qu’originale, par ses récits et
légendes tout en finesse, en art et en sensibilté »
Madame Dispa nous a conté la légende du « Meunier de Quarreux ». Une des plus célèbre de Wallonie.
Vous trouverez ci-dessous une des versions existantes. Il semble que l’on doit cette légende à Marcellin La Garde.
Dans la plupart des écrits, le scénario est le même. Cependant, Marc Lamboray, dans son récent ouvrage intitulé « Ourthe et Amblève » présente une version très différente (à découvrir)1.
A peu de distance de Quareux, les montagnes hautes et abruptes, couvertes de verdure, enserrent l’Amblève dans une longue vallée étroite. L’eau rapide se heurte sans cesse à d’énormes blocs de quartz veinés de blanc qu’elle éclabousse de son écume et contourne pour se lancer aussitôt contre d’autres pierres.
Ces quartiers de roche jetés pêle-mêle dans le lit de la rivière, sur un espace de plusieurs kilomètres, présentent, surtout sous les rayons de la lune, le spectacle le plus sauvage et le plus impressionnant. « C’est un tableau d’après le déluge », pense l’un; » un vaste champ funéraire », murmure l’autre; » le diable est sûrement passé par là », s’écrie un troisième.
Le dernier ne se trompe point: le Grand Noir est passé par là.
Il y avait autrefois, sur la rive, un petit moulin qui ne tournait pas fort souvent: en été, il y avait trop peu d’eau dans la rivière; en hiver, il y en avait trop…
Le meunier continuait à vivre là, parce que son père et son grand-père et son arrière-grand-père et tous les siens y avaient toujours vécu; mais il avait une femme et une demi-douzaine d’enfants et, si la roue ne donnait point tous les jours de la farine, il fallait manger tous les jours…
Notre homme se trouvait parfois bien malheureux.
Le vendredi de la semaine pascale, sa famille était couchée, il demeurait dans l’obscurité, assis sur une pierre, à côté de sa chaumine. Le front dans les mains, il songeait tristement, ne pensant pas à aller se reposer dans son lit. La veille, un violent orage avait tout à coup grossi les eaux et emporté la moitié du moulin! Il se demandait ce qu’ils allaient devenir et désespérait.
Soudain, il entendit du bruit derrière lui; il se retourna et vit un personnage étrange grand, maigre, aux yeux étincelants, au nez crochu, vêtu d’un manteau noir et la tête surmontée d’une haute plume rouge, qui le regardait en ricanant.
Il reconnut le Maudit et se mit aussitôt à trembler.
Le Diable lui dit alors:
-Tu n’as pas l’air gai, camarade. Il ne tient qu’à toi de sortir de ta détresse. Si tu veux, je te construirai, sur la hauteur, un moulin qui tournera sans que tu aies à te soucier des surprises de la rivière. Réfléchis; j’attendrai ta réponse dans huit jours, à minuit, dans la clairière des Grands Corbeaux.
Le meunier se doutait bien de ce que lui coûterait un contrat avec le Diable et résista longtemps à la tentation.
Cependant, le dernier jour du délai, voyant ses enfants pleurer de faim devant la huche vide, il se signa.
Le soir venu, il se dirigea vers le lieu du rendez-vous. Mais il n’y alla pas seul; sa femme, sans en connaître l’objet, avait observé ses angoisses; elle le suivit en cachette, se dissimula derrière un buisson et put assister à la sinistre entrevue.
Satan apparut à l’heure dite:
-Tiens, dit-il en tendant un pacte au meunier, signe ceci. Je t’élèverai un moulin comme personne n’en a vu dans la contrée. Si, dans trois jours, lorsque le coq chantera, les ailes ne tournent pas, notre marché sera nul et tu seras quitte envers moi.
Durant trois nuits, des bruits formidables ébranlèrent la vallée, mais quand le soleil lança pour la troisième fois ses premiers rayons au-dessus des cimes du bois Bablette, un moulin gigantesque, qui semblait s’élever jusqu’au ciel, couronnait le faîte du rocher.
Tout à coup, le coq chanta.
Les ailes du moulin demeurèrent immobiles.
Alors, à côté de son œuvre manquée, se dressa le Prince des Ténèbres. Sa figure se crispait en une horrible grimace. Son cri strident répandit l’effroi dans les alentours: il coupa le ciel d’un grand geste fulgurant pareil à un éclair et de lourds et âcres nuages de soufre inondèrent les forêts.
Le moulin satanique oscilla, se fendit avec fracas; les pierres qui avaient été accumulées par les ouvriers de l’enfer, grosses comme des maisons, se désagrégèrent, volèrent dans l’espace et retombèrent en vaste pluie de rochers dans le lit de l’Amblève.
Sous l’une de ces pierres, on retrouva le cadavre de la femme du meunier. C’était elle qui, dans le moulin, avait empêché les ailes de se mettre en mouvement, dupant ainsi le diable et sacrifiant sa vie pour sauver l’âme de son mari.
1 Ourthe et Amblève – Légendes, contes populaires et anecdotes par Marc Lamboray.
2003 aux Editions Eole Bernard Charlot, éditeur-Ortho, 44, B-6983 La Roche-en-Ardenne.