Nicole Leclere et Jeannine Piron
Célébrations à Ehein, Neuville-en-Condroz et Rotheux-Rimière
Bref rappel historique.
A la chute de Napoléon, après la bataille de Waterloo, en 1815, les grandes puissances européennes, l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche et la Russie, décidèrent de créer un état-tampon pour se protéger d’éventuelles nouvelles velléités expansionnistes de la France. A cet effet, leurs représentants se rencontrèrent, en congrès, à Vienne, et décidèrent de réunir la Belgique à la Hollande, sous le sceptre de Guillaume 1er d’Orange-Nassau. Une constitution nouvelle fut élaborée et soumise à l’approbation, d’abord, des Etats Généraux de Hollande, qui l’acceptèrent à l’unanimité, et, ensuite, à celle de1603 notables belges, qui la rejetèrent. Il faut dire qu’elle conférait au souverain tout le pouvoir exécutif et une large part du pouvoir législatif.
Pourtant, elle accordait aux citoyens de nombreux droits, notamment la liberté individuelle, les libertés de la presse et de pétition, le droit de propriété et l’admissibilité aux emplois et dignités.
Guillaume résolut de passer outre à l’assentiment de nos représentants et organisa le nouvel état à sa façon. S’il sut développer, en Belgique, l’agriculture, l’industrie (Cockerill notamment) et le commerce, s’il fonda les universités de Gand et de Liège et réorganisa tout le réseau d’enseignement en général, il voulut aussi, malheureusement, subordonner la Belgique à la Hollande. Il ne sut pas tenir équitablement la balance entre les deux peuples. C’est de cette manière qu’il posa lui-même les causes d’une révolution, en violant de nombreuses libertés constitutionnelles et en établissant des impôts qui frappaient surtout notre pays.
Le 25 août 1830, le soulèvement commença à Bruxelles après une représentation de l’opéra « La muette de Portici« . Pour calmer (et mater) les esprits, Guillaume envoya 6000 soldats, sous les ordres de ses deux fils, le prince d’Orange et le prince Frédéric. Rien n’y fit et, au contraire, le 26 septembre, après quatre jours de combat, les troupes belges, composées uniquement de volontaires accourus de tous les coins du pays, boutèrent les Hollandais hors de Belgique.
Notons quand même que l’armée du maréchal français Gérard se tenait prête à intervenir contre les Hollandais, qui, sans doute, en eurent un peu peur.
Un gouvernement provisoire se constitua et décida la réunion d’un Congrès national, qui proclama l’indépendance de la Belgique, bientôt reconnue par les grandes puissances européennes.
Après bien des discussions et des compromis entre et avec ces nations, Léopold 1er fut choisi pour devenir le premier Roi des Belges. Il prêta serment le 21 juillet 1831 sur cette même place Royale qui avait vu, 15 ans plus tôt, au milieu d’une pompe officielle et glacée, l’inauguration de Guillaume d’Orange-Nassau.
Depuis lors, diverses manifestations sont régulièrement mises sur pied, dans tout le pays, pour célébrer les anniversaires de cet événement. Si les médias évoquent déjà aujourd’hui la commémoration du 175ème anniversaire de notre indépendance, pour notre part, nous n’en retiendrons qu’un, celui du centenaire de notre autonomie.
Le centenaire de l’indépendance.
A cette occasion, des fêtes fastueuses et variées furent organisées sur tout le territoire belge. Elles remportèrent un succès considérable.Mme Jeannine Piron membre actif de notre asbl, a conservé le programme des manifestations des 20 et 21 juillet 1930 à Neuville-en-Condroz et à Ehein.
Des articles du « Journal de Seraing » de ce même 20 juillet et du 31 août suivant présentent également le déroulement de ces deux journées, aussi bien à Neuville et Ehein, qu’à Rotheux. En voici la copie.
Neuville-en-Condroz – Ehein
Fêtes du centenaire.
A l’occasion du Centenaire de l’indépendance, de grandes fêtes sont organisées dans les communes de Neuville-en-Condroz et Ehein.
Le 20 juillet, à 9 heures et demie, aura lieu une grande messe solennelle, en musique, par la « Chorale Neuvilloise » en mémoire de ceux qui sont morts pour l’Indépendance. A 11 heures, visite au Monument. A l’heure et demie, un grand cortège allégorique se déroulera dans les principales artères. Il comprendra notamment des cavaliers, des cyclistes, 29 tchanchès et 36 botteresses, des chars décorés, des bûcherons, des « colèbeux », de la couture, des charrons et maréchaux, de la haute futaie, de la menuiserie, de l’agriculture et de l’indépendance (sic), etc.
Comme on peut le voir, ce cortège sera imposant et on a tout lieu de croire qu’il fera l’admiration de tous. Après le cortège, attractions diverses: match de football, danses, bals, concours de façades fleuries et concours de façades illuminées.
Le lundi 21juillet, à 7 heures et demie, distribution solennelle des prix aux enfants des écoles. Des chants et des saynètes seront exécutés. Après la distribution des prix, remise des diplômes du concours des façades devant chez M. Terwagne.
Un feu d’artifice clôturera ces belles réjouissances.
A noter qu’en cas de mauvais temps, la sortie du cortège sera remise au lundi 21 juillet à 4 heures et la distribution des prix au dimanche 20 juillet à 8 heures
Rotheux – Rimière.
Les belles fêtes du Centenaire.
Il convient de rendre hommage aux organisateurs.
Les fêtes organisées à l’occasion du centenaire de notre indépendance, à Rotheux-Rimière, ont obtenu un succès complet et ont attiré dans la sympathique commune une affluence peu ordinaire.
Il convient ici de rendre hommage aux organisateurs qui, par un travail de plusieurs semaines, ont réussi a mettre sur pied différentes manifestations qui n’ont rien eu à envier à celles des grandes villes.
LES CEREMONIES DU MATIN
Après un office religieux, auquel assistaient les autorités communales et les anciens combattants, un cortège, composé de toutes les sociétés locales, s’est rendu au cimetière pour fleurir les tombes des morts de la guerre.
L’APRES-MIDI
La première manifestation a eu lieu au monument élevé à la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour la défense de nos libertés. Toutes les sociétés locales et beaucoup de sociétés étrangères étaient présentes, entourant les membres du Conseil communal et le comité du Centenaire. L’Harmonie Royale « Ermence », de Boncelles, sonne au drapeau, tandis que les groupements de gymnastique effectuent le salut au drapeau.
L’heure des discours est sonnée.
M.Kaisin, bourgmestre de Rotheux, évoque les journées de 1830 et se déclare heureux que la commune de Rotheux participe, elle aussi, aux fêtes du Centenaire. Il félicite les membres du comité organisateur et remercie les habitants qui ont aidé ces derniers dans leur tâche. M. R. Bourdouxhe, secrétaire du Comité du Centenaire, prend à son tour la parole. Avec beaucoup d’ à-propos, il fait ressortir les sentiments qui, depuis Jules César, n’ont cessé d’animer les Belges ; il rappelle les grands faits historiques qui ont précédé et qui ont naturellement amené la Révolution de 1830.
II magnifie le règne de Léopold Ier qui a notamment vu la création des premiers chemins de fer; il célèbre en termes chaleureux, l’œuvre du colonisateur que fut Léopold II et fait très justement ressortir les mobiles auxquels avait obéi Léopold II en faisant fortifier notre pays.
A cette époque notre souverain disait déjà que ce qu’il appelait » le miracle de 1870 » ne se reproduirait plus (Cette affirmation a été malheureusement trop bien prouvée en 1914). Mr. Bourdouxhe s’étend plus longuement sur la régence du Roi Albert. Il signale sa belle conduite pendant les hostilités. Il fait également remarquer que le Roi constitua un ministère d’union sacrée après l’armistice, ministère qui vota les deux grandes réformes sociales : le suffrage universel et la loi des huit heures.
L’orateur effleure la question flamingante. Après cet exposé historique extrêmement intéressant, M. Bourdouxhe fait applaudir toutes les sociétés de la commune qui, sans distinction d’opinion et de parti, ont offert spontanément leur concours pour la célébration du glorieux anniversaire.
Il évoque alors les morts du grand cataclysme de 1914-1918 et s’incline avec respect devant les vieux parents, les veuves et les orphelins. Il termine en émettant le vœux de voir la Belgique jouir d’années de paix et de prospérité et remercie tous ceux qui ont collaboré à la réussite de cette journée.
La cérémonie au monument est clôturée par l’interprétation de » Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie » par la Société chorale « L’Echo des Bois « , sous la direction de M. Charlier.
LE CORTEGE
Le cortège, qui doit traverser les rues de la commune, se forme immédiatement. Il était composé comme suit: deux motocyclistes précédaient la manifestation. A une cinquantaine de mètres, venaient alors dans l’ordre, un peloton de gendarmes, quatre cavaliers costumés, les enfants de toutes les écoles, le conseil communal au grand complet, une jeune fille représentant Jeanne d’Arc, une voiture avec les vieillards de la commune, les groupements d’anciens combattants de Rotheux-Rimière, Boncelles, Plainevaux et Nandrin, la société royale l’harmonie « Ermence » de Boncelles, un groupe de jeunes filles sur vélos garnis, la société royale de gymnastique « La Jeunesse » de Rotheux « , la société de gymnastique « La Vaillante » de Ramet, les sociétés de secours mutuels « Le Soutien » et « La Prévoyance » de Rotheux, la fanfare Sainte Cécile de Nandrin, la société chorale « L’Echo des Bois » de Rotheux, les chars du Cabaret Wallon, des Familles nombreuses, de la Haute Futaie, de l’agriculture, de « Li Monde Ristourné « , de la Peinture, de la Forge, de la Boulangerie, de la Charcuterie, de la Colombophilie, un groupe de jeunes hommes sur vélos garnis, six cavaliers costumés et, pour, terminer, le char de l’Indépendance qui constituait un groupe assez symbolique : les deux survivants des mobilisés de 1870, MM. Armand et Léopold Delincé, étaient entourés de quatre soldats: un de 1870, un ancien combattant et un soldat actuel (sic).
Au hameau de la Rimière, les sociétés de gymnastique effectuèrent de magnifiques mouvements d’ensemble, des groupes harmonieux et des pyramides élégantes, l’harmonie « Ermence « , sous la direction de M. Simon, interpréta quelques jolis morceaux de son répertoire.
Avant la dislocation, au centre de la commune, quelques exercices de gymnastique eurent encore lieu et l’après-midi se termina par l’exécution de chants d’ensemble par « L’Echo des Bois « , dirigé par M. U. Delincé, et de morceaux musicaux par la société « Ermence » de Boncelles et par la fanfare de Nandrin.
Après le tirage des primes, un grand bal réunit jeunes et vieux et ce ne fut que bien tard que chacun s’en retourna heureux d’avoir fêté avec l’ardeur qui convenait, l’anniversaire de nos cent années d’indépendance « .
Nous avons aussi découvert dans le même journal du 11 mai 1930 un témoignage
assez élogieux de la Belgique, vu par un Français, Marcel France (sic).
Le Centenaire de l’Indépendance de la Belgique
vu par un Français
Nous sommes dans le cycle des grands centenaires. Tandis que nous célébrons celui de l’Algérie française, la Grèce et la Belgique fêtent, l’une et l’autre, le centenaire de leur indépendance.
En Belgique, cette commémoration donne lieu à des cérémonies pleines d’éclat. Deux grandes expositions internationales viennent d’être inaugurées à Liège et à Anvers, car il ne faut pas qu’il y ait de jaloux entre les Wallons et les Flamands, au moment surtout où il s’agit de célébrer cette Révolution de 1830 qui fut l’œuvre de tous les Belges unis dans un même élan de protestation contre le régime hollandais.
On a rappelé à ce propos que la Révolution belge avait été un effet direct de la Révolution française de juillet 1830. Les Belges, au surplus n’ont pas oublié que la France leur a donné à cette époque, son généreux appui par l’envoi des troupes du maréchal Gérard, sous la poussée desquelles les Hollandais devront abandonner la Citadelle d’Anvers. Ayant ainsi conquis son indépendance absolue, le peuple belge a su montrer, au cours du siècle, dont il fête aujourd’hui l’achèvement, qu’il était digne de vivre libre ; il a su donner l’exemple le plus admirable qu’un peuple libre puisse donner ; nous l’avons vu en 1914, se dresser devant l’Allemagne pour lui interdire de violer l’intégrité de son sol dont la neutralité se trouvait au surplus garantie solidairement par les Puissances.
La Belgique a lutté pour maintenir, en cette circonstance, la totalité de ses droits avec le même élan qu’elle avait mis à les conquérir. Mais cet élan a duré quatre ans. Son territoire s’est trouvé envahi et dévasté. L’ennemi s’est installé et il a essayé de corrompre les populations ; il s’est appliqué à faire revivre l’antagonisme qui existait entre les Wallons et les Flamands, afin de créer un mouvement séparatiste à la faveur duquel les Allemands espéraient réduire la Belgique à n’être plus qu’une petite province.
Mais en ce faisant le gouvernement du Kaiser montrait sa complète ignorance de l’âme belge. Il est possible, il est même évident qu’il existe entre les Wallons et les Flamands une grande différence de caractère ; ces deux nationalités ne parlent pas la même langue et ne fraternisent pas entre elles. Mais elles fraterniseront toujours en face de l’ennemi commun. Le Flamand ne veut pas être confondu avec le Wallon, mais il entend rester Belge ; il se dressera toujours, comme en 1914, contre celui qui voudrait l’annexer à une autre puissance. La Belgique est donc unie nationaliste et elle travaille magnifiquement. Elle est restée le pays modèle que l’on admirait avant la guerre, qui a su tirer un admirable parti de son territoire restreint et qui sait être une puissance moderne, parfaitement bien outillée, très industrialisée, exemplaire à bien des égards et, par dessus tout, fidèle à ses amitiés et aussi généreuse et enthousiaste queue est fière et intransigeante en matière d’honneur national ( Marcel France).
Mais tout le monde ne partageait pourtant pas l’allégresse générale. Nos recherches nous ont également conduit à un autre article paru lui aussi dans la même presse, le 27 juillet. Il s’agit d’une réflexion d’un contribuable qui juge les festivités du centenaire.
Les FETES du CENTENAIRE.
De tous les coins du pays nous parviennent les échos des fêtes organisées a l’occasion du centenaire de notre indépendance ; celles-ci, fastueuses et variées, remportent partout un succès considérable.
Au cours de ces cérémonies, cortèges et autres manifestations, il est toutefois une coutume à déplorer. En effet, chaque récit des cérémonies du centenaire se termine presque toujours par la phrase suivante : « Un grand banquet de… couverts (cela se chiffre souvent par des centaines) a été offert après la cérémonie ; on y remarquait les personnalités (suit alors une liste de personnages plus ou moins importants mais dont la grande majorité se recrute parmi les politiciens).
Dimanche dernier, par exemple, tous les bourgmestres de Belgique sont allés déguster d’excellents mets confectionnés par des artistes culinaires. Le soir, ils ont continué leurs études gastronomiques en assistant à un ragoût organisé à l’hôtel de ville de Bruxelles. A cette occasion, un confrère de la capitale (j’espère bien qu’il a voulu « zwanzé « ) termine dans les termes suivants le compte-rendu de la Fête : « Un public nombreux prit part à ces fêtes en assistant à l’arrivée des personnalités et en regardant de la Grand Place les ombres des invités ». Je ne sais si ceux qui assistèrent au spectacle d’ombres chinoises s’amusèrent follement, mais je suis persuadé qu’ils durent se faire des réflexions plutôt amères. C’est que, en effet, ces badauds, qui n’avaient aucune qualité pour participer aux agapes n’étaient en somme que de simples contribuables se demandant ce que cela allait coûter, car ils étaient tous persuadés qu’eux seuls régleraient la note.
Certes, il est louable de célébrer dignement un siècle d’indépendance et de libertés, mais franchement, ne trouvez-vous pas avec moi, Chers Lecteurs, qu’on exagère un peu en organisant force banquets et manifestations diverses auxquels malheureusement ce sont toujours à peu près les mêmes citoyens qui assistent ?
Tous les contribuables belges n’ont point encore oublié les années de grande pénitence fiscale qu’ils viennent de traverser. Il y a à peine quelques mois qu’ils ont obtenu quelques légers dégrèvements et ils espéraient en obtenir d’autres.
Ce n’est pas, que je sache, en jetant l’argent par les fenêtres comme on le fait actuellement que l’on arrivera à équilibrer le budget et à réduire les taxes qui nous grèvent lourdement.
Signé, TOLIQ.
La vie ne serait-elle qu’un éternel recommencement ?