Ferdinand M. DESSENTE
Samedi 18 juin 2005 à 11h eurent lieu au Cimetière Américain des Ardennes de Neuville-en-Condroz, le service funèbre, les honneurs militaires et l’inhumation du Sgt. John T. « Jack » PUCKETT. Etaient présents: la soeur du G.I., Madame Joann BOWMAN, et plusieurs autres membres de sa famille, un aumônier militaire américain, le représentant de l’ambassade des Etats- unis, une délégation de soldats U .S., de très nombreux Belges, officiels, anciens combattants, porte-drapeaux, civils jeunes et âges.
Qui était John T. PUCKETT, quand arriva-t-il en Belgique, que lui arriva-t-il, comment ses restes mortels furent-ils découverts et comment furent-ils identifiés? Nous allons tâcher d’y répondre.
Il était né le 2 mars 1923 à Wichita, Etat du Kansas. En 1942 il s’était inscrit à la faculté des Hautes études commerciales de l’université du Kansas. Le 9 mars 1943 il fut appelé sous les drapeaux et entama son entraînement militaire à Fort Leavenworth, Etat du Kansas où il fut intégré dans la 99e Division d’infanterie.
Du fait de son écusson, cette division avait été surnommée « The Checkerboard Divison » (« La Division au Damier »). En fait le Sgt. John T. PUCKETT faisait partie des remplaçants pour compenser les très lourdes pertes que sa division avait essuyées au cours de sa campagne européenne: 1.181 morts! C’est ainsi qu’il rejoignit son unité, le 394e Régiment d’infanterie. Cette division a subi principalement ses énormes pertes au cours de sa résistance acharnée face à l’avance de la plus puissante et la mieux équipée des trois armées nazies impliquées dans la Bataille des Ardennes.
Il s’agit de la VIe SS Panzer Armee (la VIe Armée blindée SS) commandée par le SS-Obergruppenführer (général SS) Sepp Dietrich (ex-boucher, compagnon d’Hitler lors du putsch manqué du 8 novembre 1923 à Munich.).
Au mois de décembre 1944, il fut transféré à Londres, puis rejoignit son unité en Belgique dans les environs d’Elsenborn. C’est là, en effet, que les régiments de la 99e Division d’infanterie américaine, conjointement avec certains régiments des 2e et 9e Divisions d’infanterie U.S., se replièrent mètre par mètre et finirent par se retrancher le 19 décembre 1944, stoppant définitivement la puissante armée blindée nazie dans ce secteur.
Le 15 janvier 1945, le Sgt. John T. PUCKETT faisant partie de la Compagnie B du 394e Régiment d’infanterie U.S. prit part à une patrouille de reconnaissance dans une région boisée à l’Est du camp d’Elsenborn et au Nord-Ouest du village d’Elsenborn. Ils progressaient dans la neige profonde lorsque soudain la patrouille repérée subit un tir intense de la part de l’ennemi. Après le retour des survivants, le Sgt. John T. PUCKETT, ainsi que d’autres membres de sa patrouille furent déclarés « K.I.A. » « Killed in Action » (« Morts au combat ») et « M.I.A. » « Missing in Action » (« Disparus en cours de combat »). Une année et un jour plus tard, soit le 16 janvier 1946, le statut du Sgt. John T. PUCKETT fut modifié de « M.I.A. » en « Dead » (« Mort »), ne laissant plus aucun espoir de le voir revenir vivant.
A ce stade du récit quelques définitions sont nécessaires:
-un « K.I.A » est un soldat mort au combat dont le corps a pu être effectivement retourné à son unité. Il peut aussi s’agir d’un soldat mort au combat dont a été témoin au moins un homme de son unité et qui a pu rapporter une de ses deux plaques-matricules mais dont cependant le corps a dû être abandonné sur place du fait des circonstances, ayant peut-être même été inhumé provisoirement là où il est tombé.
-un « M.I.A. » est un soldat qui, après un engagement, n’a plus donné signe de vie. Eventuellement il pourrait y avoir eu un témoin de sa mort certaine (il est dans ce cas « K.I.A -M.I.A ». Il peut aussi avoir été fait prisonnier (« P. O. W . » : Prisoner of War) sans qu’on ait pu en faire rapport. Il peut avoir été inhumé provisoirement mais, plus tard, on n’a plus pu localiser sa tombe. A côté du Mémorial du cimetière américain de Neuville sont répertoriés, gravés dans le marbre poli sur douze dalles, les noms de 462 « M.I.A.s ». On mentionne leur grade, leur unité et l’Etat des Etats- Unis où ils joignirent les Forces années américaines. Treize noms sont précédés d’un astérisque en bronze indiquant qu’ils ont été retrouvés. Neuf parmi eux font partie de la 99e Division d’infanterie U.S., et cela grâce au travail du « M.I.A. Project »!
-une dernière éventualité existe: c’est le soldat « Unknown ou Known but to God » (« Inconnu » ou « Connu seulement de Dieu »). Ses restes mortels purent être récupérés mais les preuves pour pouvoir confirmer son identité furent perdues ou insuffisantes. Ici à Neuville reposent 792 Inconnus. Leurs noms figurent évidemment soit sur une de nos dalles, ou encore sur celles d’autres cimetières militaires américains puisque pour ces soldats on ignore qu’ils ont été retrouvés.
Deux jeunes Belges, Jean-Louis Seel (qu’on a pu voir être interviewé au journal télévisé du soir) et Jean-Philippe Speder découvrirent le 27 septembre 1988 le « fox hole » (« trou de renard ») du pfc. (Soldat de première classe) Alphonse SITO. Ce soldat avait été porté « M.I.A. » le 16 décembre 1944. Il appartenait à la même division que PUCKETT. Ses restes mortels furent identifiés sur place car il possédait encore ses deux plaques-matricules. Il prirent immédiatement contact avec les autorités américaines qui s’empressèrent d’envoyer une équipe sur place pour récupérer les restes mortels et tous les témoins matériels trouvés sur place.
Les 9 et 10 novembre 1990, les mêmes et un adjoint, grâce à des documents fournis par des membres de la 99e Division d’infanterie U.S. ayant consultés les archives de leur unité, réitérèrent leur exploit en retrouvant les restes mortels du 2Lt. L.O. HOLLOWAY. Celui-ci avait également fait partie de la division et avait aussi été déclaré « M.I.A. », mais cette fois le 17 décembre 1944. Il portait encore ses plaques qui permirent de l’identifier sur place.
Ces deux événements incitèrent des membres de la 99e Division d’infanterie, auxquels furent évidemment associés nos deux jeunes, à lancer le « M.I.A Project » avec le but spécifique de rechercher les circonstances entourant la mort de 34 membres de leur division, listés officiellement comme « Killed in action / body not recovered » (« Morts au combat / corps non récupérés »).
En 1992, un garde forestier signala la découverte d’ossements et d’une tombe ouverte dans la forêt sur la colline située à l’Est du camp d’Elsenborn. Des membres du « M.I.A. Project » se rendirent sur place. Ce qu’ils découvrirent était consternant et pitoyable: des pilleurs de tombes étaient passés par là à la recherche de « souvenirs » de guerre. Dans leur besogne ils avaient jetés épars autour de la tombe les os des squelettes de trois G.I.s. Initialement ceux-ci avaient sans doute été inhumés là à la hâte pendant les combats du 15 janvier 1945. La localisation de la sépulture avait été perdue soit parce que les compagnons qui l’avaient creusée n’avaient pu la localiser par après, soit parce qu’eux-mêmes n’avaient pas survécu à la guerre. Les vandales, sans scrupule aucun, ont même emporté des « trophées macabres » des trois soldats après leur razzia. (L’auteur du présent article ne souhaite pas s’étendre là-dessus afin de ne pas blesser les membres de familles de ces G.I.s). Il ne restait plus aucune pièce d’équipement militaire qui aurait pu ainsi servir à l’identification des restes mortels des soldats (plaques-matricules, etc…).
Une équipe « Search & Recovery » (« Recherche et récupération de restes mortels ») de la U.S. Army Memorial Affairs Activity/Europe (Activité des affaires mémorielles de l’armée des Etats-Unis en Europe), sous la supervision de Michael C. Tocchetti, récupérèrent tout ce qu’ils purent trouver. Le fruit de ces recherches fut emmené à Francfort pour être ensuite transféré pour être traité en vue de l’identification, au U.S. Army Central Identification Laboratory (Laboratoire central d’identification de l’armée américaine) à Fort Shafter, Etat d’Hawaii.
Les « Morning Reports » (les « Rapports du matin ») et les « After Action Reports » (les « Rapports après action ») qui détaillent jour par jour ce qui est arrivé et qui dans leurs annexes listent les noms des blessés, des morts et des disparus, avec la date à laquelle cela s’est produit, fournis par les membres du 99e M.I.A. Project permirent de supputer l’identité des trois G .I.’s morts à cet endroit au cours de l’accrochage.
On procéda ensuite à la recherche de membres proches de leur famille. Cela prit pas mal de temps car il n’existe pas d’état-civil aux Etats-unis comme nous le connaissons ici en Belgique. Parmi eux certains étaient peut-être décédés. En ce qui concerne notre Sgt. John T. PUCKETT, son père, Ray PUCKETT, était mort en 1937, et sa mère, Marie PUCKETT CLARDY était décédée en 1988. De ses deux soeurs, seule Joann BOWMAN, résidant aujourd’hui à Pasadena, Etat de Californie, était encore en vie. C’est grâce au recours à la technique moderne de comparaison de séquences d’A.D.N. (acide désoxyribonucléïque) que l’on put confirmer de façon indiscutable l’identité des restes mortels: ils appartenaient bien au Sgt. John T. PUCKETT!
Pour mémoire, rappelons que le dernier militaire américain qui fut enterré au Cimetière militaire américain de NeuviIle remonte au 15 septembre 1988. Il ne put être identifié et il n’est connu que comme étant le « S&R M5146 ».
Par contre, le 22 juin 2002 furent inhumés côte à côte, exceptionnellement au Cimetière militaire américain d’Henri-Chapelle, en présence de membres de leurs familles, les restes mortels du Pic. Jack BECKWITH, du Pic. Saut KOKOTOVICH et du Sgt. Frederick ZIMMERMAN. Le premier et le dernier avaient été rapportés tués et portés disparus le 16 décembre 1944 et le second le jour précédent. Tous trois avaient fait partie de la 99e Division d’infanterie des Etats-Unis.