Daniel Van Alken
Cette année (en septembre 2006), les journées du patrimoine auront pour thème : Les fermes.
Beaucoup vont s’étendre sur les bâtiments, leur style et éventuellement leur utilité. D’autres vont assurément détailler les anciennes techniques agricoles en usage et préciser les productions.
Afin d’un peu me démarquer de ces lieux communs, certes bien intéressants, je me propose de vous parler d’une ferme bien connue de Plainevaux !
Elle se situe dans le hameau de Grandzée. Une partie des bâtiments actuels, vieux d’environ 350 ans, sont dans un état de conservation remarquable. La période de l’origine d’une ferme à cet endroit est incertaine mais date… des « temps immémoriaux » !
Je vais donc ignorer les magnifiques bâtiments, les propriétaires successifs et leur particularité pour m’attacher au SYSTEME et j’espère pouvoir vous étonner par ce système de baux (pluriel de bail) !
Le document qu’il m’a été donné à compulser est sans nul doute un dernier brouillon avant la rédaction de l’acte original qui doit assurément se trouver dans des archives notariales. Il manque les noms du notaire et du futur locataire de la ferme de Grandzée ! Ce projet de bail est très intéressant car bien qu’il date de 1829 (juste avant la révolution !) il semble reprendre des usages beaucoup plus anciens.
Le document original de ce projet de bail fait partie des archives personnelles du Baron André d’Otreppe de Bouvette qui en a fait parvenir, en 1987, une photocopie au propriétaire de la ferme de Grandzée.
Madame Collin a eu la gentillesse de me laisser examiner ce document qui se présente comme cet extrait numérisé.
Je pense que la transcription sera plus confortable pour prendre connaissance du contenu…
Le bail à ferme de la « Ferme de Grandzée » en 1829
(Orthographe originale)
Pardevant Mr…. Notaire à Liége
Fut présent..
Mr Frédéric d’Otreppe, propriétaire de la ferme de Grandzée si après désignée, demeurant à Liége, rue Vinave D’Isle,
Lequel a par les présentes donné à bail à ferme pour le terme de trois, six à neuf années consécutives qui prendront cours au premier mai prochain, mil huit cent vingt neuf et finira à pareil jour les trois ou six années révolues et expirées, à…..
La ferme et bien de Grandzée, commune de Plainevaux et environs1telle que l’occupe aujourd’hui Louis Donis, il est bien convenu que les deux pièces de terres acquisent à Wera et à Louis Donis n’y sont pas comprises (… rature…), enfin telle que cette ferme a été exploitée jusqu’à présent et le preneur déclare connaître parfaitement le tout, pour l’avoir vue et visitée et n’a pas désirer une plus ample désignative.
1° Le bail est fait moyennant un fermage annuel que le preneur s’oblige de payer au domicile du sieur Frédéric d’Otreppe, montant à la somme de…( 1200 f en marge du document) payable en monnaie métalique ayant cours dans les (…. ??….) du Royaume, et sans retenue. Cependant, il est convenu que si la totalité du fermage annuel est acquitté au premier octobre qui suit l’échéance qui est au premier mai de chaque année, le fermage se réduira pour lors à la somme de 1150 f.
Ainsi de suite d’année en année, le présent bail durant.
2° Le sieur propriétaire se réserve les objets suivants :
- Une chambre à son choix.
- Les marrons qui seront recueillis par le preneur.
3° Il s’oblige aussi de fournir à ses frais au domicile du sieur propriétaire
- Seize mannes de pommes de terre dites Corne de Gatte.
- Quinze mannes au D… de pommes au choix du propriétaire, le tout sera livré à la fin d’octobre de chaque année.
4° Le preneur s’oblige de faire à la demande du sieur propriétaire chaque année trois corvées avec ses chevaux et charettes indépendemment de cette condition, il s’engage en outre de charrier tous les matériaux nécessaires pour l’entretien ou réparation des Batiments dépendant de la ferme mise ici en location, les petits entretiens intérieurs sont à ses frais.
5° Le locataire devra être munis des bestiaux et attirails nécessaires pour la culture et entretien de la ferme ici louée, qu’il devra bien labourer, fumer et ensemenser toutes les pièces de terre par soles et saisons suivant l’usage du lieu et les rendre à la cessation des présentes en bon état de culture sous peine de répondre de tous dommages et intérets et de ne permettre aucun ni le moindre empiètement ni servitude indue sur le bien ici loué. Non plus que jetter aucune Roye (ou Tige) d’aval pour leur usage. Et il devra à l’expiration de ce bail renseigner les pièces de terre et prairies dans la même grandeur et limites qu’elles sont reprises au cadastre.
6° Il ne pourra sous aucun prétexte couper au pied aucune haie ni Xhinon faisant partie de ladite ferme, de même il ne pourra couper aucun arbre de haute futaye et fruitier. Il s’engage d’entretenir les clotures et de replanter de nouvelles haies partout où il en pourrait manquer.
7° Il devra a sa sortie avoir Joux hée ( ?) comme il est de coutume et ne pourra déssaisonner tout en trèfle qu’en autre ( ?) durée que trois bonniers ( on a barré « seize journaux » ) par an et devra laisser à sa sortie ( « huit journaux » qui sont barrés ) deux bonniers de trèfle, six cents bottes de paille de sept livres des Pays-Bas et trois fûts de foin pour l’usage de son successeur et ne pourra l’année de sa sortie paturer les prés après le premier février.
8° Il ne pourra vendre ni distraire ni paille ni foin, il devra consommer le tout dans la dite ferme.
9° Le preneur s’oblige à faire mettre à ses frais et pendant chaque année de son bail cent et cinquante bons Waz de paille sur les toits à la désignation du sieur propriétaire.
10° Le preneur s’engage à nourrir et loger les ardoisiers qui seront appelés pour la réparation des toits, de même que le jardinier dont le propriétaire pourrait avoir besoin pour tailler les arbres en espaliers dont il se réserve les fruits.
11° Le sieur propriétaire s’engage à payer pendant les trois premières années quatre charettes de houille que le preneur se charge d’aller chercher à ses frais. Laquelle houille sera emploiée par le preneur à faire de la chaux.
L’exploitation de pierres et la façon de ladite chaux seront aux frais du locataire qui sera tenu de justifier à la première demande du propriétaire l’emploi des quatre charettes de houille ainsi que la chaux qui devra être destinée exclusivement aux terres de ladite ferme.
Le preneur s’oblige et s’engage formellement pour ce qui concerne les second et troisième triennal du présent bail à faire mettre annuellement sur le dit bien trente tomberaux de chaux à ses frais et pour le cas que cette dernière condition ne fut point exécutée, le fermage subira une augmentation de quarante florins.
12° Le preneur s’oblige de prendre à ses charges et d’acquitter pour son compte toutes contribution foncière, personnelles, portes et fenêtres et toute autre charge sous quelle dénomination que ce soit qui sont ou seront imposées tant sur le bien ici loué que sur la partie réservée de même que sur les parties de bois que possède aujourd’hui le propriétaire dans les communes de Plainevaux et Rotheux. Il s’engage en reproduire au propriétaire les quittances.
Quoique le locataire ne jouira de la ferme d’après le présent bail, qu’au premier mai mil huit cent vingt neuf, il sera tenu d’acquitter les contributions pour l’année entière, ce qui sera compensé l’année de sa sortie.
13° Il est convenu entre partie qu’en juin prochain tous les batiments dépendant de ladite ferme seront assurés contre l’incendie, à frais communs pour la durée du présent bail, le propriétaire se réserve le choix à faire de la société d’assurance.
14° Sommes convenus qu’en cas de stérilité, tempête, ou ravage de guerre exédant le tiers de la totalité de la récolte de l’année, le sieur propriétaire aura des égards convenables,… information dans la huitaine et visite faite aux frais du locataire par experts à choisir de part et d’autre, ou par la justice même au gré du sieur rendeur.
Voir que le dommage n’exédant pas le tiers susdit de la totalité de la récolte, le propriétaire ne sera, sous aucun prétexte, tenu à aucune diminution du fermage.
15° Les charriages, rations et logements militaires sont à charge du preneur qui ne pourra exiger du sieur propriétaire aucune indemnité de ce chef.
16° Le preneur ne jouissant à son entrée que de la moitié des devoirs, il jouira de même à sa sortie d’une même moitié.
17° Il ne pourra arrièré, loué le dit bien soit en tout ou en partie, il ne pourra également cultiver d’autres biens, même ceux de ses parents sans y être autorisé par le sieur propriétaire.
18° Le propriétaire et le preneur se réservent la faculté réciproque de pouvoir renoncer à chaque triennal .. ?.. l’avertissant six mois à l’avance et par écrit.
19° Il est convenu entre parties que dans le cas où le preneur viendrait à manquer à l’une ou l’autre des conditions ici stipulées, le présent bail sera annullé si le propriétaire le juge à propos.
Les droits et coût des présentes et d’une expédition en forme exécutive à remettre au bailleur seront supportés par le preneur, qui pour l’exécution des présentes élit domicile en……
Et finalement, se référant aux clauses ordinaires et pour garantir tant le prix de fermage que les clauses de ce bail les sieurs…………
Analyse du contenu :
Ce texte me semble très édifiant car il prouve la persistance, à Plainevaux, des habitudes féodales au XIXe siècle, quarante ans après la révolution française !
Le bailleur reste le « seigneur » de son bien et le fermier son « vassal » ! Le maître n’a que des droits et des exigences qui frisent parfois le ridicule afin de conserver quelques avantages mesquins ! Le locataire doit prendre tous les frais et les risques à ses charges, il n’a que des obligations et même des corvées !! Le propriétaire, avec un tel bail, ne risquait pas grand chose car on ne louait pas « à ferme » à n’importe qui !
Il fallait pouvoir disposer d’une bonne connaissance des techniques agricoles et d’élevages, d’un capital appréciable (achat de bétail etc…), avoir l’habitude de diriger le personnel et être un bon gestionnaire ! On s’adressait donc à « l’aristocratie agricole » !
Souvent, c’étaient les fils d’anciens métayers ou de régisseurs connus.
Les propriétaires (et leurs invités…) avaient l’habitude de les rencontrer pendant la période des semailles, des récoltes et surtout des chasses ! Après avoir fait leurs preuves en aidant leur père et ensuite dans de petites exploitations, une certaine confiance s’installait… car on connaissait la famille !
Il faut croire que c’était rentable car, dans le Condroz, très peu de ces « fermiers » ont fait « faillite » et plusieurs ont réussi à racheter l’exploitation…
Il y a 30 ans, le procédé était toujours en usage !
1 dont la contenance d’après le cadastre est pour jardin, prés, vergers et terre justement 30 bonniers, 20 perches et 071 mètres, 36 bonniers, 12 verges grandes, 14 petites, 65 pieds du pays