Edgard Brenna
Les cahiers de jadis N°53 2010-2011
Nous sommes le 16 octobre 2010, il est 10 heures. Le temps est maussade. Il pleuvine, il fait « houreux », comme on dit chez nous.
Nous sommes une trentaine à attendre plus ou moins patiemment un guide qui n’arrive pas, mais qui est indispensable pour visiter ce fameux Fort d’Eben-Emael, considéré, en 1940, comme le plus puissant fort belge, réputé comme étant un des plus puissants d’Europe.
Vue de la poterne d’entrée.
En attendant, nous avons tout le loisir d’imaginer, au vu de la casemate de protection, le bloc de défense de l’entrée du fort, que les combats ont du être intenses : les traces de balles, d’obus et de bombes sont encore bien visibles. Et pourtant !
Plusieurs personnes de notre groupe s’inquiètent, on nous a oubliés, ou trépignent quelque peu, pourquoi ne vient-il pas ? Les minutes passent lentement. Et puis nous apercevons, arrivant d’une allure vive, un blouson rouge aux armes de l’ASBL gérante du site. C’est le guide. Enfin ! Il ne perd pas son temps en préambule et va immédiatement nous intéresser. En fait, il ne va pas se contenter de nous dire « ici, vous avez…, à côté c’est … ». Il va trouver de quoi nous faire vivre la vie de quelque 650 militaires rattachés au RFL (Régiment des forteresses de Liège), malgré la situation du fort, à l’époque, en région néerlandophone. Il ne sera avare ni de son temps ni de ses mots. Chaque carrefour de galeries – il y en a des dizaines, longues et semblables – permet une anecdote, un récit émouvant, voire la relation d’un fait de guerre.
En attendant le guide devant la poterne d’entrée…
Nous avons dû, tout d’abord, être attentifs à un cours d’histoire.
En 1926, en conclusion des événements de la guerre 1914-1918 et tout en tenant compte de la position de neutralité décidée par la Belgique, une Commission militaire est chargée de reconsidérer le système de fortifications du pays et conclut, à la nécessité de relever les trois positions fortifiées d’Anvers, de Liège et de Namur par la modernisation des anciens forts de 1914 et par l’aménagement des intervalles. Notons que, par soucis de ne vexer personnes, les forts devaient aussi bien protéger la Belgique de l’Allemagne que de la France, même si personne ne croyait à une action de cette dernière.
C’est ainsi que la PFL (position fortifiée de Liège) allait se composer des six forts rénovés de la rive droite de la Meuse (Boncelles, Embourg, Chaudfontaine, Fléron, Evegnée et Barchon), de deux forts légèrement modernisés de la rive gauche ( Flémalle et Pontisse) et de quatre nouveaux forts (Aubin-Neufchâteau, Battice, Tancrémont et Eben-Emael).
Signalons aussi que des abris bétonnés pour mitrailleuses et FM (fusils mitrailleurs) furent construits dans les intervalles des forts, soit pour la défense stratégique de certains lieux, soit pour servir d’observatoire pour les forts voisins. Le long des principaux itinéraires routiers, certains abris étaient également armés d’un canon de 47 mm anti-char. Les uns et les autres devaient aussi servir d’appui pour les troupes d’infanterie qui devaient prendre position autour de la ville.
Le but militaire des forts est de ralentir la progression de l’ennemi durant la mobilisation. Ils sont donc équipés de canons anti-infanterie de courte portée et des fantassins sont chargés d’éliminer les assaillants survivants. Le fort est également un obusier destiné à arroser la région avec des obus de gros calibre. Il est placé à un endroit stratégique qui bloque une route importante par un tir de barrage interdisant la progression de l’ennemi.
Sa position étant connue et fixe, les généraux s’attendaient à sa destruction ou du moins à un endommagement total par l’artillerie ennemie. Uns fois le blindage détruit et, par conséquent, le fort en passe d’être rapidement perdu, celui-ci se rend afin d’éviter le sacrifice inutile de sa garnison.
Les soldats de garnison sont soumis à un grand stress, car ils peuvent voir, par l’intérieur, l’état réel de la couche de béton qui les protège du déluge de feu qui s’abat sur eux à grand fracas. De nombreuses galeries de la plupart des forts ont été réalisées avec une protection de tôles galvanisées ondulées qui présentent un aspect lisse, empêchent de voir un éventuel fendillement du béton et restent toujours compactes. Nonobstant, le bruit régulier des impacts, les pannes de courant consécutives, le noir qui s’ensuit, la peur qui en découle, la promiscuité rendent extrêmement tendues les relations internes.
Quelle est la situation géographique du fort ? Examinons son plan et sa structure.
Une description systématique des composantes du fort serait sans doute fastidieuse pour beaucoup de lecteurs. Restons-en donc à un survol des installations.
Le fort d’Eben-Emael est construit sur et sous le plateau de Caster, lui-même faisant partie de la Montagne Saint-Pierre, qui présente quelques escarpements infranchissables le long du canal Albert (qui relie Liège au port d’Anvers), à une dizaine de kilomètres au nord de Visé, à une dizaine de kilomètres également au sud-ouest de Maestricht. Construit de 1932 à 1935, pour le gros œuvre, à 1939 pour la plupart des finitions, il avait pour mission de renforcer un point faible dans la défense belge face à l’Allemagne : la vallée de la Meuse et du canal Albert de Visé à Maestricht et la protection des ponts qui les traversent.
De forme plus ou moins triangulaire, voire de pentagone irrégulier, il couvre une surface totale de 75 ha et les super structures le dessus du fort, à elles seules, avaient une superficie d’environ 45 ha. Il est donc naturellement protégé par le creux du canal Albert, à l’est, qui coupe la colline à une profondeur de 60 mètres, par un fossé aquatique à l’ouest et par un fossé antichar au sud. En forme de diamant de 900 mètres de long et 700 mètres de large, il était l’espoir de la Belgique pour défendre l’Est du pays d’une éventuelle invasion.
Porte blindée.
Ce dispositif de défense ressemble, à bien des égards, à celui construit en France pour la ligne Maginot, inspiré des constructions françaises des 16e et 17e siècles. Il a été percé dans la colline par des ouvriers mineurs, de façon troglodytique sur trois niveaux à l’intérieur d’une masse de tuffeau. Le niveau inférieur, le niveau de l’entrée, 60 mètres sous le sommet de la montagne, recèle une caserne souterraine destinée à accueillir les quelque 1200 militaires qui composent normalement la garnison et qui comprend des chambres, des réfectoires et mess, une cuisine, des douches, des lavoirs, un hôpital, un puits, des réserves, des bureaux, une salle des machines avec 6 moteurs diesel de 175 ch., la centrale électrique, une importante cheminée d’évacuation avec 2 ventilateurs et une prise d’air principale dotée de 2 moteurs de 115 ch. Chacune, ainsi que 3 autres prises d’air de secours cachées par une légère couverture de maçonnerie, etc. Cette véritable ville est cernée de 7 bunkers de défense rapprochée équipés de projecteurs et armés de canons de 60 mm et de mitrailleuses qui défendent le glacis.
De nombreux obstacles complémentaires entourent le site. Une vingtaine de mètres plus haut, reliées par des volées d’escaliers, un réseau de 3,5 km de galeries conduit au poste de commandement, aux bureaux de tir, au central téléphonique ainsi qu’ au local radio et donne accès aux pieds des puits de service (liaison avec les chambres de tir, les postes et dépôts de munitions) avec escaliers et monte-charges.
Ces puits sont fermés hermétiquement par des portes blindées. Sur la superstructure, il y a trois fausses coupoles de 6m de diamètre, des postes de mitrailleuses jumelées et l’artillerie à longue portée. La longueur totale des voies intérieures est de l’ordre de 13 km.
Le fortin 01, dévolu lui aussi plus spécialement à l’observation, était relié au fort par un souterrain. La plupart de ces postes sont munis d’un phare et de canons de 60 mm. L’armement est capable de soutenir une puissance de feu de 2100 kg à la minute, tout en étant que la portée des canons a été limitée à 11 km et 17,5 km. La neutralité choisie par la Belgique empêchait que des canons plus puissants aient la possibilité de tirer sur le territoire allemand.
Détail de l’armement du fort : 1 coupole centrale mobile à 2 canons de 120 mm (portée 17 km), 2 coupoles mobiles éclipsables (Nord et Sud) à 2 canons de 75 mm courts (portée 11 km), 4 casemates (Vi 1, Vi 2, Ma 1 et Ma 2) à 3 canons de 75 mm longs chacune (portée 11 km) et 6 mitrailleuses antiaériennes jumelées. Parmi les petites armes qui équipaient les ouvrages des fossés, on dénombrait 12 canons de 60 mm antichars à tir rapide (portée 3 km) et 13 mitrailleuses jumelées. Trois débouchés d’infanterie existent également dans le Bloc II et dans les coupoles Nord et Mi Nord. Quatre sorties de secours sont prévues aux Bloc IV et IV, Canal Sud et Mi Sud.
Tout l’armement lourd provient de la Fonderie Royale des Canons (actuellement l’arsenal de Rocourt), qui aussi assuré la mise en place, le contrôle et les tirs d’essai de tout l’artillerie du fort. Les affuts de casemates ont été livrés par la firme ACEC et les coupoles proviennent des Ateliers de construction de la Meuse à Sclessin. Notons que l’armement est d’excellente qualité. C’est ainsi que les canons de 60 mm qui équipaient les blocs périphériques pour la défense rapprochée sont parmi les meilleurs du monde (vitesse initiale à la bouche supérieure à 1000 m/seconde, meilleure performance mondiale à l’époque).
Armement du fort
Il faut cependant remarquer que, étrangement, le fort présente une faiblesse importante, qui lui sera fatale : sa couverture. Agreste aujourd’hui, elle n’était pas vraiment défendue. Qui aurait pu parvenir jusqu’à elle ? Pas de barbelés, pas de mines, pas d’armement spécifique. Seuls deux postes de mitrailleuses auraient pu être opérationnels … si on n’avait pas bloqué les armes en position d’attaque aérienne. Elles ne pouvaient pas tirer à l’horizontal.
Ce vaste espace (pour rappel : 45 ha) servait de terrain de football aux servants du fort. On raconte même qu’ils auraient adressé une pétition pour que l’espace reste libre.
Qu’en est-il du plan d’attaque des Allemands ? La Wehrmacht prévoyait une attaque principale à travers les Ardennes et une attaque de diversion contournant les positions fortifiées de Liège part le nord, ca qui était contraire aux prévisions alliées. Encore fallait-il pouvoir passer la Meuse à Maestricht et le canal Albert aux ponts de Vroenhoven, Veldwezelt ou Kanne. Il était donc nécessaire de neutraliser le puissant fort d’Eben-Emael qui tenait tous ces ouvrages sous son feu. Une attaque terrestre classique, avec artillerie et infanterie aurait nécessité beaucoup d’hommes, de temps et de matériel. Il fallait imaginer un plan qui permettrait une percée rapide.
Pour réaliser cet exploit, une attaque par surprise s’imposait. Elle eut lieu le 10 mai 1940, à 4h15 du matin, en prémisse du déclenchement général des hostilités.
Pour la première fois de l’Histoire, il sera fait usage de planeurs d’assaut, capables de transporter une petite dizaine d’hommes et du matériel d’attaque, dont les « charges creuses » également employées en première mondiale.
Planneurs d’assaut
La charge creuse est, dans le domaine des explosifs, une révélation extraordinaire.
L’explosif classique concentré sur une cuirasse y provoque un défoncement pareil à celui produit par un coup de marteau, alors que la charge creuse, qui concentre toute sa poussée en un point unique, agit par pénétration d’un dard en fusion qui fond le blindage qu’il rencontre.
Le principe en fut découvert par le physicien américain Monroe en 1888 en faisant des impressions dans du métal. Ayant gravé son nom en creux sur un bloc d’explosif et appliquant ensuite ce bloc contre une épaisse plaque en métal, il le fit détoner. Il constata que son nom s’était gravé à l’envers dans le métal. Le principe des charges creuses était découvert. En réunissant un faisceau de bâtons de dynamite dont le centre formait une cavité conique, Monroe obtint un trou de 76 mm après déflagration de la « charge creuse » appliquée contre une porte d’acier de 12 cm d’épaisseur dans un vieux fort (une charge de dynamite de même puissance, sans préparation spéciale, n’aurait pratiquement eu aucun effet).
Mais cette découverte tomba dans l’oubli … jusqu’à ce que les Allemands s’en emparent.
Les charges creuses utilisées à Eben-Emael étaient de 12,5 et 50 kg. Elles sont constituées d’un premier disque bombé à la base, légèrement concave, qui se posait à l’endroit à défoncer. La deuxième partie, plus cintrée, ressemblait à une cloche à fromage qui s’ajustait avec précision sur le disque. Elle était coiffée d’un détonateur.
Une charge ce 50 kg, capable de percer un blindage de 25 cm d’épaisseur, avait un diamètre de 51 cm et une hauteur de 26 cm. Son explosion provoquait une percée d’environ 12 à 15 cm de diamètre par ou s’engouffrait un jet de feu, appelé « DARD », animé d’une vitesse de l’ordre de 14.000 m/seconde. La violence du souffle provoquait une onde de choc et de longues flammes meurtrières étaient d’une violence inouïe. De plus, la pulvérisation de millier de pointes d’acier déchiré, provoquait un effet particulièrement meurtrier pour les hommes et destructif pour l’armement environnant.
Les effets d’une charge creuse sur une coupole d’observation
Les Allemands ont tenu à garder le plus grand secret sur cette attaque. Toutes les explications et les opérations ont été répétées jusqu’à ce que chaque mouvement soit devenu un réflexe naturel. A une date bien déterminée, les planeurs furent démontés à Aix, chargés dans des tapissières et expédiés vers deux terrains d’aviation dans les environs de Cologne dans la plus grande discrétion, à tel point que seuls les protagonistes de l’opération en étaient au courant.
Ils avaient tous signé la déclaration suivante : « Je sais que je subirai la peine de mort si, intentionnellement ou par inadvertance, j’informe quiconque oralement, par écrit ou à l’aide de photos, plans, dessins, etc. de mon emploi et des fonctions y afférentes ». A titre indicatif, 2 parachutistes furent condamnés par un tribunal secret.
Onze Junkers JU 52/3 de la Luftwaffe venus de Cologne vont tirer chacun un planeur DFS 230, où ont pris place 86 sapeurs parachutistes. Ces planeurs, lâchés au dessus d’Aix-la-Chapelle, arriveront sans bruits ni immatriculation sur leur objectif : les coupoles et casemates d’Eben-Emael et les ponts à prendre de vive force.
Un écrivain américain dira à propos de cette attaque : « C’est ici que la guerre de demain a rencontré celle d’hier ».
Et pourtant, à 4h15, depuis la poterne d’entrée, le Commandant du fort a vu tourbillonner ces avions silencieux et non immatriculés au dessus des installations. La Belgique ayant proclamé sa neutralité, il n’était pas question de tirer à l’aveuglette. Dès lors, il fallait être circonspect. Par deux fois, le Commandant intime à la défense antiaérienne de rester le doigt sur la gâchette. Les défenseurs du fort réagissent tardivement. Il est déjà trop tard, les planeurs se posent tant bien que mal sur le toit de l’ouvrage. Malgré que certains d’entre eux se soient plus ou moins écrasés, en moins de 10 minutes les mitrailleuses sont neutralisées. Cinq minutes plus tard, les cloches d’observation sont détruites. Le fort est aveugle et, en un quart d’heure, les casemates d’infanterie Mi nord et Mi sud et les blocs d’artillerie orientés vers le Nord (Ma1 et Ma2), protégeant Maestricht, Kanne, Vroenhoven et Veldwezelt ainsi que le bloc IV subissent l’assaut des charges creuses et furent à leur tour neutralisés en un peu plus d’un quart d’heure.
Bloc de tir « Ma 2 »
Il n’a fallu que 30 minutes pour réduire au silence le plus grand fort d’Europe. Les Allemands se replièrent à la pointe nord et, grâce à l’appui des stukas, rien ne pu les déloger, ni les tirs des forts de Pontisse, Barchon et Evegnée. Ni les cinq ou six escarmouches tentées par les soldats belges en vue de reconquérir Ma2 envahie après l’explosion de plusieurs charges creuses.
Le 11 mai à 7heures, un bataillon de pionniers rejoint les paras qui s’étaient emparés des ponts de Veldwezelt et de Vroenhoven (celui de Kanne avait sauté sur ordre du commandant du fort). Les panzers franchirent le canal en direction de Tongres et la garnison belge du fort se rendit à 12h30.
Face à un plan d’attaque mis au point avec la légendaire minutie allemande, nos soldats n’étaient pas de taille. Ils auraient éventuellement pu l’être si on avait prévu pour cette position-clé absolument capitale d’était le fort d’Eben-Emael, une garnison exclusivement composée d’un corps d’élite de militaires de carrière. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? Nous ne le saurons jamais. Retenons cependant que les circonstances n’ont pas joués en faveur de l’armée belge :
- la 7e division d’infanterie était arrivée sur le secteur le 1er mai seulement et, par conséquent, ne le connaissait pas;
- elle devait répartir ses forces sur un front de 18 km de large : une défense efficace en profondeur était impossible ;
- les rangs étaient éclaircis par les permissions qu’on venait de réaccorder après la « drôle de guerre » ;
- l’armement était loin d’être parfait, malgré ce qu’il paraissait être ;
- la mission de faire sauter les ponts de Vroenhoven et de Veldwezelt revenait aux Cyclistes frontière, dont le commandant se trouvait à Lanaken
- au premier appel téléphonique alarmant, on ne réalisa pas l’urgence de la décision à prendre, que la moindre hésitation serait fatale.
Les soldats de la 7e division d’infanterie firent des efforts considérables, acharnés même, pour défendre le fort et pour en chasser les paras qui s’y étaient réfugiés, mais le grand nombre de morts prouve qu’ils étaient submergés par une véritable muraille de feu : 12 officiers, 27 sous-officiers et 185 caporaux et soldats.
Une casemate détruite par une charge creuse
La casemate « Canal 1 »
Le fort n’était donc pas imprenable comme on se plaisait à le déclarer. Disons qu’il était entièrement et extrêmement bien conçu pour résister à une attaque terrestre, mais pas du tout adapté, sa défense antiaérienne
ayant été entièrement négligée ou presque, à une menace aéroportée totalement imprévisible aux moments des faits.
La réussite allemande à Eben-Emael fut de plusieurs ordres. Elle signifia non seulement la réussite de la percée de la position du Canal Albert, mais a créé un effet psychologique démoralisant pour le Belges et leurs Alliés et apportait un appui énorme aux Allemands :le plus grand fort d’Europe avait été éliminé en un minimum de temps. En outre, la percée a eu un effet stratégique plus large : les troupes françaises et britanniques avancèrent en Belgique comme prévu et, bien involontairement, libérèrent ainsi à l’attaque allemande le passage à travers les Ardennes. Le résultat est connu : les unités alliées furent encerclée en Belgique et repoussées autour de Dunkerque et Calais. La suite fut néanmoins heureuse (peut-on dire) puisque 200.000 Tommies et 140.000 soldats français purent embarquer pour l’Angleterre, tandis que la petite armée belge continuait à se battre, à se faire massacrer parfois, et contribua de la sorte, sans le savoir, à la réussite de sauvetage d’un maximum de soldats alliés.
Reste à savoir ce qui se serait passé si Eben-Emael avait résisté : « Les Allemands n’auraient pu passer par les ponts du Canal Albert et déborder par le Nord la place fortifiée liégeoise », affirme Francis Ballace, historien, maître de conférences à l’Université de Liège. « Mais stratégiquement, cela n’aurait rien changé : l’essentiel de la défaite s’est joué dans les Ardennes. Mais la chute quasi instantanée d’Eben-Emael a persuadé l’armée belge que la Wehrmacht ne pouvait être arrêtée. Le coup porté au moral fut terrible ». Le dernier recoin de la visite fut assez poignant. C’est l’endroit où les Allemands ont fait sauté le puis de la tourelle du bloc II. Avec des charges creuses, ils ont perforé et défoncé le bunker par l’extérieur et, ne pouvant pénétrer dans le fort proprement dit parce que les portes blindées en fermant l’accès étaient bien fermées, ils ont détruit, à la charge à la charge creuse encore, l’intérieur du puits. Il n’y reste qu’un amalgame chaotique impressionnant d’escaliers métalliques déchiquetés, des murs calcinés et criblés d’impacts, et de poutrelles tordues dans tous les sens prouvant la violence des explosions.
Après avoir ainsi visité le fort dans tous les sens, le guide nous a ramené à la caserne souterraine, où nous avons pu nous imprégner davantage de la vie qui y était menée en rencontrant de nombreux mannequins en uniformes belges et allemands. Les reconstitutions des situations vécues sont exceptionnellement bien réalisées.
La seule inscription qui ne soit pas en français dans le fort. Elle est due à l’occupation allemande
(Traduction de Paul Dangoxhe, administrateur et vice-président de Mémoire de Neupré : ACCES INTERDIT pour raison de sécurité Haut Commandement militaire, bureau de l’arsenal militaire, Etat-major du fort de Liège )
Comme dans le reste de l’ouvrage, des panneaux peints en jaune, écrits en français (la langue du fort et de la PFL, malgré la présence, en 1940, de nombreux soldats néerlandophones), nous renseignent, nous orientent. C’est ainsi que nous découvrons avec plaisir un musée, ouvert depuis mi-2009, et ses deux salles « Ebenorama » illustrant en détail l’attaque du fort et des ponts du Canal Albert.
Quelques uns de nos compagnons de visite au Musée
Signalons encore, pour terminer, que le fort peut être visité gratuitement un week-end par mois et que les installations extérieures, quoique faisant partie du Domaine militaire, sont accessible librement et que certaines scènes de la série télévisée « L’Empereur du goût », dont l’action principale se déroule à Hasselt et dans ses environs, ont été tournées dans le fort, évoquant dans le cadre de cette fiction certains événements survenu en mai 1940.
Il est bientôt 14h30. Nous rentrons chez nous, un peu fatigués, la tête pleine de faits de guerre vieux de soixante ans. Combien d’entre nous avaient pensé à ses milliers de braves, qui, se sachant condamnés à résister autant que possible, voire à mourir à côté de leurs pièces, ont tenu leurs postes jusqu’à l’épuisement des munitions ou jusqu’à destruction de leurs canons, permettant ainsi à d’autres braves de se replier et d’offrir la plus courageuse, la plus énergique des résistances à l’ennemi envahisseur. Cette visite à la fois extraordinaire et émouvante méritait une réflexion, cette réflexion toute particulière.
Le cimetière militaire de Boncelles, où reposent 282 braves
(dont 17 inconnus) tuée pour la défense du fort en 1914 et 1940
Edgard Brenna