Un siècle d’histoire anecdotique de la Neuville-en-Condroz de 1840 à 1940. (4)
Mais quittons cet endroit pour monter le tige de la Haie. La ferme est une belle bâtisse du XVII siècle; certains de ses propriétaires, les « delle Haye » ont été, l’un maïeur, un autre greffier; il y en a même un qui fut chanoine! Je vous demande un peu… Cette bâtisse, en pierres du pays, orientée plein Sud, est fort isolée : c’est ainsi que pendant la guerre 4O‑45 le fermier, Mr Gérard, cachait dans une cave murée des résistants inquiétés ou des aviateurs alliés en transit.. Il a été un jour ‑ ou plutôt une nuit ‑ torturé, et sa famille menacée par… des voyous qui ne sont cependant pas arrivés à le faire parler.(12).
Si vous continuez tout droit, vous arrivez à « la Brassine », mais là, c’est Rotheux. Qu’à cela ne tienne, nous prenons, en face de la ferme, l’allée des Pommiers, juste à côté des « Treus Meleyes »; c’est la sortie du souterrain venant du château, sortie de secours pour les chatelains en cas de nécessité. Vers le milieu de cette allée, pas loin d’un soupirail du souterrain, je me suis laissé dire qu’on y aurait un jour enterré un trésor d’or et de pierreries… Ah, je vois s’illuminer votre regard. Hélas, beaucoup ont été déçus, et s’il en est un qui a trouvé quelque chose… il ne s’en est pas vanté, oh que non!
Et nous voici arrivés à l’endroit d’où il faut admirer le village le matin, avec le soleil dans le dos qui vous baigne de chaleur et de lumière : c’est un écrin de verdure, percé au centre par le petit clocher sans prétention de son église, avec toutes ses maisons aux moellons brun‑roux; elles vous regardent de leurs fenêtres peintes en blanc(13). La promenade a été longue, arrêtons‑nous et asseyons‑nous dans l’herbe du fossé, à l’ombre d’un pommier, pour croquer une de ses pommes un peu surette, mais rafraîchissante, avant de nous diriger vers le hameau des Sept Fawes (on prononce « Sè Fawes), l’un de nos deux hameaux avec le Rognac.(14).
Les fawes, que les Français ont baptisés du nom absurde d’origine germanique « hêtre » (comme le dit A. Quartier dans son « Guide des arbres et arbustes d’Europe », édité chez Delachaux et Nestlé), sont les foyards des Suisses francophones. Fawe est un mot celte, dont le « W », inexistant dans l’alphabet de Jules César, a été remplacé par la lettre « G », ce qui a donné « fagus ». Je signale qu’il en va de même pour wêti qui donne guetter, watchis = gachis, wadgî = gager, et bien d’autres mots encore. Et pourquoi sept ? mais parce qu’ils sont six, plantés en rond autour d’un septième. De plus, 7 est un nombre magique!. Il en subsiste un bouquet dans l’enceinte du cimetière américain, deux en piteux état devant le château et un à droite de la charmille du château, vers le bois, dans le domaine de l’Etat.
Ce hameau compte sept maisons (curieuse coïncidence) : la maison du régisseur et garde Mr Lenoir, face à la belle entrée du château, allée jadis plantée d’énormes peupliers qui, atteints par la limite d’âge, ont été heureusement remplacés par des tilleuls. Cette allée tourne à gauche à 9O, 5OO mètres plus loin et devient alors une double rangée de tilleuls qui plonge directement vers les jardins du château.
A droite de la maison du régisseur, trois maisons dont celle de Mathieu, le chantre‑organiste, petit herbager, et à l’occasion professeur de solfège; à gauche, trois autres maisons où habitait, entre autres, Mr Camus, bourgmestre lors de la rectification des chemins du village, et petit‑fils du conseiller communal Camus, mort en 187O, comme l’atteste une pierre tombale du vieux cimetière, à côté de l’église. Derrière sa maison un très vieil étang sert de maternité à bon nombre de batraciens.(14). Et nous redescendons la route d’Esneux recouverte de gros pavés et bordée de peupliers. Au delà du village nous devinons les campagnes de la Costerie et du Sart le Diable avec, en toile de fond, les bois d’Engis où se trouvent des grottes préhistoriques (vous voyez que l’endroit est très ancien). Sur notre droite, la terre dite « aux Quarrés », et la « Terre à la fontaine »1 qui doit son nom à une jolie petite source surmontée d’une colonne datée de 1792, laquelle alimentait le jet d’eau des jardins du château, et où le laboureur venait remplir son bidon quand il faisait chaud.(15).
Ces terres étaient mauvaises parce que mal orientées mais surtout difficile à travailler. L’homme devait tenir court ses chevaux s’il ne voulait pas casser le soc de sa brabant quand celle-ci accrochait tantôt une racine, tantôt une lourde pierre. Parfois même, il lui fallait dételer ses deux chevaux et les rattacher à l’arrière de « l’èrére » pour la désengager.
En passant, ayons une pensée pieuse pour ce jeune homme fils du baron, mort à la suite d’une chute de cheval ou plutôt au fils du cultivateur qui fut tué ici accidentellement sous les roues de sa charrette et dont une croix de calcaire à l’inscription effacée rappelle la mémoire.(16).
Juste avant le pont, à droite , les Neuvillois retiraient du « chafour » la chaux qu’ils utilisaient comme ciment pour joindre les pierres de leur maison. En face un très beau tilleul (victime de la bourrasque de février 1990) au vaste ombrage sous lequel s’abrite le bétail tantôt de la pluie, tantôt du soleil. Tiens, encore un tilleul ! A croire que les gens avaient des insomnies!. C’est dans ses racines que le dernier couple de blaireaux a été débusqué un peu avant 1940. C’est aussi cette prairie que les enfants dévalent en hiver, assis sur leur sployons, évitant de justesse un buisson d’églantier pour ensuite virer à droite pour ne pas amerrir dans le ruisseau.(17).
Tout à côté, le confluent des deux ruisseaux qui s’appelle plus loin « Ruisseau de Villencourt ».
Et nous voici en face de la maison de Monsieur le Notaire laquelle fut aussi une école. Ici vous pouvez vous désaltérer en recueillant dans vos mains jointes l’eau fraîche et ferrugineuse de la Maltour ( elle gît maintenant sous les deux mètres de remblai du trottoir). On l’appelle aussi « li busette » ou le Pouhon, « là wis qu’on pouhe l’èwe ». C’est une source ferrugineuse (difficile à dire, n’est-ce pas Bourvil) d’une qualité exceptionnelle, toujours fraîche surtout en été.
Dans le pré tout à côté, appelé « Pré Mélotte » du nom d’un ancien propriétaire, sourd aussi une eau tiède qui ne gèle jamais, qui a une odeur de chaux et que le bon vieux Docteur Jacob recommande à ses patients en leur disant : « Alez pouhi ine djusse d’èwe è Pré Mélotte, elle ni sint nin bon, elle sint l’tchas, mins elle est bonne po les ohès! ».(18).
1 Voir article « La fontaine au pré » dans les Cahiers de Jadis.