Cahier de mobilisation
Introduction1 J. LICOT
Après la déclaration de la guerre entre la France et l’Allemagne, notre pays mobilisait les soldats et officiers de réserve d’une manière de plus en plus importante.
C’était l’hiver, un hiver véritable avec des murs de neige. Un beau jour, nous avons vu arriver des troupes avec des véhicules lourds et des voitures militaires qui s’arrêtaient dans la cour de l’école, rue Maflot.
C’était une unité de TTR (troupes transmission) qui venait s’établir chez nous pour quelque temps.
Ils s’exerçaient à monter des lignes, à raccorder des secteurs entre eux etc… Il y avait plus de théorie que de pratique par ce temps de canard!
Après un mois d’occupation, ils sont partis en nous laissant un très bon souvenir, mais une maison et des classes en piteux état, sans parler de la cour.
Mobilisation à Plainevaux Jeanne XHENSEVAL
On est le 25 août 1939. Dimanche prochain, la fête foraine, battra son plein et on s’en rejouit déjà.
Depuis quelques mois, on sait que la paix est menacée mais, en fait, la vie quotidienne n’en est pas affectée aussi c’est avec stupeur qu’on apprend que la mobilisation générale a été décrétée.
Les familles des « rappelés » sont effondrées. Nous , les jeunes, c’est surtout l’annulation de la fête foraine qui nous fait notre grosse déception, Nous ne mesurons pas la gravité de la situation.
Dans tout le pays, c’est un grand remue-ménage. Chaque commune voit partir des soldats et, en échange, devient, le lieu de destination de l’un ou l’autre régiment de l’armée.
A Plainevaux, s’installent, dans les alentours de la Grand’Route, une compagnie du « 2ème cycliste » et, dans le fond du village, un détachement du « Génie ». L’un et l’autre groupe a ses simples soldats, son échelle de « chefs » de tous grades, son matériel spécifique, son intendance et … même son tailleur!
Le service militaire accompli, les années ayant passé, la corpulence de l’ancien milicien a pu facilement varier en importance… Certains « anciens » ne pouvant plus enfiler un uniforme de taille courante participent à tous les exercices et même au salut au drapeau, avec, comme seul attribut militaire, leur « bonnet à floche »! En une ou deux semaines, le tailleur arrange tout cela.
Les enfants, surtout les petits garçons, sont fascinés par la présence de tous ces militaires. Ils se glissent parmi eux; curieux, ils vont examiner de près le matériel et sont fort intrigués et étonnés par les cantines montées sur roues. La cantine du « Génie » est installée dans la cour de la maison de Fortuné Laloux, juste sur la Place Publique. Celle des « Cyclistes » se trouve dans l’allée, derrière le café de Madame Gilon. A chaque repas, c’est la convergence unanime de tout ce qui porte uniforme vers ces véhicules rustiques où officient un ou deux cuisiniers. Chacun, comme il se doit, reçoit dans sa gamelle une portion fumante qu’on devine plus ou moins appétissante d’après le sourire ou la grimace qui se dessine sur les visages.
Il ne faut pas longtemps pour que les conditions de vie s’améliorent pour tous ces hommes qui avaient dû, dès le premier jour, aménager des dortoirs de fortune dans les fermes, dans les classes, dans la salle Crunemberg, dans l’atelier à côté de notre maison.
Bientôt la population s’arrange pour loger plus confortablement ces nouveaux résidents. On peut dire que chaque famille a son soldat et que chaque soldat a sa maison d’accueil.
Bientôt, s’installe un véritable rite dominical: les « rappelés » reçoivent la visite de leur famille. Chaque dimanche, une grande animation règne dans le village. Partout déambulent des couples discrets, des groupes plus ou moins bruyants partageant leurs confidences ou racontant les nouvelles de chez eux. Ils s’expriment en langue flamande, en patois de Charleroi, de Namur ou d’ailleurs ou avec le plus pur accent bruxellois.
C’est un fait curieux qui montre bien comme on s’est vite habitué à la situation et combien on l’a dédramatisée.
Quand la mobilisation a été décrétée, le secret absolu devait être gardé sur le lieu de cantonnement des troupes. Les lettres devaient être adressées avec le nom, le régiment, le corps d’armée. La moindre mention de l’endroit était interdite.
En ce temps, là on fredonnait une chanson où il était question d’une lettre qu’on envoyait;
« Quelque part en Belgique.
Mais où? mais où? mais où?
Quelque part en Belgique,
On n’peut pas vous dire où! »
Mobilisation à Rotheux Rolande.
T.T.R. Troupes Transmission Radio.
C’était la liaison entre les premières lignes de combats, les forts et la relève de l’arrière.
Le Commandant de l’unité et le Centre étaient cantonnés chez Oscar LECRENIER au centre du village, face au monument aux morts.
Les soldats logeaient chez l’habitant:
François VANDENBRANDEN de Bruxelles
Joseph TRAPP de Vilvorde chez Joseph AIMONT,
LODEWYCK (coiffeur du groupe) chez Emile BERTRAND,
Maurice MAYEZ de Jemappes
(papa de Mme RENGLET, rue Bellaire) chez Henri LAFONTAINE
et beaucoup d’autres soldats mobilisés chez MAHY – RULOT
Chaque matin, ils rejoignaient leur centre pour l’appel, prenaient leur fonction à la Radio et à la Transmission.
Le 10 mai 1940, à 4 heures du matin, un soldat est venu les réveiller et leur intimer l’ordre de rejoindre le centre avec leur « barda ».
Des camions venant de TELLIN les chargeaient et les emmenaient vers une destination inconnue.
Rolande
Des temoignages
A Neuville Maggy BIHET épouse Havelange.
Du 16 janvier 1940 au 10 mai, Neuville accueillit le corps du Transport de Cavalerie. Le gros de la troupe logeait au Centre de Cures à Rotheux et les officiers avaient préféré les maisons particulières. Chez MODAVE, un major, un lieutenant et les 2 ordonnances se partageaient les chambres à coucher; Jeanine et ses parents dormaient dans la cave.
Je me souviens que chez RINDIN (Eloïse était notre perceptrice de postes) vivait le lieutenant DULAIT qui deviendra plus tard un cadre important à la Générale. Chez WATHELET, en face de chez nous, un lieutenant-médecin veillait au bien-être des soldats mobilisés. J’ai oublié son nom.
Chez nous, mes parents comblaient de prévenances Roger PARIDANSE, un instituteur d’Ecaussines. Il était maréchal de logis de la 1ère division et se consacrait aux comptes de la compagnie; c’est pour cela que papa, receveur communal de Neuville, et lui s’entendaient à merveille.
Le bureau était situé au n 32 de la Grand’Route, en face de l’école des filles. Il s’y rendait chaque jour à heures fixes, comme un fonctionnaire.
Les épouses visitaient nos mobilisés presque chaque semaine et logeaient chez DONNAY. J’ai oublié de signaler que nous recevions 1,50 fr pour l’entretien d’un soldat et x frs par officier.
D’un soldat Arthur BOVY
Mais le 10 mai au matin, les radios rappelaient tous les militaires en congé. « Ils doivent rentrer, le plus rapidement, dans leur cantonnement de base ». Notre garde-champêtre de l’Eglise : « Mobilisation générale …. »
Nous devions donc regagner, à vélo, Aubin-Neufchâteau . Les bois des Biens-Communaux étaient déjà entourés de barrières anti-tanks, seules les routes étaient accessibles mais gardées. A la Belle Pierre, deuxième barrière, nous arrivâmes ainsi au Pairay. Quelques trams circulaient encore et nous aboutissions place de l’Yser. Tout le monde courait dans tous les sens. A la gare du Longdoz, les trains circulaient uniquement vers la France et vers la Côte. Malgré les avions et leur bruit étourdissant, nous avons regagné la place de l’Yser et notre petit tram qui nous a amenés à Barchon. Là – arrêt terminus – nous nous sommes présentés au Fort de Barchon. La garnison était au complet: nous ne pûmes entrer. Les gardes-frontières reculaient déjà et nous déconseillaient d’avancer. Les Allemands étaient au Fort Aubin.
Le départ – 10 mai 1940. Maggy BIHET épouse Havelange.
Le 10 mai 1940, à 4h30 M. Deridder sonna plusieurs fois. Papa irrité monta (nous étions à la cave) voir la raison de ce remue-ménage. M. DERIDDER lui cria : « Eveillez PARIDANSE et qu’il vienne immédiatement à l’état-major. »
Vers 5h, il revint et nous dit: « J’ai terminé mes comptes pour les logements et ai laissé l’argent au bureau (on ne l’a jamais retrouvé). Maintenant je fais mon paquetage; je vous remercie pour votre bonté et ne vous oublierai jamais » il ajouta « je crois que c’est la guerre ».
Les officiers, chez Jeanine MODAVE, étaient partis en pleine nuit, sans rien dire. Jeanine allait à l’école à Rotheux. Elle partit, comme d’habitude, pour se rendre en classe, à vélo. Rue Bellaire, tous les soldats du Centre de Cures étaient regroupés dans les fossés et attendaient l’ordre de départ. Quand elle arriva à l’école, on lui apprit que les cours étaient suspendus, que c’était la guerre. Il ne lui fallut pas longtemps pour redescendre à Neuville et rejoindre son foyer où son papa venait de rentrer.
La guerre à 20 ans. Madeleine
Nous étions début mai 1940. Des mouvements de troupes étaient signalés; les permissions des mobilisés étaient supprimées. Depuis 9 mois, nous vivions une période indécise de grande mobilisation pour nos soldats.
Enfin le 9 mai, les permissions étant rétablies, un peu d’espoir renaissait. Mon frère Pierre était au 12me de Ligne; il rentra vers 18 heures pour quelques jours et nous étions heureux.
A cette époque, nous habitions au Bout de Rotheux, devenu depuis lors, rue Duchêne, Papa, mes deux frères et moi-même. Je tenais la maison, maman étant morte.
Le vendredi 10 mai, une journée ensoleillée inaugurait une période de beau temps. Nous déjeunions ensemble quand la radio intima l’ordre aux militaires de regagner leur cantonnement.
Cette fois, c’est la guerre, il n’y a plus aucun doute.
Le temps de boucler son sac et mon frère était parti, après des adieux bien tristes.
La route de Seraing était déjà coupée par des barbelés.
Dans la matinée un autre ordre survenait : « Les jeunes de 16 à 35 ans doivent rejoindre Lobbes, dans le Hainaut, le plus rapidement possible; des trains seront à leur disposition dans toutes les gares du pays. C’est ainsi que mon second frère, Valère, nous quitta à son tour.
Dès le lendemain 11 mai, des gens défilèrent. Ils venaient de la vallée de l’Ourthe et passèrent toute la journée sans discontinuer. Ils étaient chargés de tout ce qu’ils avaient pu emporter sur des vélos, dans des voitures d’enfants ou plus rarement dans une charrette attelée d’un cheval.
Quand je revois des scènes semblables à la T-V, je me demande souvent : « Où sont-ils allés ? », »Que leur est-il arrivé ? » et encore à l’heure actuelle « Comment vivent-ils ? ».
Les premiers Allemands sont arrivés par les bois et les champs. Suzanne LAFONTAINE, qui habitait en face de la maison, a vu les Allemands monter comme à l’assaut d’une forteresse, déployés dans les prés du petit-Moulin, ils venaient de Berleur, se regroupèrent à Rotheux puis se dirigèrent vers Bonsgnée (Quel détour !).
Je me rappelle aussi un groupe de cavaliers, mais c’est plus vague. Le premier Allemand que je vis réellement, face à face, m’étonna: il portait, autour du cou, un ruban de cartouches et à la main une mitraillette mais il n’avait pas l’air féroce, comme je le croyais naïvement.
Le mardi, dans l’après-midi, un officier, accompagné d’un interprète de Rotheux, cherchait à caser ses hommes pour quelques jours. Les longues marches, dans la chaleur, avaient blessé les pieds des fantassins et ils furent soignés énergiquement car leur pays avait besoin d’eux. C’est une des rares fois où ils séjournèrent dans notre village durant la guerre. Mais si leur présence nous fut épargnée, les ordres à la population furent affichés très rapidement.
Madeleine
Dès l’aube du 10 mai, des ruines à Fond-Martin.
Renée REMY épouse HALLEUX
Le petit pont enjambant la Magrée, dans le Fond de Martin a été miné par l’armée belge, pendant la mobilisation.
Les habitants des maisons avoisinant le ruisseau sont déclarés « réfugiés obligatoires ». C’est le cas des familles REMY-CREPIN et DEPRAZ-CREPIN: coté PLAINEVAUX.
Dès le 10 mai au matin, le petit pont explose et avec lui la maison DEPRAZ-CREPIN et deux autres maisons du coté d’Esneux.
La maison REMY-CREPIN, propriété de la grand-mère Marie FOUILLIEN, veuve CREPIN est restée debout. Mais elle fut fissurée dans la façade. Le toit très endommagé fut provisoirement réparé par M. HOUSSA de Strivay; le support métallique de la ligne électrique est arraché, l’annexe est trouée et inutilisable.
Quant aux ruines de la maison DEPRAZ-CREPIN elles servirent de remblais à un passage provisoire sur la MAGREE, pour remplacer le pont détruit.
Sur la photo, nous voyons l’eau qui stagne. Ce ruisseau n’a pas beaucoup d’eau en été mais en automne 1940 d’importantes inondations ont ravagé les maisons en amont.
Les canalisations d’eau potable ont disparu avec l’explosion. Heureusement du coté d’Esneux, à 500 mètres de la maison, le point d’eau était accessible.
Le pont a été reconstruit, tel qu’il se présente aujourd’hui, quelques mois après l’invasion. Les garde-fous placés, ont été récupérés des restes du pont d’Esneux.
J’avais 8 ans à l’époque, mais je me souviens de tous les détails, ainsi que de la petite « évacuation » obligatoire que ma famille a dû effectuer. Heureusement, elle fut très courte.
Le Contingent réserve armée belge – CRAB.
Richard, Marcel et Joseph sont venus rejoindre Renaud. Ils vont évoquer avec chaleur et humour leur odyssée « Lobbes ».
La Radio, ce 10 mai 1940, annonce l’envahissement du sol belge et engage tous les jeunes, non militaires , de 16 à 35 ans, à rejoindre « LOBBES », dans les plus brefs délais. Le garde-champêtre ELIE est déjà en route et porte une convocation dans chaque foyer où habite un de ces jeunes. Celui-ci est tenu de rejoindre LOBBES par le train qui passera à ENGIS entre 15H et 16H.
Peu de familles possèdent une voiture, à cette époque, mais elles sont à la disposition de tous. Renaud se souvient de son papa, de Joseph AIMONT, de Maurice DELINCÉ …
Après beaucoup de discussions et de rappels des souvenirs les noms des « C.R.A.B. » sont regroupés (si d’autres jeunes sont retrouvés, nous nous en excusons et nous les ajouterons immédiatement à notre liste.
AIMONT Marcel, BERTRAND Renaud, BOUILLON José, DAWANCE Fernand, DELINCE Georges, DELINCE Léon, DELREE Emile, DOSERAY Ernest, DUVAL Richard, ERNOTTE Maurice, GATHY Marcel, GODEFROID Robert, HAIDON Désiré, HALLEUX Joseph, JACOB Valère, LAFONTAINE Albert, LAROCK Lambert, LEFEBRE André, PREGALDIEN Marcel, RULOT Marcel, THIELEN Joseph, WATHIEU Joseph.
Nous voilà dans le train, au milieu de beaucoup d’autres jeunes. L’atmosphère est lourde et les plaisanteries tombent à plat, puis cessent. L’omnibus sert de ramassage et il fait nuit quand nous arrivons en gare de LOBBES. Personne ne nous attend, le service d’encadrement n’est pas prévu, nous sommes un peu désemparés. Heureusement, nos mamans nous avaient pourvu de victuailles.
Dans la ville, nous « squattons » une école abandonnée. Le lendemain, nous avons pu acheter de nouvelles provisions dans un commerce encore ouvert tandis qu’un groupe se ravitaille auprès d’une cantine française.
A pied, nous remontons vers ANDERLUES, regroupement sur les quais de la gare. Des trains se forment pour la FRANCE; nous partons vers BINCHE, MONS, JEMAPPES; le train arrive en vue de QUIEVRAIN. Des avions nous survolent: nous quittons les quais et nous nous réfugions dans la campagne environnante. Un avion trace un grand cercle au-dessus de la ville, les bombardiers se groupent à l’intérieur de la circonférence et lâchent leurs bombes.
Notre groupe s’est disloqué. Certains paniqués se figent, d’autres filent comme des lapins. Je suis de ceux-ci, dit Renaud, et je me souviens d’avoir sauté un mur très haut avec tout mon « barda » sur le dos.
Les Rotheusiens sont scindés en plusieurs groupes. Nos narrateurs eux-mêmes font partie de groupes différents: un se dirige vers la mer du Nord: l’autre vers le Nord de la France.
Nous ne sommes plus que 3; Robert, Marcel, Joseph, les bombes tombent. L’un d’entre nous veut réciter son acte de Contrition, mais ne retrouve plus les mots. Il souhaite notre aide mais la frayeur nous rend muets; la grande verrière vient d’éclater.
Quand tout est calmé, nous tournons le dos au sinistre et nous marchons, nous marchons ! Nous arrivons ainsi à OSTENDE. Nous trouvons refuge dans l’Hôtel Palace, ainsi que d’autres jeunes qui avaient pris la même direction que nous. Là, l’armée nous nourrit.
Mais, pendant la nuit, ce fut un vrai défilé aux toilettes et 40 gars malades cela s’entend. Marcel qui riait des autres pendant la nuit est dérangé le matin et lui il n’a pas le temps de …. Joseph lui prête une salopette. Elle subit le même sort peu après car la fermeture éclair se coince au mauvais moment !
Joseph sort en ville; il achète un pantalon pour 20 F. Quand Marcel l’enfile, il doit le replier 2 fois sur sa taille et le fait tenir avec une corde !
Nous restons à peu près une semaine, nous logeons alors à MARIAKERKE, à l’Hippodrome. Là, l’armée a affrété un grand bateau et nous offre le voyage vers l’ANGLETERRE, ce que nous refusons. Les Allemands sont installés près de nous et se font même canarder par leurs frères. Nous décidons de rentrer chez nous.
A l’étape suivante, nous voulons passer la nuit dans un pensionnat, mais les occupants se déclarent au complet, et c’est un Allemand, le premier que nous voyons qui exige notre admission et que l’on nous nourrisse.
Le jour suivant nous sautons sur une plate-forme de camion, et nous traversons les Flandres, le conducteur nous dépose chez un boucher qui nous offre une fricassée au boudin noir. Que c’est bon ! Pour dormir, notre hôte tire un matelas à terre dans sa chambre d’amis. Quelle bonne nuit ! Le matin nous disposons de l’atelier pour faire nos ablutions et nous recevons chacun un colis de nourriture pour le retour.
De nouveau un camion nous rapproche de nos foyers et puis de tram en tram nous arrivons au Pont de Seraing. Le pont est dans l’eau. Aussi nous passons en barge; une dame, amie des parents de Joseph, nous accueille, nous loge et nous nourrit. C’est la dernière étape.
Le lendemain, nous avons des ailes pour franchir les derniers kilomètres qui nous séparent encore des familles qui depuis le 10 mai n’ont plus aucune nouvelle.
Aux Biens Communaux, la D.T.A. (Défense Terrestre Avion) tourne et tire vers un avion qui passe dans le ciel. Le Bois de Seraing est franchi dans l’allégresse, et quel bonheur pour nous et nos parents, ces retrouvailles inoubliables.
Nous sommes à QUIÉVRAIN, les bombes ont affolé tout le monde nos amis se sont dispersés mais nous restons un bon groupe : Richard, Renaud, Georges, Marcel, Fernand, Maurice, Joseph.
Des files d’évacués passent et voulant voulons éviter d’être bloqués dans ces colonnes interminables, nous partons à travers les campagnes, ou par de petites routes. Nous passons la frontière à Roisin; là, une fermière nous demande de l’aider à charger sa charrette d’une partie de son ménage, d’installer sa vieille maman dans un Voltaire et surtout de lâcher les animaux dans les prés. Nous faisons un bon repas avant de nous remettre en route, toujours à travers champs avec halte dans des maisons abandonnées où nous dormons et où Georges, notre cuisinier volontaire, tâche d’apaiser notre appétit toujours en éveil.
Nous contournons BAVAY, LE QUESNOY, SOLESMES. Nous allons vers Cambrai, marchons toute la journée, jusque tard dans la soirée. La température est agréable même la nuit.
Un jour, nous suivons une belle allée arborée quand nous apercevons sur le remblai une enfilade de Sénégalais couchés, tués sans doute par une mitrailleuse: nous mûrissons de quelques années en cinq minutes.
Les premiers Allemands que nous avons aperçus se « planquaient » sous un pont, près de la ville d’ARRAS. Les suivants sont sortis d’un avion en rase campagne où nous nous reposions. Un interprète nous demande ce que nous faisons là et d’où nous venons ? De Liège – ah! Luttich et bien, un bon conseil, retournez-y en suivant D.G.7, contraire aux flèches.
Cela nous paraît sage et, de nouveau à pied, nous retournons sur nos pas. L’itinéraire du retour a été suggéré à d’autres adeptes que nous car nous voilà dans une colonne d’évacués. En fin d’après-midi, des Allemands groupent dans un pré les jeunes adultes masculins et laissent circuler les plus âgés, les femmes, les enfants. Renaud est nerveux, il n’apprécie pas cette sélection. Il emmène ses amis à l’orée du bois qui jouxte la prairie où tout le monde se couche à même le sol. Quand la nuit est complètement tombée, en silence, tels des Sioux, les Rotheusiens se coulent dans la forêt proche. Ils marchent un bon quart d’heure et de nouveau se couchent et s’endorment. Ils accompliront, le lendemain, un vaste détour avant de rejoindre la route principale.
Dans la banlieue d’Arras, un magasin de vélos est abandonné. Nous pénétrons dans l’atelier et nous nous emparons de vieilles bécanes que nous remettons en état, certaines n’ont même pas de freins, nous freinerons avec le pied sur la roue avant ! Un d’entre nous, à notre grande colère, brise la vitrine et prend un nouveau vélo tout neuf, en exposition, il sentira notre réprobation tout le trajet de retour alors qu’Ernest qui n’a pas de vélo (il n’a pas voulu d’un nouveau) sera chargé à tour de rôle, jusqu’à ce qu’on lui en trouve un, abandonné dans un fossé.
Etape après étape , nous rebroussons chemin, nous retournons chez nous, malgré les difficultés, la fatigue, nous sommes heureux, notre avenir est de nouveau tracé: revoir nos familles, notre village et redevenir un enfant, sécurisé dans son foyer, à cette époque c’est normal pour un jeune de 16,17 ou 18 ans.
Après QUIEVRAIN, Emile, Léon DELREE, André LEFEVRE, Joseph HALLEUX et Lambert forment un troisième groupe. Est-ce l’influence des deux fermiers, ils choisissent souvent des métairies pour les haltes. Lambert se découvre des talents de chef cuisinier et dirige le nouveau noyau.
Lambert garde un bon souvenir d’une école d’agriculture; la ferme contient encore quelques petits animaux qui vont leur procurer un vrai festin. C’est là qu’ils découvrent 3 vieilles bicyclettes, ce qui leur donne l’idée d’en chercher d’autres le long du trajet.
Dans une campagne près d’Arras, nous dormons paisiblement, au petit matin. Les Allemands qui nous réveillent et nous conseillent de rejoindre nos foyers.
Joseph HALLEUX qui s’est relevé, les a aperçus, il a éprouvé une telle peur qu’il s’est sauvé et nous ne l’avons jamais retrouvé… sinon à ROTHEUX. Nous faisons demi-tour et pédalons joyeusement sur de petites routes peu encombrées.
A RANSE,un barrage allemand détourne les voyageurs à vélo en 2 colonnes, les amène dans l’église après avoir déposé les bicyclettes dans le cimetière voisin. Il dorment sur les bancs et les chaises. Le lendemain matin, grand rassemblement, chacun passe devant deux officiers et doit présenter sa carte d’identité. Lambert a plus de 18 ans, il est séparé de ses compagnons et doit rejoindre un groupe de personnes âgées de 18 ans à plus ou moins 30 ans. Il va nous expliquer lui-même son triste périple.
Nous montons sur des camions bâchés. Un banc court de chaque côté et une sentinelle en garde l’extrémité. Nous lions connaissance. Je suis traité de « gamin »: je parais tellement jeune.
A CERFONTAINE, en Belgique nous embarquons dans des wagons à bestiaux, entassés à plus de cinquante; à MALMEDY, nous entendons parler wallon et sommes émus. C’est là que nous apprenons la capitulation: nous sommes donc le 28 mai.
Nous débarquons à HEMER, dans un camp en blocs, inachevé, les fenêtres ne sont pas fixées, les portes ne ferment pas. Dans un bloc voisin du nôtre, vivent des soldats belges, j’y aperçois Alfred DASSOUL de Plainevaux et Maurice TERWAGNE de Berleur (actuellement au Butay).
Un peu plus loin, des officiers sont parqués, entourés de fils barbelés. Je suis curieux et je m’aproche et je reconnais le baron Oscar de SCHAETZEN et veux le saluer mais une sentinelle m’intime l’ordre de déguerpir et comme j’obéis trop lentement, envoie une rafale à mes côtés, alors je comprends le message. J’arrive à temps pour recevoir une gamelle qui sera remplie de soupe et de pain, cela me goûte bien. Nous y restons plus ou moins une semaine, rassemblés autour de Claus, un carolorégien qui parle allemand. Il nous conseille de rester bien groupés en tant que « prisonniers civils ».
Nouvel embarquement en train, nous roulons de 55 à 56 heures, de nouveau entassés de 50 à 60 par wagon, avec très peu de ravitaillement et nous arrivons à GÖRLITZ, près de la frontière polonaise.
C’est un camp de tentes de 50 m de long, bâti sur du sable. Un plancher nu nous sert de literie, avec une seule couverture. Heureusement j’ai toujours conservé la mienne.
C’est un camp d’immatriculation. Je suis photographié et je reçois le matricule 17371. Je passe alors dans un baraquement en dur, aussi long que les tentes. D’un côté, 3 couchettes superposées, adossées tête à tête à trois autres par groupe de 5 (30 personnes), 2 fois sur la longueur, séparés par des douches au centre. En face, des tables et des chaises en 3 ensembles réunis par des foyers en faïence.
Nous sommes soumis à certaines corvées comme d’accueillir les nouveaux et de les installer (c’est plutôt un plaisir). Après une dizaine de jours, nous avons dû revêtir des uniformes kakis polonais et comme ceux-ci sont méprisés et humiliés, nous cousons de petits écussons tricolores pour nous en distinguer.
Les soldats belges sont envoyés en commandos de travail dans une carrière. En juillet j’ai la chance de les accompagner. Les dortoirs comprennent des lits superposés, 2 par 2 . La nourriture est bonne et abondante. Je travaille 8 jours à l’extraction puis je suis désigné pour la cuisine et la buanderie, je suis si jeune!
J’y rencontre Antoine BOULANGER, de la Rimière, pour un tailleur de pierre, la carrière est une bonne coïncidence. Après 3 semaines, je suis remplacé par un Français et je retourne au camp.
Vers le 15 août, la Croix-Rouge passe dans le camp pour libérer les civils, mais comme nous sommes en kaki, les émissaires sont persuadés que nous avons été libérés. Trois mois plus tard, ils reviennent. Ils savent qu’à peu près cent civils sont encore prisonniers. Les tractations reprennent et aboutissent, nous allons rentrer chez nous.
Sur le chemin du retour, nous ne sommes plus que 40 par wagon, la nourriture est meilleure et plusieurs arrêts sont organisés pour une détente.
Le 10 janvier 1941, à ANVERS, je monte enfin dans un train normal, je suis toujours en kaki mais avec un uniforme français et une bonne capote bien chaude. Aux Guillemins, je téléphone chez moi et quand j’arrive aux Biens-Communaux, Papa est là, avec 2 vélos, il est heureux de me revoir mais ne le témoigne pas. Une famille aimante m’accueille: maman a préparé un véritable festin pour me recevoir, les amis et voisins défilent toute la soirée. J’ai alors été invité dans toutes les familles de prisonniers, je devais raconter la vie en Allemagne. Ma vie de fermier a repris son cours normal.
Clovis PARENT, qui allait avoir 35 ans, appartenait aussi au C.R.A.B. Il était marié et père de deux enfants, il consacra donc la journée du 10 mai à mettre ses affaires en ordre. Il arriva à Lobbes, le samedi matin et retrouva les jeunes, en plein désarroi.
Il rassura Lambert LAROCK: « Ne te tracasse plus, ton père a achevé de planter les pommes de terre avec l’aide des voisins ». Il faut rappeler que la veille au matin, il avait fallu arracher Lambert à ses travaux de la terre. Clovis questionna alors un policier de Seraing qu’il rencontra à la Maison communale. « C’est la ville de THUIN qui organise le regroupement » lui fut-il répondu. Il se présenta à THUIN où rien n’était prévu. Il revint désappointé, près de ses compagnons. Il leur demanda: « Qui revient avec moi, je retourne à Rotheux? » Tous admirèrent son audace, mais personne n’accepta. Il voyagea dans le dernier train pour NAMUR, là le convoi fut stoppé. Il trouva un vélo abandonné près de la gare et rentra à ROTHEUX, le dimanche matin.
Souvenirs de 1940. Marie BIHET
13 janvier.
Arrivée des soldats dans le village. Nous en hébergeons 11.
14 janvier.
Les soldats vont partir. Ils attendent plus d’une heure place de l’église puis reçoivent l’ordre de rester;
10 mai.
A 2 heures du matin: alerte; nos soldats s’en vont.
A 4h30 déclaration de guerre. A 7h. papa ne peut passer le bois pour aller à Ougrée, il ne part que l’après-midi par Plainevaux. Un de nos soldats reste au village jusqu’au soir. Deux personnes âgées (déjà des évacués), venant des hauteurs d’Esneux, viennent loger. Des Français passent sur la grand-route.
11 mai.
A 8h. un de nos soldats revient déjeuner puis s’en va. Entre 11 et 12h. deux autres nous disent au revoir dans le porche de l’église. Les évacués s’en vont. Le soir, papa nous amène 6 grandes personnes et 3 enfants, dont un de 5 mois, ils passeront la nuit à la maison. Beaucoup de personnes du village s’en vont.
12 mai.
A 4h30 du matin on entend tirer sur l’Ourthe. A 5h35 papa s’en va. Nos évacués s’en vont aussi, mais reviennent vers 10h: ils n’ont pu passer le pont d’Engis, le dernier qui restait a sauté. Nous les réinstallons. Dans l’après-midi, Bertha HAIDON nous amène encore 12 grandes personnes, mais nous n’en installons que 9. Le soir, une nouvelle circule que l’armistice est signé grâce à l’Italie, la Russie et les Etats-unis. Nous ne voulons pas aller dormir, pour attendre papa. Mais on tire encore, il faut bien aller se coucher. Nous n’avons plus d’électricité.
13 mai.
A 8h, après la messe, nous apprenons que l’on a vu 5 Allemands à ROTHEUX. 8 parachutistes allemands sont descendus à l’entrée du bois et font une tranchée dans les prés. Les 3 personnes que nous n’avons pas logées hier sont revenues. Il est 20h20, des camions et chevaux allemands passent rue MAFLOT depuis plus d’une heure. Ils se rendent vers Liège, dit-on. Ils ont installé des canons de D.T.C.A. dans le bois. Presque tous les évacués du village sont revenus. Des avions passent et repassent tout le temps.
14 mai.
Les Allemands s’installent plus ou moins à ROTHEUX.
4 soldats viennent demander de la paille. Nos réfugiés parlent de s’en retourner chez eux. On dit que la moitié de Liège s’est rendue. Les avions allemands passent bien bas. Une accalmie s’est produite l’après-midi. Il paraît qu’il est absolument défendu de faire la moindre lumière, sinon on a affaire aux militaires qui n’y vont pas de main morte. On dit que M. et Mme de LAMINNE sont internés chez eux et répondront de l’accueil fait aux soldats par les civils.
1 Lors de la mobilisation, les éditions liégeoise « PIM » proposait un manuel humoristique… La suite sera moins drôle.