Cahier d’exode
Souvenirs de 1940. Marie BIHET
15 mai
Nos 21 évacués sont partis.
Nous avions presque fini de tout remettre en place qu’un ami de papa est arrivé des Biens Communaux avec 6 autres grandes personnes et 3 enfants, puis, un peu après, 3 grandes personnes et un petit garçon de quatre mois, des Italiens sont encore arrivés. On évacue les Communaux sur ordre des Allemands qui préparent une attaque contre le fort de BONCELLES qui ne s’est pas encore rendu. Plusieurs fois dans la journée, un avion allemand a survolé les environs à très basse altitude.
16 mai.
Par Antoine CHARLIER nous avons des nouvelles de papa: il est allé loger à STATTE, chez les beaux-parents de Raymond LAFONTAINE puis est parti, direction MOUSCRON, avec Ovide LAFONTAINE et toute la famille AERTS. Le fort de BONCELLES est tombé dans l’après-midi; nos évacués partiront sans doute demain.
17 mai.
Nos évacués sont retournés peu avant 7h du matin. Nous avons passé la journée à tout remettre en ordre. M.. (10 ans) en allant chercher du pain, a reçu un demi-pain d’orge que les Allemands distribuaient, installés près de la boulangerie (chez LOISEAU). Ils faisaient aussi distribution de soupe.
18 mai.
La mitrailleuse contre avion a tiré pendant la nuit. La journée a été calme.
19 mai.
Changement des troupes allemandes casernées dans le village.
20 mai.
Par Mme PAIROUX: des nouvelles de la famille PRAILLET qui est à la centrale de CHARLEROI. Joseph LAFONTAINE est revenu.
21 mai.
Marraine est venue par le bois de Moxhe. Il y a eu beaucoup d’Allemands à la Croix André.
22 et 23 mai.
Pas de nouvelles.
24 mai.
A 1h30 François POISSEROUX vient nous annoncer que papa est revenu. Il venait d’AVESNES, à 22 km de la frontière belge, en FRANCE, où il a été rattrapé par les Allemands qui ont percé la ligne Maginot. Les militaires ont obligé les Belges à revenir chez eux. Papa faisait partie d’un groupe de 13 personnes: 3 familles de 4 personnes chacune (les parents et deux enfants) et lui-même. Dernière étape du retour: BAS-OHA/ROTHEUX.
25 mai.
L’électricité revient. D’après la radio, les Allemands ne se dirigent pas sur PARIS mais sur CALAIS, d’où ils espèrent bombarder l’Angleterre; ils veulent aussi encercler les Flandres où presque toutes les compagnies belges se battent. Presque tous les jeunes du village sont revenus; ils ont été dépassés par les Allemands près d’ARRAS, en France et ont eu l’ordre de rentrer chez eux.
Une évacuation doublement mortelle. Marie-Madeleine.
La guerre est déclarée. Parrain Joseph veut absolument évacuer et circonvient mes parents de me laisser partir avec eux. Maman est désespérée mais accepte pour « sauver la petite ». Parrain et marraine chargent la Chevrolet et nous voilà partis. Le pont d’Engis est dans l’eau, la nuit tombe, nous faisons demi-tour, autant dormir dans son lit.
Le lendemain matin, le canon tonne, des mitrailleuses « tictacquent » au loin et Papa, pris de panique, décide le départ de toute la famille.
Les animaux sont lâchés dans les prés, la Chevrolet est rangée dans le garage et nous nous hissons dans la camionnette Citroën, au milieu des matelas, des ustensiles, des vêtements,… Nous roulons bien, passons à Charleroi et nous nous dirigeons vers la France. Nous sommes freinés, dès le passage de la frontière, et suivons un convoi motorisé d’évacués. Nous laissons derrière nous une cohorte de piétons; ils avancent sur les bas-côtés, tels des automates.
Les villes succèdent aux villages et ma jeunesse se réjouit de l’aventure. Mais bientôt, ma joie se transforme en frayeur quand nous devons nous arrêter, de nombreuses fois, pour nous abriter des piqués des avions ennemis.
Chaque fois que les moteurs s’entendent, Parrain arrête le camion. Papa, très grand, enjambe le hayon arrière, me saisit, me plaque dans un fossé ou dans un buisson et me couvre de son corps, pour me protéger.
Ce 16 mai, Papa veut réitérer ses gestes habituels. Dans la cavité stagne un restant d’eau et j’ai chaussé mes beaux souliers en daim, aussi je refuse. Parrain, qui escalade le talus, me tire à lui et me tient, serrée, dans ses bras. Quand les tirs cessent, l’air est déchiré de cris de douleur et de gémissements continus. Je descends. Papa est là, immobile, couvert de sang: il a été scalpé. C’est un spectacle horrible. Maman surmonte sa peine pour consoler la mienne.
Bonne-Maman est hébétée et psalmodie : « mon petit, mon petit ». Mais la décision plus dure reste à prendre: il faut continuer pour ne pas bloquer le convoi et abandonner sur place le corps chéri. « Et si je refuse », demande Parrain ? Nous culbutons le véhicule sur le bas-côté, pour permettre aux suivants d’avancer. A ce moment-même, le char agricole que nous suivons depuis la frontière est renversé, les occupants sont tués tous les deux.
Et c’est ainsi que j’apprends que les civils sont des victimes innocentes et sans défense dans cette guerre détestable.
Nous sommes dans la Fôret Mormalle (Maubeuge), maman grave dans son coeur les lieux maudits. Le soir tombe, dans le village, nous cherchons à loger. Nous allons chez le curé et lui expliquons notre dilemme et signalons l’endroit du drame. Le curé nous assure que, dès le lendemain, les gardes forestiers enterreront les corps et les situeront par un objet personnel. A notre retour, nous correspondrons avec ce prêtre, il nous mettra en rapport épistolaire avec le Brigadier des Eaux et Fôrets : Monsieur DUPONT. Quatre jours plus tard, nous arrivons près de Besançon et passons la nuit chez des particuliers, qui, contre une légère rétribution, nous accueillent comme des familiers. Le lendemain, Bonne-Maman ne répond pas à notre appel. Elle est morte dans son lit, morte de chagrin d’avoir perdu son fils bien-aimé. Elle a des funérailles normales et est inhumée dans le cimetière du village.
Nous restons dans l’Averyon jusqu’au mois d’août. Nous partageons une belle maison particulière (le notaire a évacué plus au Sud) avec la famille MARCOTTY de Plainevaux (marchand d’animaux comme Parrain) et Paul LAFONTAINE de Plainevaux. Nous mangeons au restaurant créé pour les réfugiés.
Le voyage du retour se passe sans incident.
Dès que la circulation avec le Nord de la France est normalisée, maman, son frère Emile et son beau-frère Joseph se rendent chez M. DUPONT, au Nord de la France. Il déploie une carte de la Fôret de Mormalle et énumère les différents sites.
Maman y cherche la maison forestière qu’elle n’a jamais oubliée. Ils se rendent sur le terrain. Maman reconnaît la masure forestière, gravée dans sa mémoire : « Avancez, encore, encore, ici… » M. DUPONT exige un deuxième parcours avant d’agir. Et de nouveau, maman certifie la localisation, dans le fossé, non loin de tel arbre. M. DUPONT, aidé de deux gardes, dégage la terre et aussitôt maman identifie les souliers et les membres inférieurs de Papa. J’avais demandé un souvenir, maman me rapportera sa petite bourse en cuir.
Papa est enterré dans le cimetière communal. Nous resterons en relation suivie avec M. DUPONT qui entretiendra la tombe.
Au moins deux ans après la fin de la guerre, les deux défunts sont rapatriés. De grandes funérailles sont célébrées à Rotheux, avant que les deux corps ne rejoignent le caveau familial.
Une évacuation manquée. Joseph FILEE.
« Mon » évacuation en 1940, car chacun a eu la sienne!
Depuis le vendredi 10 mai, des familles venues de l’est de la Belgique avaient été hébergées à la maison pour y passer la nuit. Aussi le dimanche matin, mon père et son ami le facteur, tous deux des anciens de 14-18, ont embarqués leurs deux familles pour le grand « exode ».
La veille, nous avions chargé nos vélos de linge et de victuailles pour le voyage. Benjamin, le facteur, avait préféré une brouette plutôt que son vélo de service.
Et nous voilà, dès potron-minet, sur les routes de France… pardon, sur la route d’Aux-Houx: le ciel est bleu, l’air est doux, les oiseaux chantent, la journée s’annonce magnifique. Mais une première difficulté à surmonter (si on peut dire) est l’excavation creusée dans la route du bois de Hermalle par l’explosion des mines placées là par le Génie (celui de l’armée belge s’entend et non pas celui d’Aladin). Il faut y descendre vélos, brouette et bagages sans se fouler une cheville ni se briser un os.
Mais les voyages qui forment la jeunesse, dit-on, lui creuse aussi l’appétit! Comme je suis le dépositaire de la provision des bâtons de chocolat « Jacques » (publicité gratuite) placés sur mon porte-bagages, je trompe la faim qui me tenaille en puisant dans la valeur énergétique du cacao. Qu’est-ce que nous avons pu, mon frère cadet et moi, nous refaire de forces sur ce parcours!
Et nous voici à Clermont-Sous-Huy, près du chantier naval, où un passeur d’eau charge sa barque de bêtes, de gens et leurs maigres baluchons, de motos, vélos, brouettes ou poussettes pour les amener sur l’autre rive.
Mais à quoi bon! Durant la traversée, nous apprenons que les Allemands sont déjà sur la chaussée romaine qui va d’Amay à Tongres et qu’on ne peut déjà plus passer au delà de Huy. Alors… nous avons repris le même bac, nous avons retraversé aussitôt la Meuse et … nous avons pique-niqué, pardon, nous avons dîné sur l’herbe, puis nous avons repris la route vers Yernée cette fois, croyant éviter le grand trou. Et bien non: au premier tournant dans le bois, même scénario: portage des vélos, de la brouette et … réescalade des éboulis.
Avant la nuit nous étions de retour à la maison.
Une évacuation précipitée. J. LICOT.
Le 5 mai, je faisais ma communion solennelle, mais les bruits de guerre se profilaient de plus en plus.
Le vendredi 10 mai, il faisait très beau et vers midi mes parents commençaient à charger la voiture. Vers 17h, tout le monde embarquait vers une destination inconnue.
Nous avons fait étape aux Awirs, à Noville-les-bois puis à Montigny-le-tilleul où nous croisions les militaires français qui montaient au front.
L’avance allemande était foudroyante et nous avons dû mettre le cap au sud. Pourquoi? Mes parents avaient vécu jeunes la guerre précédente et avaient été témoins des cruautés allemandes, pendant l’occupation. Ils redoutaient de revivre de tels événement. Nous avons traversé toute la France et de nombreuses embûches pour arriver finalement en Ariège à Pamiers exactement. Nous y sommes restés 3 mois.
Vers la mi-août nous avons pu recevoir un laisser passer pour rentrer chez nous. Nous étions en zone libre et rentrions en zone occupée. La ligne de démarcation a été franchie aux environs de Bourges. C’était la première fois que nous voyions des militaires allemands, et cela nous a impressionnés terriblement.
Nous sommes donc rentrés vers le 25 août, dans une maison absolument vidée de son contenu. Les Allemands étaient passés en laissant des traces bien visibles: Des croix gammées, des Heil Hitler etc… marquées au fer rouge sur les meubles, peints sur les meubles etc… Des pillards aussi étaient passés, nous en avons eu des preuves par la suite. Bref, nous étions démunis de tout. Heureusement, les traitements de mon père étaient restés à la poste et les familles proches nous ont aidés.
Le 1er septembre, j’entrais en pension, complètement déboussolé par tous ces événements extraordinaires qui m’ont fait beaucoup de tort.
Une évacuation engagée. Rolande.
Liège, en Hors-Château, à 3 h du matin, tout est calme. Une lumière troue l’obscurité. A l’extrémité du dortoir, les cloisons des chambrettes ne sont pas très hautes, les étudiantes internes s’éveillent l’une après l’autre et sortent une tête curieuse. Que se passe-t-il? C’est EMMY, notre compagne d’Eupen, qui ferme sa valise et nous fait un petit signe de la main. Tout rentre dans l’ordre et nous nous rendormons.
A 5 h, nouveau branle-bas, des avions survolent le pensionnat en rase-mottes, cette fois c’est aux fenêtres que les nez se pointent. Des skrapnells tombent dans la cour, au pied de la citadelle. Pourquoi font-ils des manoeuvres si tôt dans la journée? C’est intéressant et nous jacassons, heureuses de désobéir sans remontrances.
Cette fois, notre surveillante nous conseille de faire notre toilette et de rejoindre le réfectoire, sans tarder. Là, notre Directrice nous annonce que nous sommes en guerre; nos parents seuls peuvent décider de nos départs. Personne ne parvient à avaler une bouchée et nous restons muettes alors que d’habitude notre table est plutôt bruyante. A 7 heures, mes parents téléphonent de Rotheux: je dois prendre le train, aux Guillemins, et rendez-vous, à Charleroi chez mes grands-parents maternels.
Je suis angoissée, jamais je n’ai voyagé seule, même pour mes rentrées trimestrielles, je suis toujours accompagnée.
Je monte à la lingerie, je boucle ma valise et gagne la gare. Le départ s’effectue normalement puis le train traîne, de direct il est devenu omnibus et est assailli à chaque arrêt.
Peu après Namur, en gare de triage de Ronet, je subis le premier bombardement de cette guerre, sans dégâts pour notre convoi.
Mes grands-parents m’accueillent, tendrement, en fin d’après- midi, nous attendons alors mes parents et mon frère. Ils arrivent à vélo, tard dans la nuit et discutent jusqu’au petit jour: partir à l’aventure ou se faire gâter chez bon-papa et marraine. Papa n’a qu’un espoir, rejoindre l’Angleterre, s’engager comme il l’a fait, en 1915, à l’âge de 18 ans… Nous prenons donc la direction de la mer. Je me rappelle certains noms comme Montignies-le-Tilleul, Landelies et surtout Lobbes où nous rencontrons les jeunes de Rotheux, puis frontière à Erquelinnes. C’est là que nous passons la nuit, dans une cave, réserve à pommes de terre, sur des matelas bien durs. Mais comme nous avions un sommeil facile et profond à l’époque!
Dès le lendemain matin, nous continuons notre marche, les vélos portant les bagages, dans une interminable colonne d’évacués, fatigués, déçus parfois agressifs. Que de fois avons-nous plongé dans les fossés ou sous le couvert des arbres. Que de fois les balles ont sifflé à nos oreilles et ont semé la mort autour de nous. Que de fois maman a détourné notre attention des malheurs et des chagrins des familles touchées par l’adversité.
Je me souviens d’une anecdote parmi d’autres. Mon frère se repose sur un long char, le fermier le recueillait de temps en temps. Une escadrille vrombit dans le lointain. Le conducteur fait claquer son fouet, au-dessus des deux braves chevaux qui démarrent dans un lourd galop efficace. Maman est déjà cachée dans un buisson. Papa la protège et Raoul disparaît dans le lointain. Que faire? J’enfourche un vélo et pendant toute la bataille aérienne,(plus ou moins soixante appareils) je fais la navette entre ceux que j’aime, inconsciente du danger.
Les villages défilent, nous marchons… Heureusement, la température est excellente, même les nuits sont agréables. Quant à la nourriture, je n’ai aucun souvenir, nous avions cependant un fameux appétit, naturel à notre âge, mais je ne me souviens pas.
Notre famille a été bien épargnée, pendant cet exode, plusieurs fois, nous avions à peine quitté une ville, qu’elle était bombardée, ce fut le cas à Valenciennes et à Arras. Parfois devant nous, les flammes achevaient de détruire ce que les bombes avaient épargné comme à Albertville où nous avons dû obliquer dans les campagnes. L’avant-garde de l’armée allemande fait le vide sur les routes principales.
Nous trouvons refuge dans une petite ferme, tenue par une femme seule, son époux est soldat. Les femmes deviennent ménagères et récurent avec soin, ce n’est pas du luxe. Les hommes deviennent garçons de ferme, c’est ainsi que nous gagnons notre logement et notre nourriture, dans un petit village nommé Rivery, non loin d’Amiens. C’est, dans ce patelin, que les Allemands nous rattrapent. Papa me cache dans une garde-robe jusqu’à ce que tous les soldats soient installés dans leurs cantonnements.
Le beau rêve de Papa est brisé, jamais il n’embarquera car toutes les routes vers les ports de mer sont interdites.
Sagement, nous optons pour la solution de reprendre le chemin en sens inverse, nous sommes fin mai. Le maire de la localité signe un sauf-conduit pour nous et pour quelques compagnons d’infortune qui ne nous ont jamais quittés mais dont je n’ai aucune souvenance.
Un exode au jour le jour (extrait)1. Jean STREEL.
Mercredi 15 mai.
Ce mercredi 15 mai va nous faire voir le spectacle terrible d’un peuple en exode. Imaginez-vous un cortège d’autos, de camions, de chariots tirés par des chevaux, de cyclistes, de piétons. Tout cela se serrant et se bousculant sur toute la largeur de la route, d’un point à l’autre de l’horizon. Représentez-vous alors un carrefour où aboutissent deux ou trois de ces cortèges se mêlant pour poursuivre leur route dans une même direction. Mettez là-dedans des chevaux qui s’emportent, des camions qui entrent en collision, les vociférations des automobilistes qui en trois jours n’ont avancé que de quelques kilomètres. Mettez au-dessus de cela des avions qui font se coucher par terre tout ce peuple en fuite, et plus haut encore un soleil de plomb qui fait ruisseler la sueur sur la figure où se colle la poussière. Non … il fallait s’y trouver pour savoir !
A force d’adresse d’acrobaties, nous parvenons à nous frayer un chemin parmi cette cohue, empruntant parfois les champs et les prés qui bordent la route nous passant nos vélos par-dessus les clôtures. Seuls les cyclistes d’ailleurs parviennent à se tirer d’affaire.
Sans le savoir, nous nous trouvons en France toute la bande au complet. On fait l’appel : Maurice, Gilbert, Schouters, Barbier, Léon et moi. Comment ne s’est-on jamais perdu ? Nous avons passé la frontière à Cousolre et roulons maintenant vers Avesnes. Nous sommes assez calmes car malgré les alertes et les plongeons dans les fossés, nous croyons les Allemands loin derrière nous. Une halte près d’Avesnes, nous mourons de soif. Près d’une pompe, une vieille vend de l’eau ! En plus, elle la rationne: un verre à chacun, pas plus. En plus, elle nous fait boire de l’eau de pluie ! Nous nous rattraperons dans un café non loin de là où nous avalons quelques bons demis !
Un homme tout excité nous montre sa jambe toute bandée: il raconte qu’il a reçu un éclat de bombe. Puis il en vient à narrer les exploits d’un certain Sapin qui pendant l’autre guerre, monté sur un arbre, avait couché par terre plusieurs dizaines de « Zühlans ». Bien que pathétique, son récit nous fait rire aux éclats. C’est en riant que nous reprenons la route, à la file indienne, comme nous en avons pris l’habitude. Maurice, qui ferme la marche, crie: Hop …! Des avions …! Couchez-vous ». Avec un ensemble parfait, nous plongeons dans le fossé, tête en avant. Tandis que nous nous protégeons la figure des orties, une dizaine de gros bombardiers passent par-dessus nos têtes salués par les canons au milieu desquels nous avons atterri. Les avions lâchent leurs bombes sur Avesnes toute proche.
Nous nous relevons fiers de notre manoeuvre que nous devrons répéter des dizaines de fois au cours de notre voyage.
Mais la journée nous réservait encore d’autres surprises. Ainsi, à quelques kilomètres de la Nouvion, nous apercevons devant nous un jeune homme transportant une jeune fille sur le cadre de son vélo. Derrière eux, un jeune garçon en vélo aussi, pousse tant qu’il peut pour aider les deux amis à monter une petite côte. Incroyable …! C’est Respen, mon voisin de lit à l’école normale. Il nous présente sa fiancée et le frère de celle-ci. Notre ami se trouvait chez sa fiancée quand la ville a été bombardée. Il a pris sa promise sur le cadre de son vélo et se sont sauvés dans la campagne. N’osant plus rentrer dans la ville de Mons, je crois, ils ont continué vers la France et les voilà, après 4 jours de voyage, éreintés, ankylosés, à bout de souffle. C’est ainsi que notre troupe s’agrandit de trois unités. A tour de rôle, nous pousserons les amoureux dans les grimpettes du pays.
Et voici la nuit. Où logerons-nous ? Nous frappons à la porte d’une ferme où l’on nous regarde avec des figures méfiantes. Nous sentons dans le discours du fermier que pour lui Belge signifie Boche ou espion …! Maurice lui fourre sa carte d’identité sous le nez et élève la voix. On nous accepte enfin et nous prépare une litière dans l’écurie. Cependant notre estomac crie famine. Nous nous rendons dans une auberge où nous soupons royalement et à peu de frais. Nous avons échangé notre billet de 5OO francs contre 800 francs français. C’est notre première dépense.
En rentrant à notre ferme nous eûmes un exemple de la terreur qu’inspiraient partout les espions et les parachutistes : « Suivez-moi, à la file indienne, criait un homme, il est là dans la prairie! « Il … c’était un prétendu espion, que nous n’avons jamais vu! Nous n’en verrons jamais nulle part d’ailleurs, bien qu’ils soient signalés régulièrement.
1 La totalité de ce récit vous sera proposé prochainement.