2178. Les « Fifties » comme je les ai connues. 3ème partie

Ghislaine Souris-Rome

Jours après jours

Jeanine Lambotte

La télévision, la meilleure ou la pire des choses ? C’est une étrange lucarne sur le monde. Quel usage en fait-on ? C’est une question de discernement. Maintenant, impossible de s’en passer, elle devient une sorte de drogue, pour certains du moins. La télé peut vivre par elle-même soutenue par tous les progrès techniques, mais la plupart des gens ne peuvent pas vivre sans la télé, sous peine de passer pour des farfelus, pour des gens qui ont un mode de vie différent, voire suspect…

Quoi qu’il en soit, la télé rencontre, dès son arrivée sur le marché, un succès de plus en plus progressif malgré son prix élevé. Dans les fifties, certains en louent une – en noir et blanc-avant d’en faire l’achat, toujours très onéreux. Ce nouveau média, poste volumineux et aux programmes peu diversifiés, commence par rapprocher les personnes, car ceux qui n’en disposent pas se rejoignent chez les voisins qui ont la chance d’en posséder une, volumineuse et aux programmes peu diversifiés. Initiative heureuse, mais fragile qui a cédé devant ces écrans envahisseurs de toutes les familles, au point de rompre le contact entre leurs membres. Qui n’a pas sa petite télé personnelle-chérie ?

Je ne vais pas disserter sur ce fait de civilisation qui évolue sans cesse. Avec la télé, le monde se transforme en village : ses informations permettent de voir et de savoir en direct (information ou intoxication ?). Les divertissements, reportages, sports et films révèlent Jeanine Lambotte.

Et que serait notre champion national Eddy Merckx sans le célèbre et inimitable Luc Varenne – à moins que ce ne soit l’inverse ?

On se souvient aussi de Georges Konen pour l’information : d’abord le relais de Paris, ensuite le journal télévisé belge avec Paul Demol comme rédacteur en chef… Jacques Careuil retient l’attention des plus jeunes. Georges Ménéssier termine ses interventions par « et nous savons que nous pouvons compter sur vous», tandis que Paule Herreman, avec Georges Désir, est la grande prêtresse de l’émission « Visa pour le Monde ».

Pour les personnes âgées, isolées ou malades, la télévision apporte un certain réconfort. « Ca fait passer le temps », disent-elles avec une mine assombrie. La télé ne remplacera jamais un sourire, un vrai regard, un geste tendre. Ce n’est guère possible compte tenu que personnel soignant  est dépassé par des horaires serrés et des tâches multiples.

Et pour nous ? A forte dose, cette boite à images isole, engendre la passivité, tue la créativité. Mais c’est un autre débat qui sort du cadre des fifties.

Transportons-nous…

Pendant les années 50, le vicinal nous conduit de Clavier à Liège : le tram jaune s’arrête à Neuville et nous traversons le bois en passant par « Villencourt » jusqu’à la gare ferroviaire du Val-Saint-Lambert. Pour Papa et moi, jeune ado de 12 ans, c’est la seule façon de rejoindre Liège ; Papa, son bureau, et moi, le pensionnat.

Le vicinal à Neuville en Condroz

En été, je reste sur la plate-forme, à l’air. Le soleil joue avec les feuillages des arbres et longe le ruisseau de Neuville qui se jette dans la Meuse au Val-Saint-Lambert. L’hiver, je reste confinée à l’intérieur du wagon cahotant, ravie quand la neige recouvre les grosses pierres du ruisseau qui paraît presque noir. « L’ancienne voie du vicinal » s’en souvient du petit tram jaune !

Après mes humanités, j’emprunte l’autobus à la gare de la Sauvenière pour rentrer à la maison. C’est l’ « heure de pointe ». L’autobus, bondé de navetteurs et d’étudiants, est surchauffé. On reste souvent debout accrochés aux poignées ou aux barres de sécurité. Le moteur diesel me donne la nausée. J’essaie de m’en distraire en admirant, au travers des vitres embuées, les premières villas de prestige sur la toute récente route du Condroz qui relie Liège à Marche notamment

La verdure estivale grignote les bois du Sart-Tilman. Sous la neige, la même réflexion me revient toujours : « ce soir, l’hiver, ganté de blanc, a épousé la forêt ». Je suis incorrigible.  

Un an de trajet en bus altère ma santé. L’oncle Arthur, médecin, remarque : « tu es beaucoup trop maigre. Tu ne peux pas continuer comme ça ». Je suggère alors avec politesse et fermeté : « je cherche une chambre à Liège ou bien papa achète une voiture. Ce serait la meilleure solution puisque ma sœur, Christiane est lotie à la même enseigne ». Papa achète effectivement une auto d’occasion, une Opel Kapitän, et nous faisons du covoiturage avant la lettre, avec Monsieur Albert Havelange, Marie-Ghislaine Wéry, ma sœur Christiane et moi. La route-du-Condroz n’était pas encore délimitée par des lignes blanches. Très gênant par temps de brouillard ! Monsieur Havelange, copilote doit baisser sa vitre et passer la tête – emmitouflée dans un passe-montagne surmonté d’un pompon– par la fenêtre pour dire à papa s’il est bien sur la route ou sur le bas côté herbu, dont la déclivité mène tout droit au fossé…

Il est vrai que la circulation est fluide et permet cette pratique. On croise des voitures comme la Simca 1000, l’Ami 6 et la célèbre 2 cv si sympathique, la Renault 4 ch, la Coccinelle VW, la petite Peugeot 203 et la sombre Citroën 11 cv, fort utilisée par les Allemands pendant la guerre, mais qui a suivi une carrière plus pacifique dès la fin de celle-ci.

Venues d’Amérique, au début des années 50, les Ford, Chrysler, Oldsmobile, Chevrolet , Buick, … sont des signes extérieurs de richesse que peuvent s’offrir les mieux nantis de nos concitoyens. Confortables, rapides, grandes consommatrices de carburant – pour rien à l’époque – elles bousculent les idées : on ne calcule plus les distances en kilomètres, mais en durée.

La vie quotidienne…

Je choisis de souligner un changement qui m’a interpelée, car je l’ai vécu. Au début des années ’50, les jeunes filles font des études, secondaires ou même supérieures qui leur dégagent des perspectives nouvelles : désormais, elles exercent une profession de leur choix. On assiste à un changement dans les mentalités d’autant plus que les militaires prisonniers de guerre – jeunes pour la plupart – reprennent leur carrière là où les femmes les ont remplacés : dans les bureaux, les usines, les ateliers spécialisés, les commerces et même aux champs.

Elles y avaient découvert la camaraderie des collègues, la solidarité, une certaine indépendance financière. Elles se sentaient utiles dans leur nouveau statut social.

Mais il faut dorénavant qu’elles réintègrent la vie de femme au foyer. Difficile, pour certaines, fortes d’avoir vécu une expérience sociale nouvelle. D’autres sont plutôt soulagées. Il faut donc trouver un pôle attractif pour ramener et retenir ces dames dans leur cuisine. Désormais, elles endossent la responsabilité de leur maison ; entretien, maintenance, rénovation. Sur un autre plan, elles assurent l’éducation, le bien-être des enfants.

Comment les garder contentes de leur sort, épanouies ? Ce n’est pas un hasard si les premières « cuisines américaines » traversent l’Atlantique et deviennent en Europe les premières cuisines équipées recouvertes d’un matériau révolutionnaire le « Formica ».

Les appareils ménagers s’installent petit à petit : aspirateurs, machines à laver, essoreuses, fers à repasser, frigos, casseroles à pression, etc.

Ne la laisse pas tomber
Elle est si fragile
tre une femme libérée, tu sais
C’est pas si facile
Chanson du groupe Coockie Dingler reprise par J. J. Goldman

La vie sociale réapparaît aussi dans les réunions du style « Tupperware », c’est une nouvelle façon de vendre en petit comité des ustensiles ménagers, des vêtements, des bijoux, des bonbons même, d’échanger des recettes culinaires, et j’en passe. Les messieurs ne sont pas très concernés par les occupations féminines car ainsi ils ont la possibilité de se consacrer à leur carrière. Heureusement ce n’est pas le cas de tous.

A propos de premières foires commerciales, je me souviens de l’une d’elles. Une démonstratrice présente les premiers « mixers ». Elle verse de l’eau dans la partie supérieure de l’appareil, y découpe un blanc de poireau, deux carottes, une pincée de cerfeuil, une branche de céleri, actionne le bouton du moteur électrique et l’hélice coupante de l’engin miracle. Aussitôt elle nous verse 2 ou 3 gobelets de soupe ! Appétissante d’ailleurs. Cependant je pense : il n’y a pas grand-chose de nourrissant dans ce petit cocktail … et je ressens la consistance, le goût de tous les légumes de notre potager et « le jour de la soupe » qui contente si généreusement nos estomacs.

Epinglons encore aux valves des Fifties.

Dans les années ’50, Coca Cola fait son entrée en France. Inventée en 1885 par un pharmacien américain, cette boisson est une limonade à base de feuilles de coca et de noix de Kola au goût particulier et dont la recette est toujours secrète. Chez nous, elle va s’imposer petit à petit. Pour son développement, la publicité joue un rôle considérable.

Dans les affiches la couleur rouge domine.

Une autre invention dont le développement survient à cette époque. Un Français, Marcel Bich, fabricant de stylos, porte-mines rachète le brevet du stylo à billes inventé par le hongrois Laszlo Biro et lance en 1953 le stylo à bille Bic Cristal. La forme du BIC n’a pas beaucoup évolué. C’est le stylo à bille le plus vendu dans le monde : de 1950 à 2005 plus de 100 milliards de stylos.

Le Roi Baudouin se servait toujours d’un BIC pour prendre des notes dans son petit carnet lorsqu’il recevait des personnalités. La société BIC s’est beaucoup diversifiée après les années ’70. La forme des premiers bics à capuchon existe toujours ainsi que le logo publicitaire datant de 1962.

Dans les années 50, la création et la lecture des bandes dessinées sont mal acceptées tant socialement que culturellement. Pourtant, c’est au cours de ces mêmes années que la bande dessinée prend vraiment son essor. Les hebdomadaires Tintin et Spirou se développent parallèlement. Le phénomène est semblable dans le domaine éditorial : les maisons Dupuis, Lombard et Casterman détiennent le quasi monopole de l’édition de bd en Belgique.

Elle devient populaire et comment expliquer son succès, sinon dans une grande mesure en tous cas par la qualité exceptionnelle du neuvième art belge. On est vraiment surpris par la liste des chefs d’œuvre durables qui ont vu le jour pendant cette décennie. Rappelez vous, à l’époque, les jeunes de 7 à 77 ans dévoraient chaque semaine les aventures de Tintin, Spirou et Fantasio, Blake et Mortimer, Bob et Bobette, Lucky Luke, Buck Danny, Modeste et Pompon et bien d’autres.

L’album de Tintin, « On a marché sur la lune », dessiné par Hergé est prémonitoire du vol Apollo 11 le 20 juillet 1969 où on verra les astronautes Aldrin et Armstrong qui foulent effectivement le sol de notre satellite. Le troisième astronaute, Collins, était responsable de la cabine.

C’est en 1959 que Uderzo et Goscinny créent Astérix et Obélix dans le petit village des irréductibles gaulois face aux légions romaines.

Avec l’engagement de Peyo au journal Spirou, arrive le succès. Les séries se multiplient : Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs, Benoit Brisefer, …. Dans les années ’60, débordé par la demande, Peyo ouvre son propre studio.

Je veux aussi rappeler au souvenir de mes lecteurs que le 8 août 1956 se déroule un drame à la mine du Bois du Cazier à Marcinelle. Un coup de grisou tua 262 mineurs dont la plupart sont des étrangers, italiens surtout. Hommage leur soit rendu.

Bibliographie

  1. Pierre Stéphany. « Nos années ’50 ». Document Duculot
  2. « Les Fifties en Belgique » Galerie CGER Bruxelles
  3. « Les 120 dernières années de la Belgique ». Les Soir illustré Numéro Hors série Rossel paru en 2007
  4. France Debray. « Expo ’58, le grand tournant » La Renaissance du Livre
  5. Le Vif/ L’Express 21è année, numéro 46, novembre 2003
  6. « 70 Ans d’histoire des Belges ». Les Soir illustré paru en novembre 1998

L’enseignement dans les fifties

La mode dans les fifties