0767. Les Trois Seigneuries.

R. HERRIN et H. GROSJEAN

TROIS RIS – QUARANTE BONNIERS

SOMMAIRE GEOGRAPHIQUE

« La Tram » (Les 3 ris) n’est pas un territoire. Elle est liée à plusieurs d’entre eux.

On y distingue :
la présence de 3 ruisseaux;
– la jonction de 3 seigneuries puis de 3 communes;
– un antique point de passage des produits de la forêt;
– le trafic, durant 60 ans, des voyageurs et marchandises du chemin de fer vicinal
(VSL – Clavier).

Les 3 ris – Vue actuelle du site.

Ne pouvant considérer ce point comme site unique, nous avons préféré le rattacher aux « Quarante Bonniers » qui occupent – au-dessus des 3 Ris – le sommet de l’interfluve des deux ruisseaux principaux. Cet endroit est particulier, lui aussi.

Bien que situé dans le Bois de la Neuville, il fut une enclave appartenant à l’Abbaye du VSL. Un tel plan de travail nous permet de poursuivre, sans interruption, la description de la première seigneurie.

Les « Trois Ris » se situent donc au confluent de deux profonds vallons. Le premier, celui du Chèrâ (ou Val d’Osny) plus étroit; le second nettement plus large et au fond duquel serpente le ruisseau de la Neuville.

Depuis la jonction des deux cours, en regardant vers l’amont, nous avons :
– à gauche, une raide colline appartenant au Bois de la Vecquée;
– entre les deux ruisseaux, une autre colline, extrémité du Bois de la Neuville et sur la croupe de laquelle s’étendent les « Quarante Bonniers« ;
– à droite le versant du Bois de Rognac/Ivoz;
– derrière, la vallée qui descend jusque Villencourt.

Situation en 1777

Drainant un important bassin hydrographique, les ruisseaux, ruisselets et sources roulent des eaux pures et abondantes.

Une voie charretière – et ses embranchements dans les vallons adjacents – part du confluent vers Ville-en-Court. Un chemin issu d’une liaison Ville-en-Court/Neuville, descend en diagonale à flanc de coteau depuis leplateau Ouest du Bois de l’Evêché.

Situation de nos jours 

Des modifications apparaissent au confluent.

Le bas des collines de la Vecquée et de la Neuville est suivi par une drève qui n’est autre que l’ex-voie des chemins de fer vicinaux. Elle franchit le ru du Chèrâ sur un petit pont de briques.

Le régime des eaux est perturbé par l’urbanisation de la Neuville. Le ruisseau principal, pollué, contient encore de la vie mais les possibilités de reproduction des espèces sont très altérées.

Débouchant du val d’Osny, le chemin bordé d’une vieille haie de charmes est celui qu’empruntaient charrons et charbonniers.

Un sentier – reste de la VV(voie vicinal) n°60 Sg venant des « Communes » – dévale directement la colline de la Vecquée.

Une petite carrière montre ses vestiges rive gauche du ruisseau de la Neuville. Un chemin y monte puis escalade le versant du Bois de Rognac/Ivoz. Celui-ci garnit la pente, enfermé dans une clôture à gibiers soulignée par un passage creusé en corniche. Cette clôture franchit l’ex-voie de chemin de fer en amont, et s’accroche à la colline du Bois de la Neuville. Au sommet, elle marque la limite Nord/Ouest des « Quarante Bonniers« .

Les Bois de Rognac et de la Neuville (dont les « Quarante Bonniers« ) sont privés. Le Bois de la Vecquée est du domaine public.

APERÇU HISTORIQUE

Situation en 1777

Mieux que maintenant, dans une forêt alors plus étendue et encore reliée àd’autres, le site est vraiment au cœur de la sylve. Comme détaillé dans les pages suivantes, une des grosses productions forestières transitant par les « Trois Ris » est celle du charbon de bois.
Durant des siècles, les versants avoisinants produisent ce combustible indispensable à l’industrie métallurgique en expansion.
C’est toujours le cas à la fin de l’ancien régime.

Situation après la révolution française 

Il ne faudra plus longtemps avant que l’invention du coke supprime cette lourde imposition des milieux forestiers. On peut donc supposer, dans la première moitié du 19me s., que le genre de taillis se modifie. La « charbonnette » doit se transformer en taillis à fascines destiné aux nouveaux charbonnages industriels.

Avec la saisie des biens ecclésiastiques se termine la longue période où trois seigneuries se rencontrent aux « Trois Ris ». Seul le bois de la Neuville reste « Seigneurie ». Le Bois « d’Elvèkée » (Etat/Communes) et le Bois impérial de Rognac (Etat) sont du domaine public.
Mais le Bois de Rognac redevient privé après 1815.
En ce qui concerne les « 40 Bonniers », la Révolution française les fait « biens nationaux« . Plus tard, nous les retrouvons aux mains de la Sté Générale des Pays-Bas. Ils sont revendus après 1840, à la Seigneurie de la Neuville.
A cette occasion, on relève un fait bizarre : bornés officiellement en juillet 1755, les « 40 Bonniers » n’en comptent plus que 26 lors de la création du cadastre vers 18431. Côté Rognac (rive gauche) les bois sont cédés à un particulier en 1844 par la SA. Manufacture de Glaces.
Dans un courrier de cette Société est mentionné en 1847 l’existence d’un pont en forêt, intéressant à la fois les anciens, bois de cette Société, ceux du Comte de Lannoy et celui de la Vecquée. Le site des « Trois Ris » semble être le seul endroit possible. Il y aurait donc eu un pont difficile à localiser actuellement. Peut-être fut-il détruit pour permettre la construction de celui du chemin de fer vicinal fin du même siècle ?

Le pont du vicinal aux 3 ris – Vue actuelle

Vers 1850, la Seigneurie de la Neuville s’étant agrandie par différents achats, ce domaine boisé s’entoure d’une haie de charmes. Celle-ci parvient aux, « Trois Ris« . Equivalence ancienne des modernes clôtures à gibiers difficilement franchissables, elle est renforcée de forts fils de fer lisses. Cette barrière est peut-être cause de la disparition de l’appellation « Trois Ris« .

En effet, l’accès de la rive gauche du ru du Chèrà et l’utilisation de l’antique chemin creux transversal Villencourt / Neuville, ne sont dès lors plus possibles. De l’extérieur, il devient malaisé de réaliser qu’un 3ème ru (celui de la Petite Vallée dont l’issue est étroite) aboutit dans le site.

Vestige de la haie de charme , le long du ry chéra.

Dans les années 1880, les travaux du chemin de fer vicinal (voie unique) apparaissent aux « Trois Peupliers » (ex-3 Ris). En 1890, passent les premiers trains à destination de Clavier.

Ce trafic est l’occasion d’un nouveau baptême. L’ancien carrefour forestier devient « Al Tram« . Pourquoi là spécialement, alors que la voie traverse des kilomètres de forêt ?
Peut-être était-ce une halte à l’époque ?
Plus tard, l’expansion du français en fera « La Tram » …
Au même endroit, est ménagé un faux plat permettant à la locomotive de prendre de la vitesse avant la grimpée suivante.
Afin d’autoriser certains croisements, on y installe également une voie supplémentaire. Un des petits ponts construits sous les rails, permet aux trains de franchir le rû du Chèrâ à son arrivée dans le ruisseau de la Neuville.

Début du siècle, en aval du confluent, une source sort du rocher devant le ballast. On y aperçoit scellée dans la pierre, une chaînette à laquelle pend une tasse d’étain à l’intention du passant assoiffé. Il n’est pas aisé de déterminer l’époque où ce travail fut effectué.

La lère Troupe (Boy-Scouts sérésiens) campe en 1917 à « La Tram« . Profitant d’un arbre flottant dans le ruisseau, ces jeunes gens ont l’idée de l’utiliser comme base pour un barrage, juste en aval du confluent. Cette construction créera une pièce d’eau s’étendant à gauche dans l’embouchure du Chèrâ, à droite vers la Neuville. Nombreux seront les enfants qui y apprendront à nager, Entretenu, cet ouvrage subsistera près d’une vingtaine d’années. Ce sera la fameuse « Goffe de la Tram » dont le nom se perpétuera longtemps après sa disparition.

En 1918, le camp de deux mois de cette lère Troupe au Trou d’Osny (dans le vallon du Chèrà) bat son plein. Le ravitaillement est difficile et le système D à l’honneur. Tous se démènent sauf un : le poète, le peintre fuyant les corvées.
Un jour, il se défile avecson chevalet et gagne « La Tram« . Il s’installe dans la courbure de la voie pour peindre.

Un train descend en ferraillant. A flanc de coteau s’agite un chiffon blanc. Puis trois lourds sacs jaillissent d’un wagon et basculent l’attirail de peinture. Sidéré, le scout ouvre les sacs pour découvrir farine, beurre, pommes de terre.

En montant de Villencourt, le trajet du vicinal

Ployant sous le trésor du marché noir, ilfait une entrée triomphale dans un camp qui n’a plus connu pareille bombance depuis des semaines.
Vous aurez deviné que les contrôleurs du ravitaillement guettent à Villencourt et que les complices des fraudeurs ont prévu le cas.
1939/40 prolonge jusque là les fortifications, mais elle s’étendent plutôt vers le plateau de la Vecquée. Mai 1940 provoque leur abandon.

En juin de la même année, des braconniers – profitant de l’évacuation de la population (et des gardes) – déposent depuis le confluent, dans le ruisseau de la Neuville, tronçon aval, un produit nocif. Ensuite, ils remontent dans l’eau depuis Villencourt, réalisant une pêche miraculeuse mais désastreuse pour le milieu. Exécuté pour la première fois sur une aussi grande échelle, ce massacre provoque la disparition définitive d’espèces : la loche, la moule et une raréfaction conséquente de l’écrevisse.

La Résistance, en 1943, a de nombreux réfractaires à nourrir. Elle arrête à « La Tram » le train des fraudeurs, sans doute pour décongestionner les portefeuilles trop gras destinés aux fermes condruzes.

La même année, les « 40 Bonniers » » ainsi que la forêt les entourant, changent à nouveau de mains avec le décès du dernier Seigneur de la Neuville. Si les bois environnants subsistent encore, c’en est fini des Seigneuries.

Août 1944 ! Un important maquis s’installe dans le Bois de Rognac/Ivoz, avec des postes sur les collines d’en face, donc autour de « La Tram« . Ces garçons seront, début septembre, les premières troupes alliées à pénétrer à Seraing. Au même moment, les américains passeront à la Neuville, Rotheux, Plainevaux, de l’autre côté de la forêt.
Après cette dernière guerre, les coupes ravagent l’ancienne Seigneurie de la Neuville. Des versants, des plateaux se dénudent.
Le chemin de fer fonctionne jusqu’en 1952. Il aura été extrêmement utile aux populations condruziennes. Cependant, en forêt, il fut responsable de nombreux incendies si bien que, peu avant sa cessation, on finit par créer au long des points sensibles un coupe-feu suivant le bas des côteaux.

Les « 40 Bonniers » – intégrés depuis longtemps dans leBois de la Neuville – reçoivent, après les grandes coupes, d’importantes plantations de résineux.

Vers la moitié des années 1960, le propriétaire du Bois de Rognac/Ivoz enferme dans une clôture à gibiers quelques 350 Ha de son bien, comprenant d’ailleurs une bonne part du Bois de la Neuville. Avant d’escalader la colline vers les « 40 Bonniers ». Cette clôture recoupe l’ancien « faux plat » du chemin de fer.

C’est àcette époque que la pollution du grand ruisseau occasionnée par une urbanisation galopante du plateau condruzien, commence à produire des effets. Elle ne fera que croître.
Cette maladie est aggravée par la perturbation du régime des eaux et les matières en suspension, toutes ayant même origine.
Les jours de fortes averses, ce malheureux ruisseau exhale des relents suspects. En cas de crues exceptionnelles, l’union des ruisseaux de la Neuville et du Chèrâ s’opère de manière inhabituelle : venant de la Neuville, surgit un flot jaune tumultueux; du val d’Osny arrive un torrent qui, par comparaison, semble noir. Les deux teintes – jaune, noir – voisinent sur une cinquantaine de mètres avant de se mêler.
Ce phénomène – qui marque la différence de santé entre ces deux cours d’eau – était inconnu avant les années 1960.

Le pont des « Cosaques » le long du ry chéra

1Le tracé des « Quarante Bonniers » figurant en début de chapitre, est celui de 1843. Peut-être était-il déjà tel en 1755 ? Auquel cas, « 40 Bonniers » serait l’appellation primitive du même lieu-dit alors plus vaste ?
Un déplacement frauduleux de bornes est difficilement crédible.