1903. La famille de Tornaco et le sport automobile.

Edouard David

Il y a quelque temps, un de nos membres nous contactait pour nous parler de compétitions automobiles auxquelles participaient des représentants de la famille de Tornaco.
Effectivement, Raymond de Tornaco (1886-1960) et son fils Charles (1927-1953) ont participé, au plus haut niveau, à des courses automobiles. Cependant, il ne s’agit pas de la branche de Tornaco qui a possédé le domaine de Neuville-en-Condroz. L’arbre généalogique (succint) ci-joint vous montre le lien qui existait entre Raymond de Tornaco et Camille de Tornaco qui possèdait le domaine de Neuville-en-Condroz.


Pour la facilité de lecture, les cases sont en grisé sur le schéma.


Afin de répondre plus complètement à la question, nous avons interrogé Christophe Gaascht, un spécialiste du sujet. Il a gentiment accepté de nous rédiger l’article qui suit.
Passionné par le sport automobile et intéressé par l’histoire du circuit de Francorchamps, il a déjà publié un premier livre « Willy Mairesse, le chevalier meurtri » aux éditions Nostalgia.

Raymond de Tornaco et son mécanicien, au départ à Francorchamps en 1922

Les gentilshommes du volant, Raymond et Charles de Tornaco.

Texte de Christophe A. Gaascht

A l’aube du 20ème siècle, l’automobile encore balbutiante est l’accessoire favori des sportsmen. Le baron Raymond de Tornaco n’échappe pas à cette frénésie.

Pilote talentueux, il se distingue en 1922 en remportant la première course disputée sur le circuit de Francorchamps1, à la création duquel il a également contribué. Ayant à son bord son fidèle mécanicien Barthélemy Bruyère, il pilote une Impéria Abadal sans soupape, construite à Nessonvaux-lez-Liège. L’année suivante, Raymond associé à Paul Gros sur Bignan, participe au tout premier Grand Prix d’Endurance des 24 Heures du Mans. Au terme d’une course sans souci, il termine à une honorable 3ème place (1er de catégorie) et lance la fantastique épopée des Belges au Mans.

On retrouve encore son nom dans quelques palmarès : vainqueur de la Coupe de l’Automobile Club de Spa, dans le cadre du Meeting de Spa en juin 1923, 10ème des 24 Heures du Mans en 1924 avec Francis Barthélemy sur Bignan, et 3ème avec Barthélemy sur Bignan des premières 24 Heures de Francorchamps en juillet 1924.

Raymond de Tornaco et son mécanicien vainqueur à Francorchamps.

Dans l’immédiat après guerre, son fils Charles est aussi séduit par la griserie de la vitesse.
Ce gentilhomme insouciant incarne à merveille la jeunesse dorée de son temps.

A cette époque, il rencontre un certain Jacques Swaters2 ; les deux hommes sont avides de sensations fortes, et avec leur physique de jeunes premiers, ils choisissent la compétition automobile comme sport favori. En 1950, ils créent l’Ecurie Belgique et engagent une Véritas Météor. La voiture est peinte en jaune, couleur attribuée à la Belgique en compétition à l’époque où les plus prestigieuses courses automobiles se couraient souvent par équipes nationales.

Cette association est inspirée par l’Ecurie Belge, fondée par John Claes quelques années plus tôt. Claes dispute les Grands Prix du tout jeune championnat du monde de Formule 1, et pour ce faire, le pilote Bruxellois a acheté une Talbot Lago, un des maîtres achats de l’époque.

Charles de Tornaco

En 1951, l’Ecurie Belgique intègre Roger Laurent, industriel et ancien pilote motocycliste, ainsi que André Pilette, un jeune plein de promesses. André est le fils de Théodore Pilette, qui était lui aussi pilote de course avant la première guerre mondiale3.

Les quatre hommes achètent en copropriété une Talbot Lago, qu’ils pilotent à tour de rôle dans les épreuves de Formule 1. Afin de récolter quelques deniers, les compères organisent le 1er février 1952, le ‘Bal du Volant’, événement mondain par excellence, dans le cadre de l’Etrier Belge avenue du Vert Chasseur à Bruxelles. Le parterre y est constitué par la noblesse Belge et des industriels de haut vol.

Un luxueux carnet de bal est proposé aux invités, les grandes maisons de la capitale se bousculent pour figurer dans ses pages, où sont relatés les succès de la jeune Ecurie.

Quelques semaines plus tard, Jacques Swaters change le nom de l’écurie : elle s’appellera désormais Ecurie Francorchamps. Ce choix est bienvenu, surtout pour les organisateurs étrangers, qui se mélangeaient les pinceaux avec ces écuries aux noms si semblables (Ecurie Belge / Ecurie Belgique)4.

A la Pentecôte, Swaters prend livraison à Maranello, d’une magnifique Ferrari 500 F2 jaune. Il la ramène par la route et se rend directement à Chimay pour disputer le Grand Prix des Frontières. C’est Roger Laurent qui prend le volant et se classe deuxième derrière Paul Frère sur HWM.

Les sociétaires prennent part à des compétitions hors championnat, mais aussi aux Grand Prix de F1 où les Formules 2 sont admises. Charles de Tornaco participe avec la Ferrari à deux épreuves de F1 en 1952 : le Grand-Prix des Pays Bas (abandon) et le Grand-Prix de Belgique, où il termine 7ème. Laurent et de Tornaco sont ensuite engagés aux 24 Heures du Mans 1953, sur une Jaguar type C, et s’y classent à la 9ème place. Charles de Tornaco dispute sa dernière course de Formule 2 à Cadours (Ferrari 500) et y termine 5ème.

Le 19 septembre 1953, il est pilote titulaire de la Ferrari 500 pour le Grand Prix de Modena. C’est lors des essais que le drame éclate ; la voiture jaune sort de la route, le Baron de Neupré est grièvement blessé à la tête et au cou. Les secours, pratiquement inexistants, tardent à venir et c’est dans les bras de Jacques Swaters, son ami de toujours que Charles rend un dernier soupir. Charles de Tornaco vient à peine d’avoir 26 ans.

Dans le « Livre Jaune de l’Equipe Nationale Belge » publié en 1955, un article rend hommage à Charles de Tornaco, « Il aurait du faire partie de cette formation ! ».

1 Le circuit de Francorchamps a été inauguré en 1921, la première compétition était réservée aux motos.
2 En 1952, Jacques Swaters reprend l’importation des automobiles Ferrari, l’aventure durera 40 ans.
A l’origine la marque était représentée par les établissements Richard à Bruxelles.
3 Théodore Pilette participe aux célèbres 500 Miles d’Indianapolis 1913 et se classe 5ème.
Titulaire d’un volant d’usine dans la prestigieuse équipe Mercedes peu après le conflit, il se tue dans un accident de la route en 1921.
4 Les deux écuries fusionnent en 1955 pour créer l’Equipe Nationale Belge.
Les pilotes fondateurs sont : John Claes, Paul Frère, André Pilette, Roger Laurent et Jacques Swaters.