0819. Du LOUP au LOUP-GAROU

1e épisode – Par Lucile HAERTJENS

Préambule

Nos ancêtres, lors de veillées, se racontaient avec délice des histoires tour à tour effrayantes ou charmantes. Les revenants y côtoyaient des fées bienfaisantes, des lutins et des farfadets facétieux et des loups-garous… La croyance dans cette créature mi-homme mi-bête s’explique assez aisément mais nécessite une brève étude du loup, son proche parent. Après tout, d’où vient l’étrange idée de croire à l’existence d’un être .représentant une sorte de croisement entre l’homme et le loup ? Pourquoi le loup et non un cruel ours-garou ou un sanguinaire lynx-garou ?

Un début de réponse se trouve dans le fait qu’en France, le loup est l’animal sauvage et carnivore à la fois le plus répandu et le plus craint. En effet, il n’y a pas si longtemps que le loup peuplait encore nos campagnes et nos forêts. Avant l’extermination dont ils furent victimes, les loups comptaient parmi les mammifères les plus répandus sur l’ensemble de l’Hémisphère Nord. La persécution du loup commença dès 813, lors de la création de la Compagnie de la Louveterie par Charlemagne.1 Pourtant, au XVe siècle, les loups peuplaient encore Paris et, au début du XIXe siècle, près de 90% des départements français en abritaient encore. Mais à partir de cette date, chaque année, 1400 loups furent abattus et, à la fin du XIXe, les loups étaient irrémédiablement décimés par la chasse systématique menée par l’homme.

A présent, le loup se trouve encore dans quelques pays. Au Portugal et en Italie, il est protégé. En Espagne, sa protection se limite à l’Estremadure car il est chassé en Asturie ou en Cantabrie. Des loups issus de Russie essaiment en Finlande, en ex-Yougoslavie, en Slovénie, en Tchéquie et même en Allemagne. Le loup y est réhabilité, totalement protégé par la loi et accueilli favorablement par le gouvernement. Enfin, en France, quelques loups venant d’Italie furent aperçus dans les montagnes du Mercantour en novembre 1992.

Le loup en Europe d’après Martine Vercauteren (Quand on parle du loup-MVW)

Il semble qu’ils forment à présent une meute d’une dizaine d’individus. Mais le retour de cet animal disparu depuis plus de 50 ans fait grand bruit en France. Les peurs ancestrales ont toujours cours…

On comprendra mieux encore l’omniprésence de la figure du loup dans l’imaginaire humain par le fait que la proximité entre l’homme et la bête remonte à la Préhistoire. Nul ne saura jamais où ni quand le premier homme a rencontré le premier loup.2 Quoi qu’il en soit, nous possédons des traces d’un contact entre l’homme et le loup dès le paléolithique3, il y a 3.000.000 d’années. Avec la fourrure de l’animal, l’homme confectionnait des vêtements qui le protégeaient efficacement du froid. Il posait son crâne à l’entrée des cavernes pour les garder et montait ses dents en collier pour fabriquer des talismans, des trophées de chasse ou des ornements…

Vu la similitude des structures sociales et des gibiers chassés par les deux groupes, hommes et loups durent partager un même territoire durant de très nombreuses années. C’est vraisemblablement ainsi qu’est né le respect empreint de superstition4que l’on observe encore aujourd’hui chez l’homme envers l’animal.

Poursuivi, chassé, persécuté, Canis Lupus a partout et toujours été perçu comme l’ennemi terrible de l’homme, le monstre assoiffé de sang qui attaque bergères et petits enfants pour en faire sa pitance. Alors…

Qui est vraiment le loup  ?

Comme son nom latin le suggère, Canis Lupus appartient à la famille des canidés, l’une des 10 familles de l’ordre des Carnivores. Il est un proche parent du renard, du coyote ou encore de notre fidèle compagnon: le chien. Mais il se distingue des autres canidés par sa force et son endurance à la course. La relation entre le loup et le chien est à ce point intime que certains scientifiques pensent qu’elle relève de la filiation. Le chien descendrait des loups domestiqués par l’homme il y a plus de quarante mille ans. 5

Canis lupus : portrait robot

Poids : de 15 à 65 kg. Les femelles sont plus petites et plus légères que les mâles.
Taille : 1m30 en moyenne.
Vitesse atteinte : si sa vitesse de croisière avoisine les 25-35 km/h, il peut atteindre les 70 km/h.
Pelages : variés selon l’individu, la région, l’âge, la saison. Ses dominantes sont grises, noires et fauves.
Autres caractéristiques : tête puissante, abondante crinière érectile, longues pattes, large poitrail.
Régime alimentaire : Contrairement à une idée largement répandue, le loup n’est pas un tueur aveugle. Il choisit ses proies parmi les animaux qui seront de toute façon éliminés par la nature parce qu’ils sont trop vieux, trop inexpérimentés ou parce qu’ils sont malades. Il se nourrit également, au besoin, de charognes. Le loup ne met pratiquement jamais en péril les espèces-proies car s’il anéantit toutes ses proies, il se met lui-même en danger par manque de nourriture.
S’il y est contraint, le loup peut se nourrir momentanément de grenouilles, de limaces, de fruits, de baies ou il peut pêcher des poissons dans les étangs et les rivières. Mais il ne peut pas se contenter de petites proies toute l’année (lapins, lièvres, écureuils, marmottes, mulots…) : sa survie dépend de la présence de grands mammifères (chamois, bouquetins, mouflons, sangliers, cerfs, chevreuils, moutons, vaches, chevaux…).

Structure sociale de la meute

La vie des loups répond à une structure sociale très précise. La meute est extrêmement hiérarchisée: chaque loup y occupe une place bien précise et doit lutter, dès son plus jeune âge, pour la conserver. Autour du couple dominant s’articule tout un petit monde dominé. Les comportements de domination et d’allégeance sont d’ailleurs permanents au sein de la meute. Si les véritables combats sont rares, ils sont sans cesse mimés par les louveteaux durant leurs jeux. La place du couple dominant est essentielle: le mâle gère l’agressivité du groupe et veille sur les autres loups tandis que la femelle constitue le facteur de rassemblement de la meute. Cette structure sociale garantit la cohésion et la stabilité du groupe jusqu’à ce que, arrivés à l’âge de 3 ou 4 ans, les jeunes loups se dispersent autour de la meute originelle dans un rayon d’environ 50 à 80km. Ils forment alors de nouvelles meutes et le cycle de la vie recommence.

Communication entre les loups

Les loups communiquent grâce à de nombreux moyens. Et le langage est à ce point important que certains scientifiques pensent qu’il participe à la stabilité des meutes. Comme les chiens, les loups communiquent par des mouvements de tête : du front, des oreilles (dressées, couchées…), du museau, des yeux, des babines (retroussées, en position de repos…), etc. Le port de la queue et les attitudes physiques constituent également des éléments clés du langage de ces animaux. Pourtant, ce sont les hurlements qui sont les outils les plus fascinants de leur communication. Chaque loup possède un hurlement propre qui le distingue des autres membres de la meute, il dispose de nombreux sons différents pour échanger des informations variées sur des sujets divers:  reconnaissance par rapport aux autres loups, affirmation par rapport aux meutes voisines…

La cohabitation de l’homme et du loup remonte donc aux temps préhistoriques, lorsque l’animal sauvage rôdait autour des grottes et des cavernes. Proche de l’homme, côtoyant chaque jour son ennemi pendant des millions d’années, partageant avec lui son territoire de chasse, le loup était le carnassier le plus directement impliqué dans la vie de nos ancêtres, bien plus que l’ours ou le lynx. Il était aussi un prédateur organisé en meutes dont la structure sociale forte et les techniques de chasse -ainsi que les proies chassées- le rapprochaient inévitablement de l’homme. On comprend dès lors aisément que cet animal concentre, de nos jours encore, autour de son image et de son nom tant de peurs, de récits et de fantasmes. Nous verrons bientôt comment il a trouvé sa place dans le folklore de nos campagnes.

Petite bibliographie

DARMANGEAT P., Animaux menacés d’Europe, Arthaud, Paris, 1990. DESCOMBES R., Ces bêtes mal aimées, éd. Ouest-France, Rennes, 1981.
HUET P., Le loup, Eveil éd. – Label d’édition naturaliste, Angoulême, 1995. RAGACHE Cl.‑C. et G., Les loups en France, Aubier‑Montaigne, coll. « Floréal », Paris, 1981. VICTOR P.‑E. et LARIVIERE J., L’empire des loups, Duculot, coll. « Bibliothèque nature », Paris‑Louvain‑la‑Neuve, 1990.

1 La Compagnie de la Louveterie sera supprimée en 1789, à la Révolution, puis réinstaurée par Napoléon en 1814.
2 P.‑E. VICTOR et J. LARIVIERE, L’empire des loups, Duculot, coll. « Bibliothèque nature », Paris‑Louvain‑la‑Neuve, 1990, p.12.
3 Première période préhistorique, celle de l’apparition de l’homme, qui commence avec le quaternaire (-3.000.000 d’années) et se termine avec l’holocène (-10.000 ans).
4 P.‑E. VICTOR et J. LARIVIERE, op. cit., p.14.
5 On constate par ailleurs que l’accouplement d’un loup et d’un chien domestique donne naissance à des petits viables et féconds. Cette relation semble courante au point qu’en Italie, l’avenir des loups serait menacé par les unions fréquentes avec les chiens errants, nombreux, dont les gènes modifient la race. Le loup peut aussi se reproduire avec les coyotes, c’est le cas en Amérique du Nord.