1817 Hors du temps …

Ghislaine ROME-SOURIS

Pour bien terminer l’année, ma sœur Christiane nous invite à visiter le château de Modave, proche de Clavier où elle habite toujours. Fleuron de l’architecture du XVIIe s, le château fait partie du Patrimoine exceptionnel de Wallonie. A l’écart du village, au milieu du vaste parc boisé que traversent deux belles drèves, il domine la vallée du Hoyoux qui coule 60 m en contrebas. On y capte d’ailleurs l’eau très pure pour l’alimentation. Depuis le XVIè siècle, le château passe dans diverses familles et en 1941 il est acquis par la Compagnie Intercommunale Bruxelloise des Eaux. Grâce à cela, il est parfaitement entretenu, les alentours soignés, les granges magnifiquement restaurées offrent un écrin prestigieux pour les réceptions et surtout pour les mariages. C’est réputé jusqu’au Japon !

Nous allons connaître un moment de pur bonheur. Nous partons en voiture à la tombée du jour. Il a un peu neigé. Le soleil couchant colore le ciel de nuances corail, orangées, violine. Les ramures élégantes des jeunes hêtres de la drève et des bois alentour y découpent leurs silhouettes noires finement dessinées. Nous redécouvrons le château à travers le portail largement ouvert sur la cour d’honneur. Au centre une pièce d’eau circulaire s’anime au bruissement d’un grand jet d’eau. Tout autour, des buis taillés en gros coussins ronds illuminés par des petites lampes blanches s’accordent merveilleusement avec le décor hivernal et les pierres grises du calcaire condruzien utilisées pour la construction du château et des demeures régionales caractéristiques. Les grandes et hautes fenêtres du bâtiment laissent passer une lumière attirante, mais douce, comme atténuée pour nous donner envie d’entrer dans une époque révolue.

Et la magie opère ! Guidés par les vasques en terre cuite où dansent les flammes des bougies, nous pénétrons dans le grand hall à la cheminée monumentale. Décorée pour Noël, avec des rameaux verts provenant du parc, des vanneries, des couronnes en pommes de pins, l’imposante cheminée nous attire par le carillon des clochettes argentines dissimulées dans la décoration. Le son est léger, vif, joyeux. Une longue table semble attendre les visiteurs, peu nombreux en cette heure tardive. Le mauve des orchidées contraste avec la blancheur de la vaisselle et des boules doucement givrées. Des glaçons pendent des poteries couvertes de neige et semblent fondre sur la nappe enneigée aussi. Le tout est délicatement feutré, les candélabres avec leurs bougies en cire suffisent à éclairer la pièce, lui donnant une allure féerique à laquelle on se laisse prendre.

De salles en salles, des sapins de Noël décorés d’oursons et de rubans écossais, de lampions diffusent leur parfum de pinède. Des poupées et des jouets anciens nous tracent un itinéraire merveilleux. Les meubles d’époque, les plafonds en caissons, les stucs blancs et or nous entraînent hors du temps. Les orchidées violettes omniprésentes harmonisent les compositions colorées de fruits confits, de biscuits, de gâteaux et autres friandises disposées sur la table de la grande salle à manger pourpre.

Une paire de gants de soie semble avoir été oubliée sur un guéridon par une dame venue d’ailleurs. Une robe de satin bleu abandonnée sur un fauteuil accentue l’impression de présences invisibles. Dans un salon plus petit, une table ronde nous convie à un petit déjeuner d’un autre temps : les tasses, la cafetière, les plateaux délicatement peints de rameaux de houx, la brioche dorée, dodue à souhait, imposent aux visiteurs une émotion rare. Nous avons bien du mal à ne pas nous attabler pour rencontrer l’un ou l’autre gentilhomme surgi du passé, revenu d’un monde au charme enchanteur et suranné où nous aimerions le suivre.

Trop tôt à mon gré la visite se termine … mais dans les caves voûtées accueillantes, on peut déguster un vin chaud qui nous ramène en douceur à la réalité.