1087. Une année au pied du clocher

Mémoires d’acolytes d’entre les deux guerres (5). Joseph Filée

La messe basse de 8 heures ( li bass’messe) est surtout suivie par les fidèles qui souhaitent communier et ce avant l’office ce qui veut dire que l’assemblée se compose surtout de dames pieuses et d’enfants, tous à jeun depuis minuit. Les hommes communient rarement ; ils éprouvent une certaine difficulté à se confesser à leur curé évitant ainsi de lui faire des confidences intimes. La messe chantée, la grand’messe de 10 heures, voit arriver tous les paroissiens et surtout les hommes qui occupent les bancs du fond de l’église ou le jubé sous certaines conditions que voici:

Règlement du jubé en date du 3 juillet 1910.

Art. I. En principe, l’accès du jubé est exclusivement réservé à l’organiste et aux chantres.

Art.II. Les chantres doivent être agréés par Monsieur le Curé ou l’organiste et leurs noms seront portés sur une liste qui sera affichée au jubé.

Art.III. Ceux qui ne sont pas agréés comme chantres et qui désirent prendre place au jubé doivent : 1)avoir atteint l’âge de 20 ans, 2) louer une chaise à la F.E. (2,50 frs par an) ou payer 0,5 cmes par office.

Art.IV. Le clerc organiste est chargé de la police du jubé et de l’exécution du présent règlement.

Fait en séance du conseil à Neuville, le 3 juillet 1910.

Le secrétaire : Cordonnier,curé.


le jubé est interdit aux femmes…

Comme vous voyez, le jubé est interdit aux femmes; la balustrade étant à claire-voie, de la nef, l’un ou l’autre aurait pu jeter un regard furtif… bref, il faut avoir 20 ans et verser un droit qui remplace le montant de l’obole pour la collecte dispensant ainsi Monsieur le Curé de monter pour faire la quête. Ce règlement souffre une exception, celle du souffleur, un bon gars assez fort pour actionner le pédalier de la soufflerie de l’orgue. Le maniement des deux larges pédales sortant du dos de l’instrument et attachées à une grosse pièce de bois exige une force certaine et pratiquement constante; une dizaine de coups de pédalier procure une provision d’air de 5 à 6 minutes à l’instrument pour autant que l’organiste n’ouvre pas tous les jeux. Et malheur au souffleur qui ne surveille pas la jauge, une petite plaque de plomb pendue au bout d’une ficelle. Une telle distraction répercutée par l’orgue à bout de souffle (c’est le cas de le dire) signifie une exclusion du jubé pour quelques dimanches. Bien entendu, avec le progrès, le vieux soufflet a été remplacé par un ventilateur électrique.


Une des deux cloches

L’orgue, un bel instrument de 1893, occupe la plus grande partie du jubé. Le buffet étale 25 tuyaux de plomb (la montre) qui en cachent plusieurs centaines d’autres, de toutes les formes et de toutes les dimensions, passant de la grande cheminée carrée au petit sifflet de quelques centimètres, chacun étant relié à l’énorme soufflet par un enchevêtrement de tuyaux. J’ai chaque fois été impressionné par cette mécanique lorsque l’accordeur ayant enlevé les panneaux du fond de l’instrument procédait à son entretien périodique.

C’est d’ici qu’on peut atteindre le clocher d’où pendent les cordes, deux grosses comme le poignet pour sonner la volée et deux petites comme un doigt pour le glas. La grosse cloche exige un réel effort très progressif, surtout au commencement mais dès qu’elle est en mouvement il suffit de maintenir son balancement d’une traction régulière, laissant glisser la corde dans la paume de la main. Malheur à vous si vous voulez vous y accrocher: vous êtes alors soulevé comme un fétu de paille jusqu’au plafond et vous vous coincez les doigts dans la petite ouverture garnie de 2 rouleaux de fer protégeant le plafond de l’usure. Il est vrai que vos 30 ou 40 kgs ne pèsent pas bien lourd comparés à la demi tonne de bronze en mouvement.

Mais descendons du jubé pour rejoindre la nef. Nous commençons par quelques rangées de bancs anonymes occupés surtout par des hommes. Viennent ensuite une ou deux rangées de bancs gravés aux noms de quelques généreux donateurs. A propos de ces noms vous pouvez aussi en retrouver inscrits au bas de l’un ou l’autre vitrail, « Don de la famille ….« . Que voulez-vous la paroisse vit de la charité de ses paroissiens.

Nous arrivons ensuite aux chaises propriétés des dames bien en vue ou qui se considèrent comme telles … d’après certaines mauvaises langues. Ces chaises sont passibles d’un droit de location au sol de 2frs50 par an (cfr le règlement du jubé) ce qui alimente l’ordinaire de la paroisse. Ces chaises rembourrées de velours rouge, (des prie-Dieu), ont un accoudoir servant de couvercle à une boite à missels et autres livres d’heures. Le siège qui sert d’agenouilloir peut être relevé pendant la semaine empêchant ainsi son usage par une autre personne (Quelle charité!).


Intérieur de l’église entre 1945 et 1952. Notez les chaises « des dames de bien » de part et d’autre de la nef.

La collecte est faite par Monsieur le Curé lui-même qui d’un coup d’œil vous empêche de glisser une mauvaise pièce ou … un bouton de culotte! Il m’a été rapporté qu’un certain dimanche une petite piécette déposée par une dame de la bonne société fut repérée par le saint homme qui, après l’avoir coincée sous son pouce, lui fit faire le tour du plateau de façon ostensible et cela au vu de tous!.

Mal lui en prit car le dimanche suivant la dite dame, d’un geste apparemment involontaire a relevé brusquement son missel juste au moment où le plateau lui était présenté … provoquant l’éparpillement de toutes les pièces. Chacun avait compris la basse vengeance sans oser sourire sinon sous cape! Seul l’acolyte mandaté pour ramasser la monnaie n’a pas saisi le manège.

Sébille d’église (Neuville en Condroz) Daté de 1991 à 1800. A disparu. IRPA-KIK-Bruxelles

La deuxième collecte, car il y en a deux, est faite au profit des nécessiteux, souvent les assistés de Saint-Vincent : l’argent est converti en jetons de pain ou de charbon que les zélateurs distribuent pendant la semaine aux pauvres gens du village. Pour cette collecte on utilisait une « harbotte« , une aumônière munie d’un long manche, pour solliciter les paroissiens les plus éloignés de l’allée centrale.

La seule partie de l’office en langue vulgaire (du latin « vulgaris » signifiant « multitude » et non un mot grossier comme on pourrait le croire) à savoir chez nous le français, s’appelle le prône. Il se compose de la prédication : un sermon (du verbe sermonner ce qui veut tout dire) ou une homélie (instruction familière) et des annonces. Pour être entendu de tous ( les micros n’existent pas encore), Monsieur le Curé monte dans la chaire de vérité, en wallon  » li pirlodge » ou loge de pierre ou le plus souvent en bois, surmontée d’un abat-son où figure une colombe, représentation de l’Esprit-Saint que nous prenions pour un pigeon.

Qu’est-ce qu’on entend parfois comme vérités! lesquelles ne sont pas toujours bonnes à dire. Ses textes, Monsieur le Curé les étudie par cœur ce qui lui permet d’interpeller plus directement l’une ou l’autre de ses ouailles. Je me souviens avoir assisté bien malgré moi à l’une de ces répétitions. Je me trouvais un samedi soir dans la pénombre du fond de l’église attendant Monsieur le Curé pour me confesser. Sortant de la sacristie sans remarquer ma présence,. Me trouvant dans la pénombre du fond de l’église mon curé n’avait pas remarqué ma présence, il s’avança jusqu’au banc de communion d’où il prononça son homélie. Je l’écoutai très étonné sans oser bouger, me fondant de plus en plus dans l’ombre du pilier, attendant la fin de la harangue pour me glisser furtivement au dehors. Je ne me vantai jamais de cette aventure et ne jouai pas au prophète le dimanche suivant en annonçant par avance le contenu de la prédication.

Une fois par an, le prône est remplacé par le « Mandement de Carême ». Son contenu, nous le connaissons presque par cœur et on y relève des phrases telles : »… dont les propos licencieux et l’indécence éhontée des vêtements féminins, vous entraîneraient …. ». Que c’est loin tout cela! Pour les annonces, Monsieur le Curé commence par citer les intentions de messes de la semaine . « Lundi, je dirai la messe pour les défunts de la famille …. Mardi, pour le repos de l’âme de .… ». Enfin vient la recommandation des défunts : « Nous prierons aussi pour les âmes des fidèles trépassés et plus spécialement pour Monsieur le Curé .…. »(c’est son prédécesseur), »pour Mr et Mme …. ». etc. La liste suit un ordre qui ne découle à mon avis ni de l’alphabet ni de la chronologie (j’ai failli dire nécrologie) mais plutôt du quantitatif : plus on fait dire de messes et plus on monte dans l’ordre de la liste des annonces. Une exception: le dernier de la liste, celui dont on retiendra le nom car il résonne dans les oreilles des paroissiens pendant tout le temps que Monsieur le Curé met à regagner l’autel.

Qui mérite ce droit?

Je n’en sais fichtre rien. Mais trêve de médisances sinon … je suis bon pour « aller à confesse« !.


Intérieur de l’église en 1914