2019. Petite histoire d’un commerce coopératif local.

L’Union Coopérative à Neupré

Jean Mertens

Les cahiers de jadis N°53 2010-2011

2ème partie : 1932-1939

1932 : la maison de M. et Mme Collette-Bourgeois est achetée par l’UC.

L’acte de vente sera finalement passé le 18 mars 1932, après un coup de fil entre l’administration générale de l’UC et le notaire Jonet d’Anthisnes, celui-ci demande effet :

« Voudriez-vous me donner un coup de téléphone pour nous mettre d’accord sur le jour de la passation de l’acte ? »1

Selon l’UC, la passation de l’acte tarde quelque peu (du 7 décembre 1931 au 18 mars 1932). Le notaire a une explication :

« J’ai vu hier le géomètre chargé de rédiger le plan de la propriété de Rotheux-Rimière. Vu le mauvais temps, il n’a pu jusqu’à présent se rendre sur les lieux. Il m’a formellement promis de s’y rendre demain vendredi [26 février 1932] et de me faire parvenir deux copies du plan dans le courant de la semaine prochaine.[…]»2

« Vu le mauvais temps », dit le notaire. A-t-il vraiment cru à cette raison invoquée ? Le site web de l’Institut Royal Météorologique (IRM) est silencieux sur le mois de février 1932. Notons toutefois qu’« [a]u cours de ce mois de janvier [1932], on n’a pas observé de chutes de neige à Uccle. »3 « 27-01-1932 La pression est montée jusqu’à 1048 hPa à Uccle (pression ramenée au niveau de la mer) : c’est la valeur la plus élevée du 20e siècle. »4

Les vendeurs ont respectivement 56 et 63 ans.5 Le frère de Madame Bourgeois, co-propriétaire au moment de l’achat en 1910, n’est plus mentionné. Il peut-être décédé entre-temps ou a revendu sa part au couple.

Beaucoup de familles toujours présentes à Rotheux de nos jours figurent sur le plan du géomètre daté du lundi 29 février 1932, année bissextile, donc.

Il est tracé à la plume. En regardant la maison à partir de la rue, le propriétaire à gauche est Théophile Deloge, à droite Constant Deloge. Le jardin est principalement situé derrière la maison de Constant Deloge (donc à droite de la maison), et a pour voisin, à droite Vve Dosserai, derrière Fd Charlier et, à gauche, Théophile Deloge.

Illus. 5 le plan du géomètre, 1932. Source IHOES, farde n°217.

Le four à pain figure toujours sur le plan en 1932 (voir p. 4), dans le coin inférieur gauche du bâtiment.

Nos transactions bancaires sont maintenant presque entièrement électroniques. Dans les années 1930, les relations entre les clients et leur banque étaient davantage policées. Un courrier sur papier à entête émane de l’administration générale de l’UC à destination du Service des chèques postaux avec le texte suivant :
« Veuillez virer 6678,80 francs au compte 1981. »6
Les bulletins de virement n’existaient pas encore ! Le compte 1981 était celui du notaire et la somme représentait le montant de ses honoraires.
Il avait fait imprimer un formulaire chez l’imprimeur J. Poulet à Ouffet avec les rubriques suivantes :
« timbres répertoire et dossier 15
payé à l’enregistrement 4.800
arrhes 12,50
plan 12,50
délégation 40
état hypothèque et diligence 35
expédition, 2 timbres 3 rôles 49
frais de plan et mesurage 200
recherches enregistrement titre de propriété 12
honoraires suivant tarif légal 1.500
timbres de quittance 2,80
total 6.678,80 ».

Les honoraires représentaient 13,36% du prix d’achat.

Une semaine avant la vente, l’UC active différents services par notes internes :

  • les deux fondés de pouvoir, Hubert Sacré et François Tihange, sont prévenus :
    • « Veuillez noter que vous devez aller signer l’acte d’achat de l’immeuble Collette-Bourgeois à Rotheux le vendredi 18 mars à 11 heures, chez le notaire Jonet, à Anthisnes.[…] Nous donnons des instructions aux services des transports et de la caisse pour que l’auto vous prenne tous les deux, rue Grétry, en temps utile, et pour que les fonds vous soient remis avant le départ. »7
  • Au service de la caisse (citoyen Armand Jaminon) :
    • « Le vendredi 18 mars, à 10 heures au plus tard, veuillez remettre 50.000 frs aux citoyens Sacré et Tihange, qui acquerront le même jour à 11 heures, chez le notaire Jonet, à Anthisnes, l’immeuble Collette-Bourgeois, de Rotheux, occupé par notre magasin N° 217. »8
  • Une dernière note interne de l’administration générale de l’ UC est adressée à Alfred Rongy, du service des transports, pour faire prendre MM Sacré et Tihange rue Grétry, siège central de l’UC à l’époque, et les conduire chez le notaire.9

Transformations en 1936-37
Un document comptable10 récapitulatif datant de fin décembre 1954 précise l’amortissement de l’immeuble à ce jour. La note est manuscrite, avec l’élégance de ces écritures d’autrefois :
« Rotheux-Rimière magasin 217
maison et terrain 709 m2
adjudication 18.3.32
notaire Jonet Anthisnes
vendeur Bourgeois Collette Rotheux-Rimière
valeur 50.000 francs
frais non portés à immeuble 6.678,20 francs
le 31.12.36 transformation immeuble 75.089 francs
le 30.6.37 construction Rotheux 8.715 francs
total 133.804
le 31.12.45 pour dommages de guerre 5.077,32 frs
total 128.726.68 frs
le 31.11.53 construction wc fosse 13.334 frs
le 31.12.53 tuyauterie pour pompe avec placement 1 puits transport détritus 6.610 frs
au 31.12.54 148.670,68 frs. »


Les transformations de 1936-37 ont coûté plus cher (83.804 frs) que l’achat lui-même (50.000frs).

Une note interne à l’UC émane de l’administration générale, véritable modèle de gestion d’un secrétariat bien tenu, adressée au service des travaux :
« Nous avons remis au citoyen Delchambre le plan des transformations de notre immeuble de Rotheux-Rimière. Suivant l’avis de ce camarade, le dit plan sera conservé dans vos dossiers. »


Le plan sort des archives de l’administration générale et les transformations décidées par l’UC avant la deuxième guerre mondiale restent un mystère.

Edouard David, président de Mémoire de Neupré a toutefois retrouvé dans les archives communales une lettre manuscrite du 26.07.1937 de Jean Maréchal, probable président du comité local:

« À l’occasion de l’inauguration de notre nouveau local de l’Union Coopérative nous sollicitons l’autorisation de faire une petite sortie à travers le village dont l’itinéraire suivant : départ Village – bout de Rotheux – Bonry – Bellaire – point de départ pour le dimanche 22 août. Bien respectueusement, Jean Maréchal. »
Illus. 6 :Courrier du Comité local de l’UC au Collège des Bourgmestre et Échevins.
Source : Archives de l’administration communale de Neupré.

L’autorité communale marque son accord le lendemain.
Ce courrier atteste sans aucun doute qu’il y a bien « nouveau local », donc transformations.
Lorsqu’un architecte fera son rapport d’expertise sur l’état du bâtiment préalablement à la vente en 198211, il constatera la présence d’une salle de spectacle de 40,20 m2 et d’un balcon sur salle.

L’acquisition et les transformations de l’immeuble de Rotheux ont lieu alors que

« [l]’union coopérative [est] frappée doublement par la crise économique de 1930 : les ressources et le pouvoir d’achat de ses sociétaires sont menacés ou même diminués; les affaires stagnent. D’autre part, en 1934, c’est l’effondrement de la Banque belge du Travail que les retraits massifs de fonds par les travailleurs en difficulté financière, ont ébranlée. »13

Le sort de cette BBT est bien décrit dans un document établi pour le tribunal de commerce de Bruxelles par les trois commissaires désignés :
« La banque […] avait reçu en dépôt les fonds des coopératives et des groupements divers fondés par le POB. […] Enfin, deux villes, Anvers et Gand, lui ont confié des fonds.
Pour assurer la rémunération des dépôts, la banque fut amenée à placer des capitaux principalement dans des industries de Gand et des environs de cette ville. Elle commit l’imprudence, pour une banque de dépôts, d’immobiliser à long terme, sous forme de participations ou d’ouvertures de crédits trop considérables, la plus grande partie des fonds qu’elle détenait.
Lorsque la crise économique des années 1930 et suivantesse manifesta, la BBT fut obligée de constater que tous ses capitaux étaient « gelés » et qu’il lui devenait impossible de faire face au retrait des dépôts qui lui avaient été consentis, ce, malgré l’aide qu’elle trouvait par l’engagement de certains organismes de ne pas retirer leurs fonds. […]
La BBT ferma ses guichets le 28 mars 1934. A partir de cette date, elle cessa toute activité et se borna à rechercher la meilleure façon possible de tirer parti de son actif. Cette situation a duré un an. » 14

En 1936, les six premiers jours de congés payés améliorent la situation individuelle des travailleurs.15

Jean Mertens

1 Courrier reçu le 4 3 1932; réponse de l’UC le 9 3 1932, Farde n° 217, IHOES.
2 Courrier du jeudi 25 février 1932 à l’UC, Farde n° 217, IHOES.
3 http://www.meteo.be/meteo/view/fr/1103306-Neige.html
4 http://www.meteo.be/meteo/view/fr/1103424-Pressions.html
5 Document 12, 1932 01 12 : réponse manuscrite du notaire Jonet d’Anthisnes : « Marcel Marcel-Henri Collette[,] […] né le 18 8 1876 à Limont-Tavier et Julienne Marie Lambertine Julienne Bourgeois, sans profession[,] […] née à Tavier le 26 janvier 1869 et demeurant ensemble à Berleur Tavier. »
6 Courrier du 10 mars 1932, Farde n° 217, IHOES.
7 Document 23 du 10.03.1932 : note interne Union coopérative administration générale à Hubert Sacré et François Tihange
8 Document 24 du 10.03.1932 : note interne Union coopérative administration générale à Armand Jaminon, service de la caisse.
9 Document 25 du 10.03.1932.
10 Document 85 du 31 12 1954, farde n°217, IHOES.
11 29.01.1982 : Rapport d’expertise de l’architecte. Farde n° 217, IHOES.
12 http://www.memoireorale.be
13 p.11 in Coop relations, numéro spécial 50e anniversaire U.C. – 1918 -1968, publié aux éditions Biblio, place St Lambert 26.
14 p.6 in Gestion contrôlée de la Banque belge du Travail, SA, 3 rue des Bogards, Bruxelles, projet 1935, éd. M[ais]on Fernand Larcier, 26-28 rue des Minimes, Bruxelles, 32 p. [dans un sens et, brochure retournée, 32 p. en néerlandais]
15 Faniel, Jean (2010), Seraing, une commune façonnée par les luttes (analyse n°58), IHOES, http://www.ihoes.be/publications_en_ligne.php?action=lire&id=59&ordre=nouveau