0512. Renaud STRIVAY Le Condroz et le village de Plainevaux-Strivay

Marc LORNEAU

Ce chapitre sera consacré aux écrits de Renaud Strivay concernant le Condroz et le village dont il conserva un souvenir enchanté : Plainevaux-Strivay. A cet égard, Renaud Strivay symbolisa, dans sa vie et dans son oeuvre littéraire, l’une des caractéristiques fondamentales de notre région où les zones rurales condrusiennes et ardennaises, situées à proximité des grands centres industriels liégeois, vivaient en symbiose avec les zones urbaines.

Jamais Renaud Strivay n’oublia cette région dont il conserva la nostalgie tout au long de sa vie : « Après des lustres d’exil, j’en respire encore d’enivrantes bouffées et me plais à en parfumer les pages de mes livres. Aussi je ne connais pas d’heures plus merveilleuses que celles où je me replonge, par la pensée, dans mes joies d’autrefois. Je plains ceux dont l’enfance n’a pas été tissée d’aubes et de soirs sereins et qui n’en restent pas envoûtés toute leur vie. Ils ne connaîtront jamais l’ivresse des extases ingénues et le charme idyllique des refrains d’églogues 1. Le « vieux moulin », dont « la roue tournait du matin au soir«  et dont « le tic-tac se mêlait allègrement à la chanson de la meunière » 2; le ruisseau de Plainevaux qui « court, bondit ou se prélasse, depuis les mousses de la Vecquée jusqu’aux joncs siffleurs des bords de l’Ourthe » 3; le noyer qui du« bord de la route du village, près de l’école, . . . regardait passer depuis des siècles les bêtes et les gens«  4; le « vieux poirier » où les « pinsons chantaient dans la fraîcheur de son feuillage « 5; les « hivers de mon enfance » . . ., autant d’images dont Renaud Strivay se remémora le souvenir avec d’autant plus d’insistance qu’il prenait de l’âge : « Hélas, l’un après l’autre, tombent tous les confidents de mes rêves d’autrefois. Je serai bientôt seul à me souvenir des joies sereines de mon enfance. Pleurez, mon coeur ! pleurez ! comme une vaine poussière, mes plus douces remembrances s’envolent au souffle impérieux des ans . . . Il ne restera bientôt plus aucun témoin de mes premières émotions« 6.

Jamais notre région n’avait vu un auteur d’un tel talent la dépeindre avec autant de profonde sympathie.

Le carrefour de la Heid-de- Bioleux

Ainsi, dans La vie de Louis Bozard, Renaud Strivay donnait-il un tableau enchanteur de la « Heid-de-Bioleux » : « Devant sa demeure, qu’embaumait un parc de violettes,se dressait un tilleul vigoureux, et verdoyait un verger superbe qu’ourlait un filet d’eau claire et qu’éventaient sans cesse les arbres du bois de Rotheux; à droite, bruissaient des ruches, rampait l’ombre d’un cadran solaire et miroitait la surface unie d’un vivier où nageaient des canes et des cygnes; derrière s’inclinaient au vent une élancée de fougères, de petits sapins bleus, et de frêles bouleaux chuchoteurs; à gauche, luisarnaient dans l’ombre les bêches, les houes et les tridents dont l’oeuvre combinée avait rendu prodigue le sol des alentours« 7.


…le noyer qui « du bord de la route du village, près de l’école, ... »

Ou encore dans Les Sources : « O ! le charme profond des eaux de mon pays ! Sources jaillissant au pied des hautes roches; filets d’onde cristalline fuyant sous des mousses touffues; ruisseaux miroitant dans les clairières et dans les prés, rivières tombant en cascatelles dans des solitudes de songe « 8.

Dans Mon Village : « Toute la beauté de mon village m’est entrée dans le coeur. Je connais le moindre de ses sentiers et mille souvenirs de mon enfance sont accrochés à ses haies et à ses buissons (. . .). Sources claires jaillissant des rochers, sapins qui dominent les crêtes, petites maisons à l’abri sous les ormes, jardins embaumés de lavandes et de pivoines, grand’routes qui conduisez le rêve aux astres, prairies étoilées d’orchis et de pissenlits ! que de fois m’avez-vous vu dans la rosée des matins et la vapeur bleue des soirs, confier mes songeries aux brises vagabondes« 9.

Dans Sur le « pas » des portes : « En ce temps-là, j’habitais, aux confins du village, une petite maison dont les fenêtres ornées d’hortensias regardaient fuir sous les peupliers, le ruisseau de la vallée. Ses volets étaient peints en vert, son seuil était de pierre bleue et son toit luisait, comme un miroir, à l’heure carminée des couchants. (. . .) C’était un vrai coin de paradis; aussi j’en ai gardé dans les yeux et dans le coeur un souvenir inoubliable« 10.

« O ! le charme profond des eaux de mon pays !

Enfin, dans Jadis, aux jours d’hiver : « Heureux comme on l’est à dix ans, nous hivernions comme des explorateurs polaires; façonnions des statues bizarres que nous lapidions de boulets; frappions nos effigies sur les talus, et, dans un ensemble bruyant, chantions les « noëls » ingénus qu’adoraient nos aïeules. Les heures passaient ainsi, sonnant clair dans nos coeurs, et, malgré le froid qui nous donnait l’onglée, nous refusions tous de rentrer au logis. O les jours d’hiver passés jadis sur les routes en pente, au village natal, en dépit des morsures du gel, comme ils ont laissé en moi de riants souvenirs ! Je n’ai jamais plus éprouvé de joies semblables, si ce n’est celle de les rappeler en ces pages filiales sur qui passe le souffle des terres condrusiennes« 11.


…le « vieux poirier » où les « pinsons chantaient dans la fraîcheur de son feuillage… »

Renaud Strivay ne fut pas sensible uniquement aux charmes de l’environnement physique du Condroz, mais également à sa dimension humaine. Certains des contes écrits par Strivay ont pris Plainevaux pour cadre. C’est le cas de l’une de ses nouvelles les plus connues : La Vie de Louis Bozard12. La Croix « Wéré« 13et Une semaine d’Outre-Tombe 14 constituent d’excellentes illustrations de ses talents de conteur. Nous nous arrêterons à l’un des textes où cet homme démontre non seulement ses dons littéraires mais également ses qualités de coeur : L’Escapade15

La fête annuelle battait son plein…
Pourtant minuit avait sonné à l’église du village et déjà le silence se faisait profond aux marges des confins boisés.
Furtivement, tels les oiseaux sortant d’une volière, Jules et Louise quittèrent le bal, où depuis plus de deux heures, ils dansaient avec ivresse. Sans surveillance et partant libres de se serrer la main, de se chercher les lèvres, de se presser la taille, ils montèrent la « ruelle Linette », heureux d’être seuls entre les haies aveugles et muettes.
La lune penchait alors vers Rotheux sa faucille argentée et la route était claire de poussière calcareuse.
– A quelle heure dois-tu rentrer, Louise?
– A l’aube, avec ma soeur Clara…
– Il est seulement une heure … Si nous nous promenions jusqu’au lever du soleil?
– Je veux bien.. mais au potron minet nous reviendrons à la « guinguette » n’est-ce pas?

1Strivay (R.), Les beaux jeudis, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 23

2Strivay (R.), Le vieux moulin, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 27

3Strivay (R.), Mon ruisseau, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 28

4Strivay (R.), Le noyer, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 32

5Strivay (R.), Le vieux poirier, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 37

6Idem, p. 38

7Strivay (R.), La Vie de Louis Bozard, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 102

8Strivay (R.), Les Sources, in : Les Veillées villageoises, o.c. p. 8

9Strivay (R.), Mon Village, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 9

10Strivay (R.), Sur le « pas » des portes, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 10

11Strivay (R.), Jadis, aux jours d’hiver, in : Les Veillées villageoises, o.c., p. 50

12Strivay (R.), La Vie de Louis Bozard, in : Les Veillées villageoises, o.c., pp. 100-106

13Strivay (R.), La Croix « Wéré », in : Les Veillées villageoises, o.c., pp. 91-93

14Strivay (R.), Une voix d’Outre-Tombe », in : Les Veillées villageoises, o.c., pp. 115-118

15Strivay (R.), L’Escapade » in : Les Veillées villageoises, o.c., pp. 135-138