0794. Célestin DEMBLON

Homme politique-Chantre du Condroz
Neuville en Condroz 19/05/1859 – Bruxelles 12/12/1924

Les conceptions littéraires de Célestin Demblon1

L’originalité générale de DEMBLON est qu’il ne confond pas l’art et les préoccupations sociales et politiques. « L’art utilitaire, écrit-il, est l’art inutile. L’art n’est pas une opinion (… ), il doit uniquement émouvoir par le spectacle de la beauté (… ). Une thèse en art ne prouve rien, puisque l’auteur dispose de ses personnages et qu’il conclut en outre du particulier au général. » 2

DEMBLON se rattache lui-même à l’école de l’art pour l’art, il n’adhère pas à la théorie de l’art social, qui demeure pour lui le produit d’une trahison de l’art pur. 3

En 1884, dans la préface de Mes croyances, il fait par à ses lecteurs de son attirance pour le domaine artistique : « La politique est impuissante à contenter notre âme (… ), elle nous oblige à chercher ailleurs les véritables charmes de l’existence. Moi, je me réfugie voluptueusement dans les jardins enchantés des lettres et des arts. » 4

Malgré sa participation prépondérante au sein du mouvement socialiste wallon, il se défend d’être, au sens ordinaire du terme, un homme politique, il se veut avant tout écrivain et poète. Il dit en 1894 alors qu’il va entrer au Parlement : « Je n’ai jamais fait de politique. (…) La littérature seule est ma vie et ma gloire. C’est la seule passion adorée qui me tienne aux entrailles depuis mon enfance et qui m’y tiendra jusqu’au tombeau. Mon intervention dans les choses de la politique est pour ainsi dire toute littéraire. Je n’ai jamais fait que de la politique oratoire. N’est-ce pas encore là de la littérature ?  » 5

En cette fin de XIXe siècle, Célestin DEMBLON, avec d’autres jeunes écrivains wallons (Albert MOCKEL, Hector CHAINAYE, Fernand SEVERIN 6, etc.), désire ardemment le réveil littéraire et artistique de la Wallonie. Il y prévoit un épanouissement comparable à celui que connut la Hollande à l’époque de REMBRANDT : « La Hollande était pourtant un bien petit pays. Elle renfermait à peu près les trois millions d’habitants que compte notre Wallonie. Eh bien, si fou que soit le rêve, la crinière de 1879 croit avec enthousiasme, aujourd’hui, qu’il va jaillir de notre antique terre, si richement fumée de larmes et de sang, une moisson féerique et puissante, comparable à la moisson batave du dix-septième siècle ! Déjà peinent maints moissonneurs dont la mémoire est destinée à vivre. »7

DEMBLON est donc avant tout Wallon : il symbolise lui-même la marche de la Wallonie vers l’art, objet de ses convoitises. Il se prévaut même d’avoir lancé le nom de « Wallonie » avant 1886. Il écrit dans une de ses brochures : « … cette Wallonie à laquelle j’ai insufflé sans relâche une âme depuis trente-cinq ans passés et donné jusqu’à son nom. » 8

Célestin DEMBLON est un homme de la campagne qui se trouve brusquement mêlé à l’agitation de la cité. « Et, comme les pauvres fleurs des bois transplantées en nos jardins, il ressent la nostalgie aiguë de ses champs vastes et libres. » 9 DEMBLON, écrivain régionaliste, emplit ses récits de descriptions et d’évocations de sa terre natale, teintées de sentimentalisme et de lyrisme. On trouve dans ses écrits « des idylles et des contes émus où palpite l’amour des choses simples, des êtres souffrants, des souvenances familiales, où, par dessus tout, crie la passion de cette terre de Wallonie qui est la sienne. » 10 Cette tendance est encore renforcée chez lui par la lecture de l’Histoire du pays de Liège de Ferdinand HENAUX (Liège, 1815-1880).

A titre d’exemple, on peut citer ces titres de DEMBLON : Panorama de souvenirs (Liège, Imp. Veuve Livron Willeaume, 1902), Au bois du Condroz (Liège, Imp. Faust, 1906 et Imp. coopérative de la Wallonie, 1908) et Visions liégeoises (Liège, Imp. Coopérative, 1912).

DEMBLON est très personnel dans ses œuvres, il aime l’émotion sentie et communicative. Albert MOCKEL ne connaît personne qui sache mieux que lui « dire la vie chantante des choses qui ne vivent pas, des choses qui ne chantent point (… ), simplement par sa foi naïve et débordante d’amour, sa foi de demi-panthéiste poète qui écoute en son cœur tinter la grande sonnerie des affections douces. » 11

Il est un naturaliste romantique, mêlant un fond de poésie au réalisme des choses. Son rêve est de « fusionner l’idéal romantique, le classique et le réaliste en une œuvre dont le foyer serait en lui et dans ses souvenirs (… ). » 12

Vers l’âge de vingt ans, il étudie à fond Du Vrai, du Beau et du Bien de Victor COUSIN (Paris 1792 – Cannes 1867). Celui-ci dit à propos de l’art : « L’homme veut revoir, veut sentir encore ce qui lui a causé un plaisir si vif, et pour cela il tente de faire revivre la beauté qui l’a charmé, non pas telle qu’elle était, mais telle que son imagination la lui représente. De là une œuvre qui n’est plus celle de la nature, mais une œuvre originale et propre à l’homme, une œuvre d’art. »13 DEMBLON en retire des conceptions neuves au sujet de l’art, de la poésie, de la pensée. Il n’est pas facile de qualifier la forme de Célestin DEMBLON. Albert MOCKEL en donne cependant une analyse, très imagée, quand il écrit : « elle fait songer à une gerbe de banderolles, de teinte foncée, mouchetées de pierreries et de métaux sombres, des banderolles se déroulant pour se recroqueviller ensuite, sinueuses, allongées, souples, exhalant d’énigmatiques lueurs : symbole de sa phrase tantôt bistournée, tantôt rectiligne, et reployée sur elle-même comme un serpent. » 14 Si la forme de DEMBLON apparaît assez déconcertante, il faut reconnaître que celui-ci s’applique scrupuleusement à imprimer à sa pensée le mot qui convient. Il ne cherche pas les mots compliqués. Son style n’a rien de maniéré ni de précieux. Il est franc et direct.

En résumé, il ressort de l’œuvre de Célestin DEMBLON une mélancolie extrême, mêlée à des élans de tendresse passionnée. On y perçoit le déchirement toujours constant de l’écrivain devant les souffrances et les injustices de la vie qui pourtant pourrait être si belle. A ce propos, Camille LEMONNIER écrit « Et on n’a pas de peine à sentir que c’est vraiment là la pente naturelle de son esprit, la vision qui toujours l’obsède et s’interpose en lui entre les tristes réalités ambiantes et l’illusion d’une destinée humaine meilleure que celle qui nous est départie.« 15

1 D’après Célestin Demblon- Travail de fin d’études de l’ISIS – Martine LECLOUX.
2 Cité dans : Les Hommes du jour, n° 17, 1895, p. 2
3 ARON, P., Les Ecrivains belges et le socialisme : 1880-1913, Bruxelles, Labor, 1985, P. 91
4 DEMBLON, C., Mes croyances (… ), p. 13
5 DEMBLON, C., Liège, 28 juin 1894, cité dans : KUNEL, M., Un tribun (…), p. 178
6 Fernand SEVERIN (Grand-Manil, 1876-1931) : Docteur en philosophie et lettres. Poète et critique littéraire.
7 DEMBLON, C., Hier et demain. A propos des Fumistes wallons, par L. Hemma-Quelvocable, in La Wallonie, no 5, 15 mai 1887, p. 189
8 DEMBLON, C., La Belgique à la France, Paris, Librairie anglo-française, 1915, p. 3
9 MOCKEL, A., L’Art wallon : Célestin Demblon, in La Wallonie, n°2, 15 février 1887, p. 99
10 Anthologie des prosateurs belges, Bruxelles, Veuve Monnom, 1888, p. 43
11 MOCKEL, A., Célestin Demblon, in Caprice Revue, n’ 52, novembre 1888, p. 2
12 BURY, H., La Vie de Célestin Demblon, Liège, Imprimerie Coopérative, 1899, p. 7
13 COUSIN, V., Du Vrai, du Beau et du Bien, Paris, Didier, 1853, p. 184
14 MOCKEL, A., L’Art wallon : Célestin Demblon, in La Wallonie, nO 2, 15 février 1887, p. 101
15 LEMONNIER, C., in Le Livre, n° 49, 10 janvier 1884, p. 16