0477. MON BANC

MRenaud Strivay Les Veillées villageoises

J’avais dix ans . . .

J’habitais alors, à Plainevaux, non loin de la cascade, une vieille maison située sur la rive droite du ruisseau, près d’un petit pont de pierre.

Au fond du jardin de cet humble logis -blotti contre la haie du verger voisin- il y avait un banc de bois qui fut mon confident le plus discret.

Permettez-moi d’en évoquer aujourd’hui le souvenir.

Dès l’éveil du printemps, je m’y asseyais seul parfois, après la classe, tandis que le soleil couchant teintait les fenêtres de sa sanguine, que la brise caressait les premières feuilles, et que, déjà maints scarabées -aux corselets bronzés- rôdaient autour de moi.

En été, que d’heures charmantes j’y ai passées, oublieux des livres de l’école, parmi les arbres fraternels et les fleurs émerveillées !

Sous mes yeux, les pinsons chantaient leur hymne au soleil; les papillons se chuchotaient des confidences et des abeilles -ivres d’air et de lumière- passaient jusque sur les pages de mon « Defays »1 songeur.

O le charme de cette quiétude que ne venait troubler nulle voix importune.

L’automne m’y conduisait encore . . . et j’ai gardé de ces soirs dolents de magiques évocations.

Feuilles mortes de toutes nuances s’entrechoquant dans leur chute; écharpes orangées se mouvant aux horizons; étoiles clignotant sous leurs « loups » de velours; rayons d’ambre se délayant dans l’ombre éplorée; lampes familières vues à travers de petits rideaux; pommes tombant avec un bruit mat dans la prairie adjacente . . . pendant que -vaguement- je pensais aux choses qui se meurent et aux métamorphoses des saisons.

L’hiver, pendant ce temps, se poudrait à frimas derrière un rideau de brume et préparait son entrée en scène . . .

Mon cher banc, alors trempé de pluie et strié de mousse, semblait redouter son isolement, et la haie ajourée versait sans trêve, dans ses rainures, l’eau froide de ses gouttelettes.

Avec regret, je ne pouvais plus lui rendre que de rares visites et j’en souffrais intérieurement jusqu’à ce qu’Avril, au visage rose, vint retremper ses doigts dans les sources frissonnantes.

J’avais dix ans . . .

Ce petit banc apparaît toujours en relief sur le fond -bleu tendre- de mes souvenirs et je crois que, jamais, ne tombera, sur son image, le voile opaque de l’oubli. . .

1Anthologie enfantine.