1047. A propos d’ Halloween: « fête ancestrale de nos contrées » ?

André LEFRANçOIS En cette fin d’octobre 2001, les habitants de Plainevaux ont trouvé dans leur boite aux lettres une feuille qui annonçait une initiative intéressante: « Les enfants du village des écoles de Plainevaux passeront le 31 octobre à la tombée de la nuit ( …) vous proposer un marché TRICK OR TREAT 1. C’est Halloween, la fête ancestrale de nos contrées qui revient! ( …) . A 19h30 le partage d’une soupe de potiron, vin chaud et autres rafraîchissements à l’école maternelle de Plainevaux promettait d’entrevoir une belle convivialité.

Statue celte à deux têtes (Irlande) 1er siècle av. J.-C.

Au-delà du caractère très positif de cette initiative, il est permis de prendre quelque distance et de se poser la question. « Halloween» est-elle vraiment une « fête ancestrale de nos contrées » ?

Personnellement je ne me contente plus de l’optique d’ Anaxagore, pour qui « tout est dans tout » ; un minimum de netteté historique est indispensable et invite à répondre non à cette question. Voici pourquoi.

Nos manières de vivre actuelles résultent d’immenses syncrétismes qu’au prix d’un effort historique nous pouvons parfois reconstituer en remontant jusqu’il y a +ou­ – 5 millions d’années ( origines de l’espèce Homo); encore faut-il tenter d’en démêler les composantes avec objectivité. Sans remonter jusqu’à l’époque où l’homme a maîtrisé le feu, et en ce qui concerne notre fête aujourd’hui rebaptisée « halloween », tout se passe comme si les évolutions « récentes » s’étaient déroulées comme suit.

Miroir décoré en bronze. Il compte parmi les plus belle pièces d’art celte.

Depuis le néolithique surtout (ici, +ou- 5 millénaires avant notre époque?) où l’ agriculture a été inventée ou importée, les hommes ont attaché beaucoup

d’importance à l’alternance des saisons. la survie en dépendait. Nos « ancêtres les Gaulois », et les Celtes en général, divisaient l’année (lunaire, puis luni-solaire) en deux saisons : celle de la végétation ou bonne saison, et l’hiver ; le calendrier gaulois de Coligny nous l’apprend. Chez les Celtes irlandais, avant notre ère « chrétienne », la fête de Samhain , fête de l’hiver imminent, se situait à l’époque de notre 1r novembre; elle était conçue comme le moment où, de même que la végétation meurt, le passage entre le monde des vivants et celui des morts s’ouvre et permet aux êtres des deux mondes de communiquer; la tradition y rattachait l’accomplissement de sacrifices sanglants destinés à perpétuer le souvenir des lourds tributs imposés à l’homme par les obscures puissances de destruction; au seuil de la saison stérile, on offrait aux esprits souterrains les dîmes prélevées sur la fécondité finissante. Tout un ensemble de mythes incarnés dans des rites sauvages, dans des récits effrayants de luttes entre les deux mondes, s’étalaient librement le jour de Samhain et donnaient à cette fête un aspect unique, celui d’une vision hallucinante et folle où les barrières fermant le monde invisible (imaginé) s’ ouvraient et où, pour un bref moment, l’univers des puissances mystérieuses revenait se mêler à la quotidienneté humaine. D’autres indo-européens cultivaient des croyances et des mythes agraires de ce type: citons les Grecs anciens avec Corè (fille de Déméter, devenant Perséphone au moment où la végétation meurt et où elle est emmenée dans les enfers par Hadès, jusqu’à son retour à la lumière au printemps) ; équivalent romain. le mythe de Cérès et Proserpine.

A l’arrivée du christianisme, nous avons été « invités » à ne plus croire à tous ces mythes explicatifs du déclin de la végétation: ils furent déclarés « païens » ( c’est-à-dire « paysans » ) .En +380, par l’édit de Thessalonique, Théodose imposa à tous les habitants de l’Empire romain la foi chrétienne catholique et porta à l’égard des autres confessions et croyances une condamnation de principe; mais on ne déracine pas aussi aisément des croyances installées depuis longtemps dans les mentalités collectives, comme le montre la survivance de ces pratiques que nous situons aujourd’hui au plan du folklore, et non plus des croyances(du moins je le suppose). Soit dit en passant, par la même occasion le calendrier romain aux jours festifs assez irréguliers, qui était, bon gré mal gré, devenu le nôtre après la conquête de nos régions par César, dut s’effacer lui aussi pour faire place à la semaine judéo-chrétienne ; mais le nom des mois restait romain (et aujourd’hui nous notons tout cela avec des chiffres arabes. syncrétisme !).

Dans nos régions, comment les Gaulois puis les Gallo-Romains appelaient-ils la fête appelée Samhain en Irlande ? Nous l’ignorons : aucun document écrit de l’époque ne nous permet de l’apprendre. Mais ce n’était en tout cas pas « Halloween », puisque la langue anglaise n’existait pas encore; et Hallowe’en est un mot anglais, adopté à une certaine époque par les Irlandais puis emporté en Amérique du Nord par les émigrants ; et ce mot est dérivé du verbe anglais to hallow qui signifie sanctifier, consacrer ; Hallowe ‘en, donné comme écossais par le dictionnaire Harrap’s shorter, est traduit veille de la Toussaint ( eve = veille; donc Hallowe’ en serait la contraction de la racine hallow et du nom eve).

Hallowe’ en, veille de la fête de tous les saints. Ce nom est donc utilisé aujourd’hui par les Anglais, les Ecossais, les Irlandais et les Américains anglophones pour désigner une fête aux origines celtiques, attachée à des croyances celtiques, mais dont, chez ces chrétiens d’aujourd’hui, le statut ne peut plus être que folklorique, sous peine d’hérésie: syncrétisme en sous-qualification ?

Cernunnos, l’un des dieux infernaux, porte des andouillers de cerf en tant que seigneur des bêtes sauvages.

« Nos contrées », situées jusqu’il y a peu en dehors de la zone culturelle anglo- saxonne, avaient-elles conservé la pratique de la fête celtique de l’hiver imminent et du passage à la saison stérile, après l’arrivée du christianisme ? Oui incontestablement. Quand j’étais un gamin, à Vottem au début des années 40, avec mes copains j’ ai évidé des betteraves sucrières en leur ouvrant un nez, des yeux et une bouche, et après les avoir munies d’un manche et d’une bougie allumée nous allions les balader à la nuit tombante devant les fenêtres des voisins censément apeurés, ou le long des rues et sentiers (l’occultation permettait un effet maximal), ou devant la maison de l’instituteur jugé trop sévère; d’autres personnes, moins espiègles, considéraient ces loum ‘rotes, tièsses di mwèrtou louminêrescomme des protections pour les maisons et leurs habitants. Folklore, et non croyances. …


D’après Haust : betterave évidée, tièsse di mwért ou loum’rote.

Jamais le terme Hallowe ‘en n’était utilisé; un autre terme bien wallon, ou français ? A vrai dire, j’ en ai tout oublié; qui nous renseignera ? Et « nos contrées » betteravières ne recouraient pas au potiron, dont la maturité précède celle de la betterave sucrière, laquelle tombe pile à l’époque de la Toussaint. Soit dit en passant, il vaut mieux que nos institutrices planévalliennes préparent, le 31 octobre, de la soupe au potiron plutôt qu’un étonnant potage à la betterave sucrière. ..

« Nos contrées » se situent-elles aujourd’hui en zone anglo-saxonne ? Oui apparemment, si l’on considère l’attrait, des jeunes générations surtout, pour la « civilisation » étatsunienne (voir la sorte de magie exercée par les visites à Disneyland et autres lieux de ferveur américanophile ; voir le taux des emprunts linguistiques à la langue américaine; voir l’engouement pour tant de produits d’origine américaine; sans parler du large consensus de nos concitoyens pour considérer l’impérialisme militaro-industriel ( et « culturel » ) mondial des Etats-Unis comme la meilleure des choses).

Chacun son goût, comme dit la mouche. ..Personnellement je reste attaché à nos valeurs wallonnes, francophones et européennes. J’aurais aimé que Paul ELUARD pratiquât aussi le wallon liégeois; il aurait alors écrit :

« Lèyî m’ don tchûsi çou qui m’ êd ‘ à viker ! » («Laissez-moi donc juger de ce qui m’aide à vivre. » )

1 « Trick or treat » = « donne- moi des chiques ou je te jette un sort »