0732. Fait divers à La Rimière, le 24 janvier 1572

Document sélectionné par Paul Dangoxhe – mars 1998.

Le 24 janvier 1572 très exactement, la Cour de Justice de La Rimière acte en ces termes la plainte de Jennon, épouse de Severin de Labbeau, là l’endroit de Pierre de Labbeau.

« En passant par le bois de Moege […] ledist Pierre par fource et violence la prist et la getta par terre dissant qui fallait qui fisse delle son plaisier et nonobstant la defense que de son pouvoir elle faisoit ledist Pierre luÿ dissoit quelle nestoit point pour resister ne defendre a ung homme […] Apres par fource la hierchat en haÿe et buissons qui la estoient et tirat son couteaux dissant qui rendoit son ame a chinq cens diables […] et qui ly coperait la gueille et sen ÿroit hors du paÿs […] Jennon luÿ hapat le couteaux et le gettat envoÿe. Nonobstant quoÿ lamesme ladiste Jennon crioet a haulte voix […] et ce voÿant ledist Pier luÿ estouppat la bouche de sorte que par grande fourche (force) et violence en fit son plaisier« .

La porte de la prison de la Brassine aurait pu ressembler à ceci. (Des. R. Bertrand)

L’événement est grave. La réaction rapide. Jean Dangoxhe, le mayeur du temps, appréhende Pierre de Labay sous l’inculpation « davoir commis force et ravissement« , …mais également Jennon, la victime, et les met en « chaynes et fiers [.] pour estre gardez jusque a ce que le bon droit et la verite » éclatent.

Les prisonniers sont « mis en ferme » (enfermés) en la maison de son frère, l’échevin Robert Dangoxhe, vraisemblablement à la « Brassine » qui sert également de prison.

L’émoi est grand dans la communauté. Les esprits s’échauffent. Henry de Labay1 tambourine à « luÿs (huis,porte) delle maison en dissant que on luÿ ouvrisse » et réclame la libération de son fils.

L’affaire aurait pu n’être que locale. Elle va relancer le conflit2 qui oppose depuis plusieurs années déjà la famille d’Argenteau, qui possède la seigneurie d’Esneux, à l’Abbaye du Val Saint-Lambert. La première récuse la Cour de Justice de La Rimière, l’autre prétend avoir la haute main sur celle-ci. En fait, toutes deux souhaitent percevoir les revenus des amendes.

Jeanne Dautel, veuve du seigneur d’Esneux, conteste inculpation et emprisonnement. Elle s’adresse au mayeur en ces termes: « que (telle chose) oncque (jamais) ne fut par vous, ne vous predecesseur fait, mais bien a este de notre part fait comme seigneur haultent (seigneur hautain) de ladiste Remier de quoÿ elle proteste contre vous de tous domaiges […] et inconvénient qui en se poldront (pourront) advenire ».

En effet, les inconvénients ne vont pas tarder.

Son fils, « Jacques Dargenteau, ses serviteurs minystres soldalz ses subiects (sujets) associes et favorisans » s’avancent le matin du 5 mars 1572 dans le village de La Rimière, assiègent la prison, rompent « serrures, chaynes de fier et lockets » et emmènent les prisonniers « a grand regreit et mescontentement » de Robert Dangoxhe et autres défenseurs.

L’affaire du viol est vite reléguée au second plan. De plus grands intérêts sont en jeu. Elle ne sera que prétexte à relancer un débat de compétence entre les seigneurs d’Esneux et le Val SaintLambert.

L’Abbé, s’appuyant sur le fait que terre et seigneurie de La Rimière appartiennent à son couvent, saisit la juridiction supérieure, la Haute Justice du Duché de Limbourg, et exige la condamnation des Argenteau.

Passant d’instance en instance, le dossier aboutira quelques années plus tard sur la table de la « Chancellerie du Roy catholique en la ville de Bruxelles » qui finira par confirmer l’Abbaye dans ses droits, au détriment des seigneurs d’Esneux.

1 Cf les articles parus dans les « Cahiers de Jadis » pp.342 et suiv ; p.350 concernant les variantes des noms propres.

2 Cf p55 l’article évoquant ce fait historique ; seule la date doit être modifiée.