1187. Les bombes volantes.

Extrait du dossier pédagogique réalisé par l’Enseignement de la Province de Liège. 1994.

Ce texte s’inspire très largement de la conférence de M. Eugène Buchet, sur les attaques de robots sur Liège.

A l’euphorie de la Libération succèdent rapidement les difficultés matérielles de la vie de tous les jours : trouver la nourriture, des vêtements, des souliers… pose encore problème. Mais l’essentiel est acquis: l’ennemi est chassé du sol de la Belgique, la liberté et la paix sont revenues, la guerre avec son cortège de destructions s’éloigne.

Mais tous ces espoirs étaient prématurés: brusquement, un jour, va tomber du ciel une nouvelle arme, porteuse de mort, imprévisible et qui frappe au hasard, ici ou là. Les Liégeois vont apprendre à reconnaître le bruit caractéristique du V1, la première bombe volante.

En 1942, pour économiser des bombardiers lourds et atteindre Londres, les Allemands décidèrent de développer un avion sans pilote. Ce projet, appelé V1 (abréviation de Vergeltungswaffe ou arme de représailles) avait été développé par la firme Reseler pour la cellule et par le professeur Paul Schmidt pour le moteur, fabriqué chez Argus.

L’avion sans pilote avait une envergure de 5,39 m, une longueur de 7,74 m et un diamètre maximum de 0,82 m. Son poids atteignait 2200 kg et la charge explosive était de 847 kg. Il volait à une altitude variant entre 300 et 2500 m, à une vitesse de 560 km/h; la portée atteignait 200 à 300 km. Une aile de forme rectangulaire était fixée au tiers avant de l’engin, les gouvernes de direction et de profondeur se trouvaient à l’arrière.

Le V1 était mû par un moteur de type particulier, appelé pulsoréacteur.

Le pulsoréacteur qui ne comportait aucune pièce mécanique, se présentait comme un tube cylindrique long de 3 m. Il contenait dans sa partie avant une centaine de clapets en acier, à lames doubles. Le tube contenait aussi 9 gicleurs destinés à l’injection du combustible.

Schéma d’une bombe volante1.

Schéma d’une bombe volante1.

  1. Percuteur par contact.
  2. Réservoir à combustible (725 litres environ).
  3. Bonbonnes d’air comprimé (en fil de fer tressé).
  4. Conduit moteur de propulsion.
  5. Gouvernail de direction.
  6. Hélice.
  7. Compte-tours
  8. Boussole.
  9. Appareil de contrôle du temps.
  10. Cadran de réglage d’altitude.
  11. Gouvernail de profondeur.

Lorsque le pulsoréacteur se déplaçait à grande vitesse dans l’air, la poussée était engendrée par une succession d’impulsions, les clapets situés à l’avant, forcés de s’ouvrir par jet de combustible. Le mélange était mis à feu par un filament chauffé électriquement et il brûlait alors rapidement, la pression ainsi développée forçant les clapets à se fermer et exerçant par ailleurs une poussée vers l’avant par suite de l’éjection rapide des gaz vers l’arrière. Ensuite, en raison du manque d’air, la combustion s’éteignait temporairement et l’impact de l’air était de nouveau suffisant pour provoquer l’ouverture des clapets et ainsi assurer l’admission d’un nouveau volume d’air carburé, permettant de ce fait le déroulement d’un nouveau cycle.

Ce moteur était très simple à réaliser, très fiable, et bon marché à construire en grande série. Il n’avait pratiquement qu’un seul défaut, à savoir que cet engin demandait à être amené à une assez grande vitesse avant qu’il puisse commencer à fonctionner. Ainsi, les Allemands durent-ils lancer le V 1 à l’aide d’une rampe ou bien le larguer à partir d’un avion.

La rampe de lancement ressemblait à un tremplin en forme de ski retourné, d’une longueur de 45 mètres. Le V1 était posé sur un chariot roulant sur les rails de la rampe; il était accroché au piston propulseur par un crochet ouvert vers l’avant.

La distance parcourue par l’engin était contrôlée par une sorte d’hélice située à l’avant et dont le nombre de tours donne une idée de la distance parcourue. Lorsque la distance déterminée à l’avance était atteinte, un dispositif agissait sur le gouvernail de profondeur. Le V1 plongeait alors et comme le réservoir de carburant était situé à l’avant, le moteur n’était plus alimenté et s’arrêtait.

Tout le monde savait à l’époque, que lorsque le moteur fonctionnait, rien n’était à craindre. Mais dès qu’il s’arrêtait, c’était la course éperdue aux abris! Les V1 n’étaient pas télécommandés, car les Allemands craignaient que les signaux radios ne soient brouillés par les Alliés. Cependant, quelques-uns possédaient un petit émetteur, ce qui permettait d’en suivre la trace et de régler les tirs suivants. Le pilotage était assuré par un gyroscope couplé à un compas magnétique.

C’est le 22 décembre 1942 que le premier vol avec succès fut effectué. La production en série était prévue dans 17 usines, en général souterraines. Beaucoup de prisonniers du camp de concentration de Dora y ont travaillé.

Les bases de lancement étaient installées dans des endroits discrets, souvent dans les forêts.

Elles comportaient une série de bâtiments, dont certains étaient des abris bétonnés aux dimensions impressionnantes.

Au printemps 1944, près de cent bases étaient installées en Normandie et aux environs. Mais les autorités allemandes trouvaient ces bases trop visibles et vulnérables aux attaques aériennes.

Un nouveau type d’installation, appelé «site modifié», plus léger, fut adopté.

Il s’agissait de rampes métalliques, fabriquées en usine et assemblées sur des fondations préalablement construites. Les rampes de lancement ne devaient être amenées sur le site, en pièces détachées, que juste avant le lancement. Près de 150 sites de ce genre étaient prévus et lorsque l’attaque des V1 sur Londres commença en juin 1944, près de la moitié des sites étaient établis.

Les Alliés n’étaient évidemment pas restés les bras croisés. Lors des essais, un V1 dont la distance à parcourir était mal réglée, tomba sur une île du Danemark où par chance, un Résistant put faire des croquis et photos. D’autres agents transmirent aussi des informations. Enfin, des vols de reconnaissance, sur la grande base de Peenemünde (Nord de l’Allemagne) et en France permirent de repérer des rampes de lancement.

Le 17 août 1943, un sévère bombardement endommagea fortement les installations de Peenemünde, puis, à partir de décembre 1943, la destruction des bases en France commença. Fin janvier 1944, sur un total d’une centaine de bases, près de 75 étaient détruites. Quelques semaines plus tard, un taux de destruction de 90% était atteint. Ces destructions entraînèrent un important retard dans le lancement du premier V 1.

Au total, près de 10.500 V1 furent lancés contre l’Angleterre à partir du 12 juin 1944 jusqu’à la fin août, date à laquelle l’avance alliée en France avait permis de

s’emparer des sites de lancement. 3425 atteignirent leur but (dont 2400 sur Londres).

Beaucoup furent abattus par la D.C.A. ou l’aviation. Abattre un V1 pour un aviateur, était toujours une opération risquée. Soit il tirait au canon sur le V1, mais il fallait le rattraper, tirer ni de trop loin (trop difficile) , ni de trop près (risque lorsque l’engin explosait).

Une autre méthode consistait à glisser l’aile de l’avion en dessous de celle du missile, puis de le déséquilibrer.

Enfin, une troisième méthode consistait à piquer brusquement à l’avant du V1 pour le déstabiliser (en créant une forte perturbation dans l’air).

Mais il y avait pire que les V1, c’étaient les V2. Le V2, contrairement au premier, est un véritable missile dont la plus grande partie de la trajectoire se déroule dans la stratosphère. Le célèbre docteur von Braun en est le père incontesté.

Le V2 avait une longueur de 14 mètres, un poids de 12.400 kg, une charge explosive d’une tonne. Il volait à la vitesse de 5800 km/h à une altitude de 93-97 km et sa portée était de 320 km.

Le premier V2 fut lancé des environs de La Haye le 8 septembre 1944. Il visait Londres. Au total, jusqu’au 27 mars 1945, près de 1100 V2 atteignirent l’Angleterre où ils firent 2750 morts et 6500 blessés. D’autre part, près de 920 V2 furent tirés contre les villes d’Anvers, Liège, Lille, Paris, Roubaix, Maastricht, Hasselt et Bruxelles.

Il n’y avait aucune parade contre les V2 mais heureusement, cette arme fut mise au point trop tard pour influencer le cours de la guerre. On imagine aisément ce qui aurait pu se passer si les V1 et V2 avaient existé beaucoup plus tôt !

En Belgique, Anvers fut une cible de première importance pour les V1 et V2. Anvers était le grand port d’arrivée du matériel destiné aux armées alliées.

Les V1 tirés sur Anvers venaient au début (octobre 1944) de la région de Trèves, Cologne, Bonn. Ensuite, en décembre, de la région de Enschede aux Pays-Bas et du delta formé par la Meuse et le Rhin. Près de 3700 engins furent tirés dont 630 V1 sur Anvers et 1820 sur l’agglomération. Les derniers V1 et V2 tombèrent le 27 mars 1945.

Le 16 décembre, un tir de V1 avait particulièrement effrayé la population. L’engin était tombé sur le cinéma Rex, bondé ce jour-là. Près de 567 tués et 291 blessés graves furent retirés des décombres. Quand le haut commandement allié prit la mesure de la gravité de la situation, il fit mettre en place de considérables forces d’artillerie (près de 22.000 hommes) pour abattre un maximum d’engins. L’étude des impacts montra que 50% des V1 tombaient dans un rayon de 3 miles autour de la cible et que 50% des V2 tombaient dans un rayon d’un mile. Au total, près de 3500 Anversois furent tués, 3000 immeubles détruits et près de 27.000 inhabitables.

1 Dessin – Hachette Multimédia.