1193. L’église Notre-Dame de La Neuville

Ferdinand M DESSENTE

L’église de Notre-Dame de La Neuville est devenue église paroissiale le 1er avril 1810. Elle existait cependant déjà au début du XIVe siècle en tant que chapelle. Deux documents repris à la page 23 du MS 2026C, conservés à la Bibliothèque générale de l’Université de Liège, le confirment. Le premier est daté [mO ccco vi° judictio(n)æ quarta Die qui(n)ta me(n)sis] c’est-à-dire mille trois cent six, « judiction » quatrième jour, cinquième mois (4/5/1306); le second est daté [mo ccco septuage(s)i(m)o secu(n)do me(n)sis septe(m)bris die vicesima sexta] = mille trois cent septante-deux, mois de septembre, jour vingt-sixième (26/9/1372). L’église y est appelée soit capelle nove ville in condrosio soit encore capella del nove ville. Ces documents firent partie du cartulaire1 de l’abbaye de Flône, près de Huy.

Cette chapelle fut donc érigée par les premiers seigneurs de la Neuville, descendants des Donmartin-Warfusée. Les WARNANT ne leur succédèrent qu’au début du XVe siècle. Ce sont les dalles funéraires de certains membres de leur famille et de leurs descendants qu’on trouve encastrées dans les murs de l’église:

1) Wautier de WARNANT (+ 22.9.1559) et Isabeaux de RAMELOT (+30.3.1558), derrière le bâtiment abritant le chauffage de l’église.

2) Jean de WARNANT (+ ?) et Josinne d’EYNATTEN (+ ?) dans le mur mitoyen séparant l’ancien cimetière du presbytère.

3) Jean de WARNANT (+ 2.8.1627) et Marie de CEELS (+ 16..), à droite de la porte conduisant à la sacristie.

4) Jean de WARNANT (+ 5.7.1679) époux de Marguerite Dieudonnée de WAHA , dans le mur extérieur de la chapelle des LANNOY.

5) appartient à un(e) de WARNANT ayant comme parent direct une de WAHA, dans le mur extérieur de la chapelle des LANNOY.

6) Pierre de THIRIBU (+ 29.4.1690) et d’Anne Marie de WARNANT (+7.2.1685) et de leur fils unique Pierre François de THIRIBU (+ 7.7.1713), à gauche de la porte conduisant à la sacristie.

Le MS 2026C avec les deux documents datés respectivement
4 mai 1306 et 26 septembre 1372.

7) Dieudonné Nicolas de WARNANT (+28.1.1705) (Notons que dans le registre n° l, p. 470, sa date de décès est le 27.1.1705!), et d’Anne Florence d’OULTREMONT (+13.6.1749), à gauche de la porte conduisant à la chapelle latérale des LANNOY.

8) Damien Gérard Ernest de LANNOY de CLERVAUX (+25.4.1743) et

d’Aldegonde Louise Françoise de WARNANT, dernière du nom

(+24.4.1731), à droite de la même porte.

9) Ferdinande Anne Louise de LANNOY de CLAIRVAUX (+8.3.1841), plaque de

marbre blanc encastrée dans le mur de la chapelle latérale des LANNOY. Elle faisait partie précédemment d’un autel votif qui fut envoyé à la casse!

10) Léopold Charles Ferdinand de LANNOY de CLAIRVAUX (+24.11.1841), inscription sur la plaque de marbre blanc précédente.

11) Auguste Joseph Ghislain de TORNACO (+15.5.1889),

plaque accrochée dans la chapelle latérale des LANNOY.

Ajoutons-y encore trois autres dalles funéraires d’ecclésiastiques ayant servi à Neuville; les deux dernières ne sont plus visibles car cachées sous le dallage:

1) Simon JASPAR, vicaire (+10.5.1723)

2) Remi BATAILLE, prêtre (+20.12.1713)

3) Laurent BOURGEOIS, prêtre (+ ?)

Par un document daté du 11 juillet 1445, on apprend que notre chapelle était déjà consacrée à notre dame del noveville en condros. Dans le pouillé2 de 1497, le plus ancien de notre région, il n’est pas fait mention de notre chapelle. Par contre le pouillé de 1558, cite la « capella de nova villa ». Enfin, un pouillé d’Ouffet, la range sous « Hermalle ante Flonam, ecclesia integra: capella B. Mariæ Virginis in Nova villa », c’est-à-dire Hermalle devant Flône, église entière3.

C’est donc le curé d’Hermalle-devant-Flône, aujourd’hui, Hermalle-sous-Huy, qui est aussi le curé des habitants de la Neuville. C’est lui qui doit pourvoir à l’instruction chrétienne de ses ouailles; c’est à ce titre qu’il peut utiliser la chapelle. C’est toutefois dans l’église d’Hermalle que doivent se célébrer les mariages.

Comme il était courant à cette époque, les seigneurs de la Neuville possédaient aussi le droit de collation4 .

Dans les archives on parle encore d’un recteur5 ou d’un collateur6 de la chapelle. Comme on pourrait s’en douter, ici, il s’agit presque toujours de quelqu’un apparenté au seigneur de la Neuville. Le recteur ou le collateur sous-traitait généralement à un desserviteur7, certains devoirs découlant des testaments acceptés, c’est-à-dire la célébration des messes anniversaires. A côté du curé de la paroisse dont dépend la chapelle, deux autres personnages y jouaient donc également un rôle.

Le bénéfice des rentes versées donna lieu à plusieurs procès dont on trouve les comptes-rendus dans les archives. Le document no6 du cartulaire de la chapelle (qui est une copie), rapporte que le 7 janvier 1554 intervint un accord entre Wathieu de Warnant, seigneur de la Neuville, et Philippe Dorjo de Reepen, 23e abbé de l’abbaye de Flône, quant à l’alternance de la collation de la chapelle de Neuville-en-Condroz

Notons au passage que Philippe Dorjo est parent de Wathieu de Warnant. Il en est de même de Henri Dorjo qui est alors recteur de notre chapelle et chanoine du chapitre de Ste-Croix à Liège. D’ailleurs, l’écu Dorjo figure sur les dalles funéraires des Warnant. Un ajout à ce même document, signale qu’en 1581, on a mis dans la chapelle le premier et dernier sacrement; c’est-à-dire le baptême et l’extrême-onction. Ce privilège se reflète dans les registres anciens: les baptêmes y sont consignés, de même que les décès. On y trouve cependant aussi quelques mariages mais ceux-ci ont été recopiés à partir des registres de l’église où ceux-ci furent célébrés.

La nef et le choeur avant les transformations de 1936. On peut y voir les trois baies vitrées,

l’ancien banc de communion et la chaire de vérité aujourd’hui disparus.

L’église vue à partir de la chaussée de Marche.

Revenons à l’édifice. On ne peut pas dire que tel qu’il se présente de nos jours, il possède des proportions harmonieuses avec son petit clocher ridicule en briques rouges. A l’origine il était pourvu, comme toutes les églises de son époque, d’une tour entièrement en pierre, comme sa nef. En effet, Pierre Dossogne, recteur de la chapelle qui procède à la réfection de cette tour entre 1724 et 1735 dit qu’elle « estoit de pierres jusqu’en haut ». Son aspect présent résulte d’innombrables modifications qu’il a subies au cours de son existence.

Voici le plan de l’église telle qu’elle se présente aujourd’hui.

On y remarque huit parties distinctes, identifiées par les lettres A à H, elles correspondent à cinq étapes principales de son évolution.

Pour permettre au lecteur de mieux appréhender les étapes évolutives, nous avons réalisé des représentations axonométriques.

L’axonométrie est une vue aérienne d’une construction ou d’une agglomération réalisée au moyen d’un procédé de dessin perspectif qui se base sur la simple mise en volume du plan. Il ne recourt pas au point

de fuite, comme dans la perspective classique. Il offre l’avantage d’une représentation fidèle, très peu déformée de l’original.

Fig.l Aspect probable de la chapelle originelle aux XIIIe-XIVe siècles. Elle présente une tour A de plan rectangulaire (de 8,20m x 5,20m), accolée à une nef unique B (de 8,20m x 20,54m). La construction est réalisée en moellons de poudingue de teinte brun « chocolat ».

L’entrée se situe alors du côté de la chaussée de Marche, « la pavée ». Les traces de cette entrée sont encore visibles de nos jours. Le nombre de baies vitrées est

inconnu: quatre, peut-être cinq.

Fig.2 La première modification consistera en le prolongement de la nef de 6,70m, soit une augmentation de 1/3, créant ainsi le chœur C actuel (mais sans l’abside G). On aperçoit la couture très nette à hauteur du commencement du choeur.

Les archives nous apprennent que les murs du choeur s’élevaient 4 pieds (± 1,20m) de moins que ceux de la nef. Une sacristie est également ajoutée du côté du cimetière. On peut encore facilement voir les traces de sa toiture à côté de la sacristie actuelle.

Fig.3 C’est Pierre Dossogne, recteur de la chapelle, qui va entreprendre entre 1724 et 1735 une série importante de travaux de réfection, d’aménagement et d’embellissement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’édifice.

A l’intérieur: réfection des plafonds du choeur, de la nef et de la sacristie; création de deux petits autels en plâtre garnis de marbre (disparus); marchepied du grand autel; pavement du choeur, de la sacristie et de la nef; création d’un jubé; remise à neuf de la tour (excepté la charpente), en l’aménageant en habitation1 pour y loger le desserviteur (ce sera François Collignon).

Fabrication d’un confessionnal pouvant aussi servir de chaire de prédication; fabrication de treize nouveaux bancs et d’une garde-robe pour le jubé; modification d’une table de communion dite balustrade pour renfermer les deux petits autels latéraux. Dans celle de droite il a fait mettre les fonts baptismaux (retrouvés lors de l’aménagement de l’autel pour pouvoir placer un banc supplémentaire).

A l’extérieur: rehaussement des murailles du choeur pour les aligner sur celles de la nef; renouvellement de la toiture d’ardoises, encadrement par de la pierre calcaire de toutes les baies en arc plein cintre; réfection de toute la tour; déplacement de l’entrée côté chaussée vers son emplacement présent. Enfin, refonte de l’ancienne cloche pour réaliser une plus grosse d’un poids de 544 livres (elle a disparu).

Fig.4 C’est du XIXe siècle que date la construction de la chapelle dite erronément « de Tornaco » (F sur le plan) car appartenant aux Lannoy de Clervaux. Egalement, le déplacement de la sacristie vers l’endroit où elle se situe maintenant. Enfin, rabaissement de la grosse tour pour la remplacer par la petite en briques. On ne sait la raison de ce changement. Est-ce suite à l’occupation française de 1795 à 1799 où l’armée républicaine confisqua les cloches pour la fabrication de ses canons que la cloche de Pierre Dossogne disparut?

C’est une charpente de poutres qui supporte à l’intérieur du clocher les deux cloches actuelles. Toutes les pièces de la charpente portent à leurs extrémités des chiffres romains ayant facilité leur assemblage. Une des poutres, porte gravée l’année 1860, date de l’érection probable du clocher.

Les deux cloches portent sur leur pourtour une inscription. Sur la première on peut lire:
ME FUDIT ALT. VANAERSCHODT MAJOR SUCCESSOR AL VANDENGHEYN LOVANIE2

M’a coulée A.L. Vanaerschodt principal successeur de A.L. Vandengheyn -Louvain

tandis que sur la deuxième se trouve coulé (voir photo page 904 du N° 24 des Cahiers de Jadis) :
MEAERE COLLATOBEATE VIRGINI LAETI DICARANT

Par l’airain consacré, que joyeux ils me dédient à la Bienheureuse Vierge. Les majuscules forment le millésime en chiffres romains MDCCLLL VIIIII, soit 1860, confirmant ce qui se trouve sur la poutre.

Fig.5 En 1936, l’abbé Henri Meulders fit ajouter une abside G au choeur pour y faire peindre une assomption de la Vierge entourée de six angelots. Cet ajout entraîna de grosses modifications: suppression des trois vitraux et de l’oculus qui éclairaient le choeur, abaissement du toit de la sacristie pour permettre de percer cinq fenêtres au-dessus.

En 1952, toujours à l’initiative de l’abbé Meulders, l’ancien maître- autel fut remplacé par celui constitué d’un bloc de marbre. Une plaque à l’extérieur nous apprend qu’il fut érigé à la mémoire des soldats américains tombés pour nous libérer et qui sont inhumés à Neuville-en-Condroz.

Un tabernacle en métal doré, décoré d’émaux, réalisé à l’abbaye de Maredsous, fut posé dessus. Qu’est devenu l’ancien autel? Depuis la réforme de Vatican Il (1962-1965), prévoyant que le célébrant dirait la messe face à l’assistance, le tabernacle constitua un écran. Il fut alors déplacé et encastré dans le mur à proximité de l’autel, à gauche de la dalle funéraire des Thiribut.

En 1965 on « colla », côté du vieux cimetière, l’annexe H du chauffage de l’église. Par la même occasion on masqua une des plus belles dalles funéraires de notre patrimoine, celle de Wathy de Warnant et d’Isabeaux de Ramelot!

C’est sous le pastorat de l’abbé Pol Cox qu’on déplaça le banc de communion et que disparurent progressivement, au cours des remises à neuf des peintures intérieures, les angelots et la Vierge décorant l’abside. La statue en plâtre doré de saint Joseph, faisant pendant à la statue de la Vierge à l’enfant Jésus, fut « accidentée » au cours d’un de ces travaux de rafraîchissement. Elle fut remplacée par l’ancienne statue de saint Roch qui traînait dans le grenier du presbytère. Hélas, celle-ci tenta des voleurs d’antiquités et disparut avec d’autres objets de valeur du culte. Une reproduction de l’icône de la Trinité de Andrei Rubliov la remplaça.

L’autel dédié aux soldats américains avec son tabernacle
et derrière, l’assomption de la Vierge avec ses six angelots.

L’autel dédié aux soldats américains avec son tabernacle
et derrière, l’assomption de la Vierge avec ses six angelots.

1) ADAM Servais 01.04.1810 18.04.1826

2) LATOUR François 19.04.1826 14.07.1834

3) PHOLIEN Nicolas 16.07.1834 02.08.1836

4) FRANCK Henri Joseph 15.11.1836 16.02.1872 +

5) DEPAS Antoine 1872 1878

6) EYBEN Florent 10.1878 1880

7) CRENIER Henri Joseph 1880 27.10.1886

8) SEBA Victor 27.10.1886 25.04.1892

9) JOACHIM Nicolas 25.04.1892 25.08.1903

10) CORDONNIER Ignace 25.08.1903 1915

11) LECOCQ Pierre 1915 1931

12) MEULDERS Henri 1931 31.12.1972

13) COX Pol 01.01.1973 30.11.1980

14) VANDUFFEL Théo 01.12.1980 30.09.1994

15) HANNOSSET Pierre 01.10.1994


L’église vue à partir du vieux cimetière. On voit parfaitement la trace du toit de l’ancienne sacristie et la dalle funéraire blanche de Wathy de Warnant et d’Isabeaux de Ramelot, aujourd’hui cachée par le bâtiment du chauffage de l’église.

1 Le presbytère actuel est beaucoup plus récent. C’était d’abord une maison appartenant à la comtesse Ferdinande de Lannoy dont la dalle funéraire en marbre blanc se trouve encastrée dans un mur de la chapelle dite de Tornaco. Elle en fit don à la fabrique d’église en 1840 pour servir de presbytère. Par la même occasion elle légua l’orgue (un harmonium) de la chapelle privée du château. Cet instrument se trouve relégué dans les combles de ce presbytère. Il fut remplacé par de vraies orgues qui datent de 1893.

2 Beaucoup d’autres cloches proviennent de Louvain où les Van Den Gheyn constituaient une véritable dynastie de fondeurs de cloches. Une autre famille de fondeurs de cloches de Louvain, les Van Aerschodt, a fondu des cloches pour la cathédrale Saint-Paul de Liège ainsi que les nôtres.

1 Un cartulaire est un recueil de titres relatifs aux droits temporels d’un monastère ou d’une église.

2 Un Pouillé est le registre des bénéfices ecclésiastiques de tout un diocèse.

3 Une église integra est une église importante, souvent primitive, qui paie la taxe entière à l’évêque, à l’archidiacre et au doyen:

à l’évêque le cathedraticum à l’occasion du synode annuel ;

à l’archidiacre et au doyen les procurationes, visitationes et pabula.

Ces taxes trouvent leur origine dans l’ancien droit de gîte en rapport avec la visite canonique.

Une église media, c’est à dire moyenne, ne payait que la moitié des taxes.

4 Le droit de collation consistait dans le passé à conférer le bénéfice tiré d’une institution ou d’un bien ecclésiastique à une personne qu’on désigne. Il faut savoir que ces revenus étaient très importants, découlant de rentes versées pour la célébration de messes anniversaires de décès, de biens cédés pour les mêmes raisons et qu’on louait…

5 Le recteur, du latin rector, est celui qui gouverne, administre, est le chef.

6 Le collateur, du latin collatus, participe de confero, est celui qui confère un bénéfice ecclésiastique.

7 Le desserviteur, est la personne qui s’acquitte du service d’une église, d’une chapelle.

8.Le presbytère actuel est beaucoup plus récent. C’était d’abord une maison appartenant à la comtesse Ferdinande de Lannoy dont la dalle funéraire en marbre blanc se trouve encastrée dans un mur de la chapelle dite de Tornaco. Elle en fit don à la fabrique d’église en 1840 pour servir de presbytère. Par la même occasion elle légua l’orgue (un harmonium) de la chapelle privée du château. Cet instrument se trouve relégué dans les combles de ce presbytère. Il fut remplacé par de vraies orgues qui datent de 1893.