0997.Comment rentabiliser les minerais pauvres en 1577 ?

Van Alken Daniel

En me documentant sur la toponymie de Plainevaux, me rendant sur le terrain et examinant les résultats d’anciennes recherches géologiques, j’ai été étonné par le nombre de fosses entre Beauregard et Monceau en passant par Nomont !

L’exploitation semble dater de la même époque. Plus de 140 « fosses » sont encore visibles et elles sont en ligne droite vers le Nord-Est. Les analyses du minerai de fer présent dans ces endroits révèlent une teneur assez faible du métal !

Les fosses à proximité de la Roche aux faucons.

Sachant la difficulté technique et les moyens à mettre en œuvre pour retirer le métal du minerai, l’énergie dépensée pour maintenir la très haute température nécessaire à la fusion une question logique se posait :

« Quel pouvait être l’intérêt d’une telle opération ? » 

Un curieux document datant du 7 juin 1577 nous apporte beaucoup de précisions sur certains procédés industriels de l’époque. Il nous éclaire sur l’usage que l’on pouvait faire des minerais de fer exploités à Plainevaux (sur les fosses).

Ce document ou plutôt ces documents ne proviennent pas de Plainevaux mais de Sasserotte (au lieu-dit Praillon), localité proche de Theux, pays de Franchimont et enregistrés par le notaire Lapide à Liège.

« L’an XVe,LXXVII, du mois de jung le 7e jour, pardevant moy le notair subescript et les tesmoings dessoubs mentionnez personnellement constitue honorable et vaihlant homme le Sieur Anthoine Vaes et Jean Geury, inhabitans de Praillon, d’une part et Guilhelme Stevarts, d’aultre… ».

Je vous fais grâce de l’entièreté de l’acte qui se termine ainsi : « …Presents en la maison dudict Guilhelme Stevarts, scituee sur la paroisse de Saincte Aldegonde, en Liege, honnestes personnes Mathy de Velkeneer, Mathy Mullenborgh, appeles de moy le notair subescript », signé Lapide.

Eugène Polain nous en donne les détails.

L’acte en question établit très nettement le rôle de chacun dans la Société, mais c’est Guilhelme Stevarts qui est la cheville ouvrière de l’affaire. C’est lui qui construit le fourneau et il semble même le posséder d’avance ; il en reste maître et administrateur. De plus, il reçoit, outre sa part et son salaire, les déchets de l’exploitation ! Comme nous le verrons, ces déchets ne sont pas sans valeur !

Dans l’acte, il s’arroge le droit de faire des profits supplémentaires… en « fossoyant après d’autres matières ». En effet la Société n’a pour ses trois membres qu’un but, l’extraction et le raffinage du soufre retiré des marcassites (pyrites de fer cristallisées, contenant du soufre, du fer et du cuivre) et des kisses (sulfures de fer, de cuivre, de plomb ou d’autres métaux).

L’exploitation du soufre devait avoir une grande importance dans une région où on fabriquait beaucoup de poudre et où le salpêtre était abondant.

Plusieurs industries durent réussir dans ce domaine car un édit daté du 24 décembre 1596 en défendit le trafic, c’est à dire l’importation des aluns, couperoses et soufres !

Par cet édit, nous apprenons d’où on tirait le beau soufre. La ville entrepôt des soufres et couperoses était … Hambourg et il provenait du Hartz1. D’après ce qu’on peut comprendre dans l’acte, c’est assurément les procédés de distillation et de raffinage employés dans le Hartz que Stevarts mettait en application.

Le fourneau était dans un massif de maçonnerie avec un feu central, autour duquel sont disposés des « pots » ou creusets en terre « en manufacture de terre » dans le genre de ceux que décrit Ch.A. Schlutter (« De la fonte, des mines, etc. Paris ; traduction Hellot, 1753).

L’acte précise « …ledict Stevarts sera tenu et promect de livrer la science de ladicte extraction et minerale distillation des soupfres, ensamble cestuy premier fourneau qui presentement est dresse de 20 à 21 pots et consecutivement les autres fourneaulx que faudra pour faire et continuer ledict ouvraige ».

Les minerais, c’est à dire les pyrites ou les sulfures concassés, étaient placés dans ces pots et quand le fourneau dégageait une chaleur suffisante, le soufre, mis en liberté, s’échappait par le haut des creusets et était conduit par des manches ou des tuyaux en terre, jusqu’à des réservoirs emplis d’eau où il se précipitait.

Le soufre ainsi produit n’est pas le beau soufre jaune ; il est gris et doit, pour être mis « en canons », sa forme commerciale, être raffiné, de là les deux opérations mentionnées dans l’acte, la « distillation » et le « raffinage ». C’est bien deux opérations car Stevarts reçoit un salaire différent pour chacune !

« … Et toutte la reste desdicts soupfres serat entre lesquels trois comparchonniers egallement partys scavoir chacun un tiers desdicts. Item le susdict G. Stevarts aurat pour le raffinnage desdicts soupfres de chacun cent (livres ?), sept pattars de Bbant pour ses salaires et se peu lesdicts soupfres faire aussy beaulx que ceux de Hambourg il aura de chacun dix pattars Bbant. »

L’acte précise encore que Stevarts conservera pour lui les déchets de l’exploitation (les crahiats de kisses brûlées), « …viendront au prouffict dudict Stevarts tous les vieux pots et aultres appartenans audict fourneau qui sont de manufacture de terre comme aussy il pourra tirer a soy tous les charbons, crahiats aussi bien des houilles que des kisses bruslees »

Ces déchets, comme le montre le mode d’exploitation employé dans le Hartz, ne sont pas sans intérêt ! Le grillage des minerais n’en dégageait pas toute la matière sulfureuse, déjà considérable puisque ces kisses renferment de 47 à 53% de soufre. On utilisait ces crahiats pour faire des vitriols ou couperoses.

Le procédé en était des plus simple ; à leur sortie des creusets, les kisses brûlées étaient jetées dans des baquets de bois et arrosées d’eau bouillante qui dissolvait le sulfate de ces minerais.

Après quelques jours, la dissolution était soutirée par le bas, mise en cuve, chauffée afin de la réduire et enfin vidée dans des cuves à cristalliser ! Cette solution se prenait en cristaux verts pour le fer, bleus pour le cuivre et blancs pour le plomb.

L’opération était des plus rentable car elle permettait de se procurer un produit de qualité moitié moins cher que le soufre d’Italie ! On comprend pourquoi en 1596, le gouvernement princier interdit l’importation des soufres étrangers en visant surtout les soufres de Hambourg moins chers que ceux d’Italie.

En tout cas Guilhelme Stevarts dut réaliser des bénéfices car dans un autre acte du même notaire Lapide le 6 juillet 1578, il est capable de racheter la part d’un de ses comparchonniers, Jehan Geury !

Cette étude faite par Eugène Polain est très intéressante car les pyrites sont nombreuses dans le Pays de Liége et il était bien plus facile de les exploiter de cette manière que d’en retirer le métal contenu en faible teneur.

1 Le Hartz est un massif cristallin d’Allemagne situé entre le Hanovre et le Brunswick sur la rive droite du Weser. De nombreuses légendes proviennent de cet endroit.