1128. Une année au pied du clocher

Mémoires d’acolytes d’entre les deux guerres (6). Joseph Filée

Le samedi soir ou le dimanche matin avant la messe de 8 heures, ont lieu les séances de confession. Ah! ces confidences dans le silence du soir ou du petit matin. Autour du confessionnal où une zone neutre a été établie par discrétion pour ne pas entendre les pénitents, on se bouscule parfois, ne respectant pas le tour de rôle établi par l’ordre d’arrivée, et cette zone se rétrécit de plus en plus. Entre nous, certains essayent de saisir quelques bribes de conversation en tendant une oreille indiscrète pour entendre les fautes avouées et la sentence prononcée par le confesseur, souvent la même pour tous d’ailleurs : « Pour votre pénitence, vous direz 3 pater et 3 ave. Et maintenant récitez votre acte de contrition.« 

Pendant que vous bredouillez une suite de sons pas toujours très audibles, le confesseur vous donne l’absolution qui se termine par ces mots « Allez en paix » tandis que la planchette glisse dans sa rainure et termine sa course par un claquement sec! Vous pouvez alors retourner apaisé pour accomplir sans tarder votre pénitence. C’est une thérapie réconfortante de l’âme dont les effets étaient souvent bénéfiques tout autant sans doute que les conseils actuels de certains « psy » qui, eux, font payer fort cher leurs consultations!

Pour ce sacrement, Monsieur le Curé se fait souvent remplacer par le confrère d’une paroisse voisine ce qui rassure surtout les hommes plus soupçonneux que leur épouse quant au secret de la confession. Ah, combien de consciences ont souvent été ainsi soulagées, combien d’âmes scrupuleuses ont été rassérénées mais aussi combien de peccadilles ont été avouées, écoutées avec beaucoup de patience puis pardonnées par cet homme de Dieu qui entend aussi parfois de réelles misères qu’il doit garder pour lui seul!.

Pour preuve de ce secret de la confession, voyez St Jean Népomucène. Une chapelle a été érigée en son honneur du côté de Montzen. Ce brave homme était l’aumônier de l’empereur Venceslas. Ce dernier lui avait demandé de lui rapporter les propos que son épouse l’impératrice lui avait confiés en confession. Sur le refus du saint homme, Venceslas le fit noyer!.

Le dimanche après-midi nous pouvons assister aux vêpres. C’est un office assez court où l’on chante quelques psaumes en latin et des cantiques en français. L’office se termine par la bénédiction du Saint Sacrement donnée par le prêtre revêtu d’un surplis sur lequel l’acolyte glisse l’huméral. Après avoir glissé ses mains dans les deux grandes poches du vêtement, il saisit le grand ostensoir avec lequel il trace un grand signe de croix sur la foule … clairsemée pendant que l’acolyte agite la sonnette et que le chantre entonne en grégorien un Tantum ergo tonitruant.

A propos du surplis, ce vêtement, tout comme la grande aube blanche, est plié d’une façon extraordinaire à mes yeux d’enfant : chaque pli vertical mesure tout au plus 4 cm et forme un accordéon, tant pour les manches que pour la robe elle-même. D’un mouvement rapide des doigts, Monsieur le curé vous serre ainsi tout le vêtement qui mesure alors une dizaine de cm d’épaisseur, il le replie en deux et vous lace cette sorte de boudin de toile à l’aide d’un cordonnet. Epoustouflant vous dis-je, et je me demande encore comment Mademoiselle la gouvernante s’y prenait pour le repassage!

Et c’est ainsi que chaque semaine succède à la précédente. Heureusement, pour rompre la monotonie d’un tel calendrier nous avons des fêtes tout au long de l’année.

Tout d’abord je vous signale que l’année liturgique commence non pas le premier janvier mais le premier dimanche de l’Avent c’est-à-dire 4 semaines avant Noël, « Avent » avec « e » venant du latin « adventus » qui veut dire avènement. Les ornements sont de couleur violette et c’est une fête privée de 2me classe semi-double.

…A propos du surpli, ce vêtement, tout comme la grande aube blanche, est plié d’une façon extraordinaire à mes yeux d’enfant: chaque pli vertical mesure tout au plus 4 cm et forme un accordéon.

Il faut savoir qu’il y a des solennités, des fêtes doubles de 1re ou de 2me classe, des doubles majeurs (chacune de ces fêtes parfois doublées d’une octave privilégiée ou commune), des doubles tout simplement, ou des semi-doubles, ou encore des simples pour les humbles saints. En tout dernier lieu, viennent les « mémoires ». Quelle classification!.

Pendant ces quatre semaines, nous avons les premiers « Quatre-Temps », ceux d’hiver. Il s’agit d’une semaine pendant laquelle les mercredi, vendredi et samedi, on « fait jeûne et abstinence », ce qui vous rapporte 10 ans et 10 quarantaines de jours d’indulgence!

Bon, attendez que je vous explique : « jeûne et abstinence » c’est assez facile à comprendre, non? on réduit le nombre de ses repas et on s’abstient de viande et de jus de viande. Jusque là, ça va? Pour les indulgences voici : ce sont des jours à décompter de votre séjour au purgatoire, l’endroit où l’on prolonge sa pratique pénitentielle après la mort avant d’accéder au paradis ». (Dictionnaire de la bible p 364 aux Editions Brepols) Vous pouvez ainsi « gagner » entre 10 jours et une plénière (remise complète des peines) selon certaines pratiques tarifées.

Quelques exemples : 300 jours pour la récitation d’une ou l’autre litanie mais qui deviennent 7 ans et 7 quarantaines si cette récitation est ajoutée au chapelet durant le mois d’octobre. Une petite invocation durant la journée vous diminue votre purgatoire de 40 jours. La prière pour la Belgique vaut 400 jours et celle pour la conversion du Congo, la moitié seulement (raciste ou quoi?). La participation à certaines confréries dont « la cotisation s’élève à 25 ctes par mois relevés lors de la réunion d’une durée de 40 minutes maximum au cours de laquelle tout rafraîchissement sera refusé« . (Hosanna p.129). vous permet d’obtenir une indulgence plénière. Je ne sais si cette tarification est comptabilisée par certains pour leurs péchés ou comme remises de jours de purgatoire des âmes de leurs défunts. Cela paraît assez mercantile mais incitait à une certaine pratique religieuse laquelle déboucha sur une crise grave dans l’Eglise (voir le Pape Léon X et la guerre des indulgences au XVIe siècle entre Augustins et Dominicains et qui fut à l’origine de la Réforme.).

Je vous ai aussi signalé l’abstinence ou « faire maigre », c’est à dire la non-consommation de viande et de jus de viande (voir Catéchisme p.77 ). Ceci aussi était critiqué par un de mes proches parents un tant soit peu anticlérical sur les bords : Il me disait : « Pendant les « quatre-temps », toi, tu ne peux pas manger un « crêton » avec ton oeuf, mais Monsieur le Baron, lui, il peut dîner d’une truite au vin blanc puisque c’est du poisson!! ».

Heureusement de telles pratiques sont révolues et pourtant elles avaient leur raison d’être. Et ces périodes de jeûne et d’abstinence durent … voyons : 40 jours de carême, + (4 x 3) jours des quatre-temps + les veilles des 4 grandes fêtes (Noël, Ascension, Assomption et Toussaint) soit 56 jours ou près de 2 mois par an, mais comme la viande est chère et qu’un jeûne de temps en temps ne fait aucun tort, c’est très bien ainsi. Voyez nos savants régimes actuels ou bien les menus végétariens qui sont un retour aux sources (Hosanna p. 55 et Catéchisme, leçon 28, p.76). Mais depuis le Concile de Vatican II, les « Commandements de l’Eglise » sont tombés dans l’oubli ce qui a laissé désemparés bien des vieux qui ne savent plus très bien ce qui se fait, ce qui peut se faire et ce qui doit se faire!

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Mais je bavarde et je suis encore toujours en « Avent », il serait temps d’avancer … dans le temps et d’arriver à Noël. Ce temps débute par les « Grandes Antiennes » ou « Antiennes en O » parce qu’elles commencent toutes par la lettre « O » : « O Sagesse … O Adonaï … O Racine … O Clémence… ». et dont les deuxièmes lettres lues en les remontant donnent en latin ces mots  » Ero cras » ce qui se traduit par « Il vient bientôt » (subtil non?). Ce sont aussi les premiers « Quatre-Temps » où, le samedi, sont ordonnés les Portiers, les Lecteurs, les Exorcistes, les Acolytes, les Sous-diacres et les Diacres; c’est un mois très chargé. Evidemment, ces cérémonies ne se déroulent pas dans nos petites paroisses mais à l’évêché. Donc, je ne m’y attarderai pas.

Nous arrivons à Noël et ses trois messes, pas les « Trois messes basses » de Daudet, non! mais la messe de la nuit, à minuit, celle de l’aurore à 8 heures puis celle du jour à 10 heures. Ah quelle belle nuit, avec toutes ces bougies et cierges allumés partout à profusion; il y en a sur les appuis de fenêtres, les autels latéraux et tout autour de la crêche dressée dans le choeur. Monsieur le Curé a sorti tous les personnages en plâtre polychrome, avec un Jésus presqu’aussi grand que Joseph et Marie pour marquer l’importance du personnage, le tout entouré de bergers et de moutons sans oublier l’âne et le boeuf.

Et nos beaux chants repris en choeur par tous les fidèles, et le « Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle » réservée au soliste de la chorale, chant puissant qui en fait encore frissonner plus d’un. Il y a parfois un couac lorsque le souffleur se fait bousculer dans l’étroit passage derrière l’orgue par un paroissien retardataire qui, sortant du café de la Place tient absolument à participer au Saint Office en chantant avec la chorale … avec parfois quelques mesures de retard. Après la messe, on se réunit en famille pour manger les cougnous.

Nous arrivons alors au 31 décembre, fête de Saint Sylvestre et tant pis pour qui se lève le dernier, il se fera appeler Sylvestre toute la journée. Ce qui n’est pas bien méchant.

Deux semaines plus tard, le 6 janvier, à l’Epiphanie, on fête les Rois, une occasion de plus de se réunir pour manger la galette des rois où la maman a dissimulé dans la pâte, une fève qui désignera le roi de la journée à qui la découvrira, un roi qui se choisira une reine et se permettra d’agir en despote d’un jour! A la maison, l’année qui suivit celle où mon père, le coquin, avait avalé la fève, maman en avait dissimulé trois dans la pâte pour éviter les disputes entre frères.

Nous arrivons à la Purification, le 2 février, mieux nommée la »Chandeleur », 40 jours après Noël (40, un nombre symbolique) avec sa bénédiction des cierges, des »chandelles » que chacun reçoit et porte en procession dans l’église. Ce cierge qu’on ramène chez soi sera allumé les jours d’orage pour éloigner la foudre de son toit. Et puis il y a les crêpes que nous avons hâte d’aller manger!.

Le lendemain, le 3 février forcément, personne ne manque la bénédiction de Saint Blaise qui nous évite les maux de gorge. Et j’y crois dur comme fer puisque je suis né ce jour-là et que je n’ai jamais souffert d’angine!. Le martyrologue nous apprend que l’évêque Blaise a sauvé un enfant qui se mourait après avoir avalé une arête. Saint Blaise fait partie des 14 saints auxiliaires, un groupe de saints particulièrement célèbres pour l’efficacité de leur intervention. En voici quelques uns, c’est parfois utile : Saint Georges est invoqué contre les dartres, Saint Erasme, aux entrailles enroulées sur un treuil (mon Dieu!) invoqué contre les maux de ventre, (on l’aurait deviné). Saint Vite (ou Vitu, plus connu sous le nom de Saint Guy, le « Ghyslain » qui se retrouve dans les prénoms des anciens), invoqué contre les convulsions, le célèbre Saint Christophe qu’on prie avant les voyages et aussi pendant les orages (tiens ferait-il concurrence à notre Saint Donat?). Le diacre Saint Cyriaque, pour les maladies des yeux, Saint Acase pour les maux de tête, Egide ou Gilles contre la folie ou les cauchemars, Sainte Catherine (d’Alexandrie, pas de Sienne) patronne des étudiants et que les demoiselles devaient éviter de coiffer. Hélas, la plupart de ces saints ne figurent plus au calendrier! Le 4 février, vous trouvez, d’après certains calendriers, Sainte Véronique qui n’est pas le féminin de Saint Véron, un saint homme de chez nous dégommé depuis et qui ne se trouve plus nulle part. Et bien, Sainte Véronique qui n’a jamais eu les honneurs du missel est une sainte apocryphe ( du grec signifiant : tenu secret) donc non reconnue authentique mais véhiculée par la tradition, qui aurait essuyé le visage de Jésus sur le chemin du calvaire et dont on a conservé le voile. Véronique, c’est aussi, soit dit en passant, le nom d’une jolie fleurette bleue de nos talus et … d’une passe en tauromachie!. Après tout ceci on pourrait se demander à quel saint se vouer?

Mais vous avez aussi toutes les autres invocations comme « Saint André, dites-moi dans mon dormant, quel sera mon amant et mettez lui en main l’outil de son gagne pain ». ou encore « Qui l’bon Diu v’bènisse! » à qui éternue car on craignait de voir son âme expulsée de son corps à la suite d’un éternuement parfois très retentissant. Ou encore : »Al wäde di Diu » ou « Si plêst à Diu », et aussi, sur un autre ton : »L’diale qui t’apice! » Et bien d’autres encore que vous devez certainement connaître, sans oublier le « Judas, crachez-moi, le Bon Dieu vous punira! », mais ceci n’est pas une invocation!.

A propos du calendrier, je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager une partie des découvertes que j’ai faites en le, ou plutôt, les farfouillant. Saviez-vous que Saint Herménégilde, un prénom relevé sur la tombe d’un fidèle canadien, était fils d’un roi visigoth, il a été remplacé par Saint Martin Ier, dernier pape martyr. Autre exemple: l’abbé Benoît (21/3) a remplacé le pape Pie Ier (11/7) dégommé pour ajouter Pie X (21/8) tout en gardant Pie V. Quant à Saint Thimothée, fêté le 24 janvier, il a cédé sa place à Saint François de Salles qu’on fêtait le 29 pour se retrouver le 26 qui se trouvait être la Saint Polycarpe lequel est passé au 23 février bousculant ainsi Saint Pierre Damien Camaldule qui a gagné deux places, soit le 21 février, là où heureusement personne n’était inscrit!. J’espère que vous m’vez suivi? Alors, pour en terminer, une dernière date : le 6 février, ici on se marche sur les pieds : dans l’ancien missel, on y fête Tite de Crête avec mémoire de Dorothée alors que le nouveau missel nous l’envoie au 26/1 où se trouvait Saints Paul Miki et Amand qui, eux, sont revenus au 6/1.

Ces changements ont quelque peu bousculé les dictons paysans: ainsi la Saint Didier que je ne retrouve nulle part (ndlr : le 23 mai) est le jour où il faut semer ses haricots car « à la St Didier, pour un , tu en auras un millier. A la Saint Benjamin (31/3, lui aussi disparu) le mauvais temps prend fin », et « Après Saint Roch, » (16/8, il nous est resté celui-là), aiguise ton soc », sans oublier Sainte Claire à qui on porte des oeufs pour obtenir le beau temps. Noublions pas non plus les saints de glace, Mamert (6/5) , Pancrace (12/5) et Gervais (13/5), des saints au sang de navet comme l’écrit l’Almanach Rustica, et encore Médard (8/6) et la pluie, suivi, heureusement parfois, de Barnabé (11/6), et les saints-patrons : Honoré pour les pâtissiers (évidemment), Fiacre pour les jardiniers, Pantaléon pour les médecins et Loup pour les bergers (qui l’eut cru!)

Les saints ont aussi des animaux de compagnie. Ainsi Saint Roch dont je viens juste de vous parler et son chien bien entendu: ne dit-on pas de deux personnes dont on ne voit jamais l’une sans l’autre : » Volà Sint Roch è s’t chin! ». Saint Genès et ses abeilles, Saint Clément et son moucheron, Saint Rustique et son âne, Saint Robert et son aigle. Je vous laisse le soin d’en découvrir d’autres.

Nous avons eu aussi des saints « inventés » enfin, des saints dont on ne sait rien ou presque; telle Sainte Cécile que tous les chanteurs connaissent et qui est fêtée le 22 novembre, n’aurait pas existé mais proviendrait d’une mauvaise interprétation d’un texte retrouvé sur une tombe découverte dans les catacombes. Saint Firmin n’est pas très bien connu non plus du moins officiellement ce qui ne l’empêche pas d’être le patron d’un de mes vieux oncles et même de l’église de Rotheux.

Nous pourrions jeter un regard géographique sur la sainteté et, partant de Saint-Séverin-en-Condroz et sa magnifique église romane, nous égarer dans la très laïque France pour passer par Saint-Yrieix-la-Perche ou Saint-Dié et ses déodatiens (le nom de ses habitants) ou Saint-Avold avec son cimetière américain. Ce regard pourrait aussi être gastronomique si nous parlons de Saint-Emilion ou Saint-Estêve agrémenté d’un Saint-Pourçain ou d’un Saint-Nectaire pour terminer par une Saint-Remy bien de chez nous! Mais : »Vade retro Satanas »! Eloignons-nous du péché de gourmandise et revenons-en à des pensées plus pieuses.

Qui de vous n’a jamais invoqué Saint Antoine? Pas vous? Alors vous êtes très ordonné. Vous connaissez aussi Sainte Rita qui vous sort des situations désespérées. Certains se rendent aux Awirs prier Saint Georges pour les sortir d’une dépression. A Amay et ailleurs, « Sinte Brîhe » (Sainte Brigitte) est vénérée pour la réussite dans le bétail et spécialement lors du vêlage des vaches et de leur production de lait. Sur le chemin de Sotrez, se trouve la chapelle de Saint Paupin. Les paysans viennent le trouver pour demander la guérison de leurs animaux. La méthode n’est pas toujours efficace. Jugez plutôt : un herbager avait envoyé sa femme prier le saint de lui guérir sa truie malade. A son retour, l’épouse s’entendit dire par son mari : »Vos polé bin rallé è dire à voss t’homme qui n’s’occupe pu d’vos affaires, ca l’pourçais è crèvé ». Vous devez aussi bien connaître Saint Laurent qui mourut sur un grill. Il est invoqué contre … devinez? les brûlures évidemment. D’ailleurs