1155. Une année au pied du clocher

Mémoires d’acolytes d’entre les deux guerres.

Joseph Filée

Mais je bavarde et je suis encore toujours en « Avent », il serait temps d’avancer … dans le temps et d’arriver à Noël. Ce temps débute par les « Grandes Antiennes » ou « Antiennes en O » parce qu’elles commencent toutes par la lettre « O »: « O Sagesse … O Adonai… O Racine… O Clémence… » et dont les deuxièmes lettres lues en les remontant donnent en latin ces mots  » Ero cras » ce qui se traduit par « Il vient bientôt » (subtil non?).

Le mois de mars. Calendrier Liégeois du XIIIe siècle extrait du Psautier de Lambert le Bègue (Liège, Bibliothèque de l’université)

Ce sont aussi les premiers « Quatre-Temps » où, le samedi, sont ordonnés les Portiers, les Lecteurs, les Exorcistes, les Acolytes, les Sous-diacres et les Diacres; c’est un mois très chargé. Evidemment, ces cérémonies ne se déroulent pas dans nos petites paroisses mais à l’évêché. Donc, je ne m’y attarderai pas.

Nous arrivons à Noël et ses trois messes, pas les » Trois messes basses » de Daudet, non! Mais la messe de la nuit, à minuit, celle de l’aurore à 8 heures puis celle du jour à 10 heures. Ah quelle belle nuit, avec toutes ces bougies et cierges allumés partout à profusion; il y en a sur les appuis de fenêtres, les autels latéraux et tout autour de la crèche dressée dans le choeur. Monsieur le Curé a sorti tous les personnages en plâtre polychrome, avec un Jésus presque aussi grand que Joseph et Marie pour marquer l’importance du personnage, le tout entouré de bergers et de moutons sans oublier l’âne et le boeuf.

Et nos beaux chants repris en choeur par tous les fidèles, et le « Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle » réservée au soliste de la chorale, chant puissant qui en fait encore frissonner plus d’un. Il y a parfois un couac lorsque le souffleur se fait bousculer dans l’étroit passage derrière l’orgue par un paroissien retardataire qui, sortant du café de la Place tient absolument à participer au Saint Office en chantant avec la chorale … avec parfois quelques mesures de retard. Après la messe, on se réunit en famille pour manger les « cougnous ».

Nous arrivons alors au 31 décembre, fête de Saint Sylvestre et tant pis pour qui se lève le dernier, il se fera appeler Sylvestre toute la journée. Ce qui n’est pas bien méchant.

Deux semaines plus tard, le 6 janvier, à l’Epiphanie, on fête les Rois, une occasion de plus de se réunir pour manger la galette des rois où la maman a dissimulé dans la pâte, une fève qui désignera le roi de la journée à qui la découvrira, un roi qui se choisira une reine et se permettra d’agir en despote d’un jour! A la maison, l’année qui suivit celle où mon père, le coquin, avait avalé la fève, maman en avait dissimulé trois dans la pâte pour éviter les disputes entre frères.

Nous arrivons à la Purification, le 2 février, mieux nommée la « Chandeleur », 40 jours après Noël (40, un nombre symbolique) avec sa bénédiction des cierges, des « chandelles » que chacun reçoit et porte en procession dans l’église. Ce cierge qu’on ramène chez soi sera allumé les jours d’orage pour éloigner la foudre de son toit. Et puis il y a les crêpes que nous avons hâte d’aller manger!

Le lendemain, le 3 février forcément, personne ne manque la bénédiction de Saint Blaise qui nous évite les maux de gorge. Et j’y crois dur comme fer puisque je suis né ce jour-là et que je n’ai jamais souffert d’angine! Le martyrologue nous apprend que l’évêque Blaise a sauvé un enfant qui se mourait après avoir avalé une arête. Saint Blaise fait partie des 14 saints auxiliaires, un groupe de saints particulièrement célèbres pour l’efficacité de leur intervention. En voici quelques uns, c’est parfois utile : Saint Georges est invoqué contre les dartres, Saint Erasme, aux entrailles enroulées sur un treuil (mon Dieu!) invoqué contre les maux de ventre, (on l’aurait deviné). Saint Vite (ou Vitu, plus connu sous le nom de Saint Guy, le « Ghyslain » qui se retrouve dans les prénoms des anciens), invoqué contre les convulsions, le célèbre Saint Christophe qu’on prie avant les voyages et aussi pendant les orages (tiens ferait-il concurrence à notre Saint Donat?).

Le martyre de saint Erasme, église Saint-Etienne, Attert.

Le diacre Saint Cyriaque, pour les maladies des yeux, Saint Acase pour les maux de tête, Egide ou Gilles contre la folie ou les cauchemars, Sainte Catherine d’Alexandrie, pas de Sienne) patronne des étudiants et que les demoiselles devaient éviter de coiffer. Hélas, la plupart de ces saints ne figurent plus au calendrier! Le 4 février, vous trouvez, d’après certains calendriers, Sainte Véronique qui n’est pas le féminin de Saint Véron, un saint homme de chez nous dégommé depuis et qui ne se trouve plus nulle part. Et bien, Sainte Véronique qui n’a jamais eu les honneurs du missel est une sainte apocryphe donc non reconnue authentique mais véhiculée par la tradition, qui aurait essuyé le visage de Jésus sur le chemin du calvaire et dont on a conservé le voile. Véronique, c’est aussi, soit dit en passant, le nom d’une jolie fleurette bleue de nos talus et … d’une passe en tauromachie!. Après tout ceci on pourrait se demander à quel saint se vouer?

Mais vous avez aussi toutes les autres invocations comme « Saint André, dites moi dans mon dormant, quel sera mon amant et mettez lui en main l’outil de son gagne pain » ou encore « Qui l’bon Diu v’benisse! » à qui éternue car on craignait de voir son âme expulsée de son corps à la suite d’un éternuement parfois très retentissant. Ou encore : « Al wäde di Diu » ou « Si plêst à Diu », et aussi, sur un autre ton : « L’diale qui t’apice! » Et bien d’autres encore que vous devez certainement connaître, sans oublier le « Judas, crachez-moi, le Bon Dieu vous punira! », mais ceci n’est pas une invocation!


A propos du calendrier, je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager une partie des découvertes que j’ai faites en le, ou plutôt, les farfouillant. Saviez-vous que Saint Hermenegilde, un prénom relevé sur la tombe d’un fidèle canadien, était fils d’un roi visigoth, il a été remplacé par Saint Martin ler, dernier pape martyr. Autre exemple: l’abbé Benoît (21/3) a remplacé le pape Pie ler (11/7) dégommé pour ajouter Pie X (21/8) tout en gardant Pie V. Quant à Saint Thimothée, fêté le 24 janvier, il a cédé sa place à Saint François de Salles qu’on fêtait le 29 pour se retrouver le 26 qui se trouvait être la Saint Polycarpe lequel est passé au 23 février bousculant ainsi Saint Pierre Damien Camaldule qui a gagné deux places, soit le 21 février, là où heureusement personne n’était inscrit! J’espère que vous m’avez suivi? Alors, pour en terminer, une dernière date : le 6 février, ici on se marche sur les pieds : dans l’ancien missel, on y fête Tite de Crête avec mémoire de Dorothée alors que le nouveau missel nous l’envoie au 26/1 où se trouvait Saints Paul Miki et Amand qui, eux, sont revenus au 6/1.

Saint Roch – Eglise de Neuville en Condroz

Ces changements ont quelque peu bousculé les dictons paysans: ainsi la Saint Didier que je ne retrouve nulle part (ndlr : le 23 mai) est le jour où il faut semer ses haricots car « à la St Didier, pour un, tu en auras un millier. A la Saint Benjamin (31/3, lui aussi disparu) le mauvais temps prend fin », et « Après Saint Roch. (16/8, il nous est resté celuilà), aiguise ton soc », sans oublier Sainte Claire à qui on porte des oeufs pour obtenir le beau temps. N’oublions pas non plus les saints de glace, Mamert (6/5), Pancrace (12/5) et Gervais (13/5), des saints au sang de navet comme l’écrit l’Almanach Rustica, et encore Médard (8/6) et la pluie, suivi, heureusement parfois, de Barnabé (11/6), et les saints patrons : Honoré pour les pâtissiers (évidemment), Fiacre pour les jardiniers, Pantaléon pour les médecins et Loup pour les bergers (qui l’eut cru!)