1737. « La Pavée » à Neuville en condroz

Ferdinand M Dessente

18 avril 2007

Tout récemment Monsieur Frédéric MARTIN, au cours de ses recherches aux Archives de l’Etat à Liège, a découvert trois plans anciens relatifs au pavage de la chaussée de Marche, appelée « le pavé » dans ces documents. M’en ayant offert une copie, ce dont je le remercie chaleureusement ici, je n’ai pu résister à les étudier. Voici les observations à leur sujet.

Commentaires accompagnant chaque plan tels qu’ils furent rédigés (notamment sans accents) :

Premier plan :
A1 butte de terre quil faut applanir pour rendre le chemin pratiquable
A2 maison lucas ou le pave doit commencer
B chemin allant au chasteau
C chemin impraticable
D maison valentin et ou il faudra rehausser
E Batis(?) ou lon prendra de la terre pour rehausser
G pont des vaches ou il faut un pont
H une terre appartenant a un beneficier1 et lautre a mr tiribu ou lon passe
I prairie appartenant a mr tiribu ou lon doit passer
K petite fontaine quil faut murailler pour faire monter leau sur le pave
L fin du pave un peu au dela de la separation de la noeuville et ehin2
M Butte de terre a avaller3 devant l eglise
N terre appartenant a la val st lambert ou il faut passer »

Quelques remarques concernant l’explication du 1er plan.

On parle « du pavé », au masculin, alors qu’on dit ici à la Neuville « La Pavée » -« Al pavêye », au féminin. Alors qu’en N on lit « a la val st lambert », au féminin, au lieu de « au Val st Lambert », au masculin!

La lettre J n’est pas utilisée sur le(s) plan(s) car on pouvait la confondre avec celle qui précède, la lettre I.

Doc. AEL – 2ème et 3ème partie.

La petite fontaine annoncée en K ne figure pas sur le plan. Peut-être aurait-elle dû figurer à la Place de l’Eglise, là où il y avait jadis une pompe publique située devant deux petites maisons, rasées pour rectifier la chaussée de Marche. (Cf. Cahiers de Jadis N°l, photo p.9; N°4, photo p.126 et N°14, photo p.492).

La lettre F ne se trouve pas dans l’explication du plan mais elle figure sur ce dernier et correspond à la ferme dite « La Maison Rouge » ou « Li rodge mohone ». Le dessin de celle-ci est cependant des plus approximatifs. (Cft. Cahier de Jadis N°14, p.451 et ss.).

La représentation de l’église (chapelle à l’époque) Notre-Dame de La Neuville montre une tour bien carrée depuis le bas jusqu’en haut et non surmontée du clocheton en briques qu’elle possède aujourd’hui. Ceci est conforme à la description de la tour lors de la réparation effectuée en l’an 1732, rapportée dans le Registre paroissial N°l de la chapelle, en bas de la page 133 :

« l’an 1732 au mois d’avril on a commencé a racommoder la tour , de la chapelle de la 9ville en condroz qui estoit de pierres jusqu’en haut aseavoir d’un costé seulement vers Saint Severin et il a couté 102 florin bbanS(*) sans conter les bois et journées de serveurs de massons et pour la meme sommes sur le toict et les massons six journées et demi allieurs aussi. le tout est paié et la meme année, en esté, on a reparé le dessus de la tour pour 50 florins bbantS(*). »

(*) « florins bbans ou bbants » : Florins (de) Brabant ou Braibant.

L’église (la chapelle) figure au centre du cimetière qui est entouré d’un mur. La maison du presbytère ne la jouxte pas, car pas encore bâtie au moment de l’élaboration du plan. Par contre les maisons avoisinantes sont celles des numéros 49, 51 et 53 de la chaussée de Marche, et celles en face sont les numéros 82,84 et 86.

L’allée du Château n’y figure pas car son tracé est postérieur au plan.

Sur le plan, le chemin qui est aujourd’hui la rue du Village et qui devrait aboutir en face du Chemin du Bida, s’arrête en haut de la parcelle E !

Nous proposons une explication: sur la Carte de Cabinet des Pays-Bas Autrichiens, dite Carte de Ferraris, établie entre 1771 et 1778, se présentent devant le Chemin du Bida, une parcelle ressemblant à la parcelle E du plan avec à droite une parcelle de même forme que celle à droite de notre parcelle E. Cette seconde parcelle est longée à droite par le ruisseau du Grand Pré passant sous le Pont des Vaches. Nous en supposons que le dessinateur du plan a commis une légère erreur. En positionnant la parcelle E à sa place, c’est-à-dire en positionnant son côté gauche plus ou moins dans

Doc AEL – Le deuxième plan

le prolongement du Chemin du Bida, on découvre un terrain sur lequel la rue du Village peut se prolonger pour aboutir au « Pavé ».

Deuxième Plan :

Plan du chemin depuis la fin du pave DYvoz jusque au commencement de celuy de la neuville

Explication

A fin du pave DYvoz
B montagne de St Hubert avons huit poulus(?) et demy de pente par toisse
C desia4 commencement du pave de la neuville
D detour que lon pourrait faire pour adoucir la pente de la montagne
E Piere(?) ou chapelle de notre dame
F Piere(?) ou chapelle de St Hubert
G angle d’en bas pour le chemin traversant le Bois
H angle d’enhaut a la sortie du Bois
I Battis(?) par dela la cense du champs de Bure
K angle ou le chemin est encor tres mauvais

Commentaires

Il n’appelle aucun commentaire, sauf qu’y figure la Ferme du Champ de Bure à droite de la route longeant le hameau du Gros Chêne à Ivoz-Ramet.

Troisième Plan :

Plan du chemin depuis la fin de la chaussee desia entreprise a la neuville jusque au tige(l) elle gotte(2)

Explication

A chemin presentement pratique
B tige5 elle gotte6 ou doit finir le pave
C fin du pave desia entreprins
D nouveau chemin que lon peut faire plus droit
E il ÿ a quinze verges7 de longueur de meschant chemin
F il ÿ a cinquante quattre verges de chemin impratiquable

Doc AEL – Le troisième plan.

G terre appartenante au val st lambert
H cense de moche8
I vieu chemin de laisse9
K chemin allant sur rameit10

Par pasquay DeBeine11

Commentaires

On y voit dessiné en H la Cense de Moche (des Moges). Or sur la Carte de Ferraris à l’endroit où devrait se situer la Ferme des Moges, on trouve la mention « Ruines de la Cense de Boution ». Son étang de forme très particulière et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du Bois des Haies de Moges ne peut être que notre Ferme des Moges. Cette ferme avait donc déjà disparu au plus tard en 1778, date limite d’établissement de la Carte de Ferraris (Cfr. Cahier de Jadis N°11, p.345).

Trois noms de personnes sont mentionnés dans l’explication du premier plan. (Celui concernant Neuville).

Il s’agit de LUCAS, de VALENTIN et de TIRIBU.

LUCAS:

« maison lucas » en A2, située sur le plan où nous connaissons la Croix Lucas (aujourd’hui vandalisée: le petit crucifix fixé sur la croix réalisée en tubes, a disparu!) (Cf. Cahier de Jadis N°10, photo p.309). Cette croix est située à gauche de la route allant vers le hameau du Gros Chêne d’Ivoz, juste avant la limite de deux communes. Cette maison, comme bien d’autres, a disparu.

Le nom de Lucas n’est mentionné ni dans le Registre paroissial, ni dans le Cartulaire de la chapelle Notre-Dame de La Neuville.

VALENTIN:

« la maison valentin » citée en D semble correspondre sur le plan à la maison de Madame A.-M. Streel-Dalem, sise n°1, chaussée de Marche. Cette maison est datée par des ancres dans sa façade formant l’année 1712 (Cette date est un indice très important pour la datation de nos plans).

Dans le Registre paroissial N°1, p.498 on trouve consigné en l’année 1700, le mariage d’un certain Ferdinand VALENTIN avec Marguerite HENROTAY.

Egalement dans le Cartulaire de la chapelle, il est fait mention dans l’Acte N°35 :

« 7 décembre 1733 : Assignation et Fondation De L’anniversaire de Maitre Jean Marchand Chirurgien De 4 stiers12 1/2 quarte Spe13 par Messieurs du Val St Lambert en faveur Du recteur, Du marguelier et De La Chapelle de La Neufvi1le, -en 2 copies -« 

d’Anne-Marie VALENTIN fille de la Veuve Ferdinand VALENTIN. »

Cela signifie que Ferdinand VALENTIN est décédé avant 1733. On ne trouve pas mention de son décès dans le Registre paroissial.

On trouve encore un J.G. VALENTIN qui signe, en tant qu’échevin de la Cour de Justice, le procès-verbal relatant le miracle survenu le 27 août 1727 en la chapelle de La Neuville (Cfr. Cahier de Jadis N°30, p.1120 et ss.).

TIRIBU :

la bonne orthographe est de THIRIBU

« mr tiribu » est mentionné en H et I de l’explication du premier plan. Deux de THIRlBU sont mentionnés sur la dalle funéraire encastrée dans le mur du choeur de l’église Notre-Dame de Neuville, à gauche de l’entrée de la sacristie (Cfr. Cahier de Jadis N°37, p.1393). Il s’agit du chevalier Pierre de THIRIBU, seigneur d’Ayneffe, décédé le 29 avril 1690, et du chevalier Pierre François de THIRIBU, fils unique du précédent et d’Anne de WARNANT, décédé le 7 juillet 1713. (Cette date est également importante).

Dans son testament de 1678, le chevalier Pierre de THIRIBU, seigneur d’Ayneffe, qui possède la Maison Rouge, stipule que celle-ci reviendrait à son fils, unique héritier mâle. Cependant, à la suite de décès prématuré de ce dernier, elle reviendra d’abord à sa fille Philippine Catherine, puis à sa deuxième fille, Marie Marguerite Angélique.

Enfin, dans le Registre paroissial N°l de la chapelle, à la page 357, on peut lire:

« j’ai reçu de Monsr de tiribut le paiement de l’anniversaire14 susdit pour l’an 1706« 
« j’ai encore Reccu le paiment de l’anniversaire susdit pour Lan 1707:
S: Jaspar15.« 
« Monsieur de Tiribut m’a encore paie pour les ans 1708 et 1709
S: Jaspar »
« il en a fait de même pour L’an 1710 et 1711 S: Jaspar »
« Mademoiselle16de Tiribut m’a encore paié l’anniversaire pour les ans 1712 et 1713
S: Jaspar« .

Un peu d’histoire.

« Le Pavé », « La Pavée », « La Route de France », « Le Chemin neuf »,

« La Chaussée de Dinant », « La Route Napoléon », sont autant de noms qui ont été donnés à la présente Chaussée de Marche.

C’est en 1665 que les Etats-députés avaient décrétés que le chemin de Liège à Dinant serait pavé. C’est en date la plus ancienne décision de l’espèce… Cependant, petit à petit, dès 1713, on travailla (à le paver) d’Ivoz au Fraineux, plus tard de Seraing à Ivoz. Le chemin neuf ne fut réellement en état que vers 1750. (Cft. Cahier de Jadis N°26, p.949 et ss.).

Conclusions.

Comparons notre premier Plan (celui concernant La Neuvelle) à la Carte de Ferraris, pour rappel établie entre 1771 et 1778. Nous observons que la Maison du Relais (n° 100, Chaussée de Marche), datée de 1771, figure sur cette carte mais est absente de notre Plan; par contre la maison n°71, Chaussée de Marche, datée de 1712, figure, elle, à la fois sur la Carte de Ferraris et sur le Plan. Enfin, les dates se rapportant aux personnes dont les noms sont cités dans les explications du Plan, nous invitent à conclure que notre premier Plan a dû être établi entre la fin du XVIIe s. et les années 1712-1713, et plutôt au cours de l’une de ces deux dernières années.

1 « beneficier » : bénéficiaire
2 « ehin » : Ehein
3 « avaller » : descendre
4 « desia » : déjà
5 « tige » : wallon « tîdje » : vieux chemin de terre, large et gazonné
6 « elle gotte » : « Al Gotte » : La Gotte, lieu-dit
7 « verges » : étrange qu’il ait utilisé une mesure agraire ou lieu de « toises », mesure de longueur!
8 « moche » : Moges : lieu-dit (5) « de laisse » : délaissé
9 « de laisse » : déclassé
10 « rameit » : Ramet : lieu dit
11 « pasquay DeBeine » : PAQUET de Beyne
12 « stiers », setier: mesure de capacité pour les grains; il valait au XVIIe s. 30,7 litres.
13 « Spe » abréviation de spelte, latin pour épeautre.
14 il s’agit du paiement à un curé pour qu’il dise une messe à l’anniversaire du décès d’un proche. Etant donné les dates il doit s’agir de l’anniversaire du décès de Pierre de THlRIBU, le 29 avril 1690.
15 S: Jaspar: Simon JASPAR, vicaire de la chapelle. Sa plaque funéraire commémorative se trouve encastrée dans le mur extérieur de l’église, côté Chaussée de Marche.
16 demoiselle ou damoiselle est le titre donné à toute personne adulte de quelque rang, de sexe féminin. Il doit s’agir ici d’Anne-Marie de WARNANT, la fille ainée de Jean de WARNANT, seigneur de La Neuville et de Marie de CEELS de HODOUMONT, qui continue les paiements après le décès de son époux Pierre François de THlRIBU.