0846. Le “Pont Madame »

Avec l’aimable autorisation de Mademoiselle DEFLANDRE.

Dans le numéro 22 des « Cahiers de Jadis » nous vous présentions la Réserve
Naturelle de Rognac.
Aujourd’hui, nous vous présentons un aspect moins connu de la réserve : le
« Pont Madame »et les préoccupations dont il fût l’objet en 1989.

1. L’historique du « Pont Madame ».

LaRéserve est traversée par le ruisseau de la Neuville. Il prend sa source à Nandrin et se jette dans la Meuse au Val Saint Lambert. Il coulait jadis des jours paisibles au creux du vallon boisé qu’il drainait vers la Meuse.
Dans le courant du 19e siècle, la propriétaire des lieux décide de créer une sortie de ses terres, en dehors du village, à travers la forêt. Le chemin ainsi créé ou « Chemin madame » enjambe le ruisseau en s’appuyant sur la voûte en plein cintre d’un tunnel. Ce tunnel en pierres équarries, long de 22 mètres et haut de plus de 3 mètres, est recouvert à son tour d’un important remblai de terre de sorte qu’il est désormais possible au charroi d’enjamber « à l’horizontale », ou presque, le vallon.

Le « Pont Madame » Photo R. Bertrand

Ce tunnel est par ailleurs un véritable « ouvrage d’art » et suscite aujourd’hui encore l’admiration.
En 1948, le nouveau propriétaire mure le tunnel et élève une semelle de béton contre le talus. Cette retenue engendre l’apparition d’une pièce d’eau d’environ 100 mètres sur 40, et profonde de 7,5 mètres au point le plus bas. C’est à cette époque également qu’est créé le déversoir qui sert de trop plein à l’étang en cas de crue. Il était relié à l’étang par deux canalisations de béton perçant le talus. Apparemment, si ce n’est une vanne hors d’usage dans le fond du tunnel, aucun système de vidange n’était prévu …

2. L’histoire » récente et les problèmes qui en résultent.

Tout se déroule relativement bien jusqu’au moment où les lotissements font leur apparition en amont du site et où les Réserves Naturelles et Ornithologiques de Belgique deviennent propriétaires de Rognac. L’imperméabilisation par le béton de surfaces considérables engendre, lors de fortes pluies, l’écoulement vers le ruisseau de la Neuville de quantités de plus en plus importantes d’eau et d’alluvions qui viennent finalement buter contre la retenue du « Pont madame ». Ces coups de butoir répétés ont finalement raison du mur de retenue qui se fend sous la poussée puis se brise. Une brèche, large de 2,80 mètres au sommet, s’ouvrait ainsi dans le mur, tandis que les flots d’eau désormais incontrôlables submergeaient le système installé au déversoir et emportaient avec eux les terres du talus recouvrant les tuyaux d’évacuation du trop-plein. C’est à ce moment qu’une passerelle permettant le passage au-dessus du « Pont Madame » doit être installée.
Lors de chaque crue, c’est-à-dire pratiquement après chaque pluie importante, l’eau submergeait non seulement le dispositif du déversoir, mais en outre elle s’engouffrait dans la brèche ouverte dans le mur de retenue. Cette masse d’eau surplombant le tunnel éliminait les terres du talus et s’attaquait à la voûte du tunnel. Non content de percoler à travers celle-ci, elle entraînait dans son sillage maçonnerie et pierres qui tombaient et s’accumulaient sur le sol du tunnel. Un point de moindre résistance prenait ainsi naissance sous une masse impressionnante d’eau et de vase.
Alertés et conscients des risques que pouvait présenter le dispositif pour les riverains situés en aval, les Conservateurs et les membres du Comité de Gestion de la Réserve font appel à divers spécialistes afin de définir la ligne de conduite à suivre.
Il s’avère in fine que le danger est réel de voir céder sous la pression de l’eau un dispositif affaibli, adapté certes à une situation antérieure mais aujourd’hui largement dépassé, et voir s’échapper vers l’aval des tonnes d’eau et de vase. Qui plus est, la loi oblige le propriétaire d’ouvrage d’art situé le long d’un ruisseau à prendre des dispositions particulières d’entretien et de réparation.

Que faire dans ces conditions ? Supprimer l’étang . Le vider ? Réparer le mur? Réparer la voûte ?

Pour des motifs scientifiques (études diverses), biologiques (diversité des milieux), environnementaux (épuration par lagunage et oxygénation des eaux polluées venant de l’amont), historiques (tunnel datant du 19e siècle), esthétiques (cascade et étang en sous-bois), financiers et de l’avis général des visiteurs à qui la question estposée : il convenait de conserver l’étang !

L’étang vidé . Photo R.Bertrand

Par conséquent, dans l’incertitude de l’évolution de la situation du mur et du tunnel et des conséquences d’une rupture brutale des deux, il s’imposait automatiquement de prendre des mesures urgentes afin de remettre le site en état. En d’autres termes : restaurer et consolider le mur de retenue, afin d’adapter le système à l’intensité des crues actuelles.

3. La solution.

La conception générale des travaux a pris en compte à la fois la réparation de la retenue d’eau, L’élimination des parties détruites de la voûte et la possibilité d’intervenir sur le réglage du niveau de l’étang en fonction des conditions climatiques.
A cet effet, un dispositif a été mis en place en tête du pont, sur le principe du « moine ». Le Moine est une construction parallélépipédique constituée d’un fond, de trois côtés fixes et d’un quatrième côté formé par une série de planches amovibles, coulissant dans deux rainures étanches.

Vue des travaux

Ce dispositif se place à la sortie d’une masse d’eau (rivière, étang, lac… ) de manière à régler, suivant le nombre de planches et le principe des vases communicants, le niveau des eaux. Toutefois, le système de planches, caractéristique à ce genre d’ouvrage, a été remplacé pour des raisons d’économie et de facilité, par une vanne manuelle immergée. En outre, le trop-plein de l’étang a été considérablement agrandi.
L’ensemble des travaux a pour effet, grâce à l’ouverture ou à la fermeture dela vanne, de permettre la régulation du débit des eaux. Cela permet également à tout moment et sans aucune difficulté, la vidange de l’étang pour des raisons d’entretien et de dévasement.

4. En conclusion.

Ces travaux ont coûté plusieurs centaines de milliers de francs. Durant des mois, la paix et le calme de la Réserve ont été troublés par le bruit des engins de terrassements. L’étang a été vidé durant toute cette entreprise.
C’était le prix à payer ! Pour maintenir l’intérêt d’un site forgé par l’homme au fil des siècles, tout d’abord mais aussi pour tenter d’atténuer l’impact de ses maladresses actuelles.
Aujourd’hui, le calme est revenu sur Rognac. L’étang est à nouveau « sous eau », martin-pêcheur, canard colvert et héron sont revenus. Le « Pont Madame » et donc un morceau d’histoire de Neupré ainsi que la cascade sont préservés pour les générations à venir. Les feuilles de l’automne ont recouvert les dernières traces des travaux…

A. COUWENBERG, M. DEFLANDRE. J. STEIN