0342. A propos de la « BRASSINE » …

En 1991, à l’occasion de la Journée du patrimoine, Mémoire de Neupré publiait une plaquette reproduisant des cartes postales de l’entité.

Parmi elles, une photographie de la « Brassine » (située à l’angle des rues Labay1 et Brassine en direction des Sept Fawes), accompagnée de la légende suivante:

« Autre fois, la Brassine était appelée ‘brèssène’, en français ‘brasserie’, c’est-à-dire un endroit où était fabriquée la bière. Cependant une expression liégeoise, tirée du dictionnaire de Jean Haust, ‘aler lodjî al grande brèssène’, signifie en fait ‘aller en prison’. (…) L’hypothèse de la prison pourrait être retenue si l’on fait référence au fait historique de 1562 quand les habitants d’Esneux sont montés à La Rimière pour y briser les portes de la prison ».

Brassine ou prison?

Au XVIème siècle existait à La Rimière la « maison brassine » où l’on pouvait « brasser ou faire brasser« . Son emplacement est précisé: la « brassinne de Labeau« ; un « cortil » non loin de là est ainsi localisé: « joindant damont a une piedsente (=chemin) tendans delle brassine de lad[it]e Rimiere az sept fawes daval audit grigoire et vers moese (=Meuse) a une maison qui ja fut (=qui jadis appartint) a charle dangoxhe ».

Elle est décrite comme suit: « La maison brassinne utencilles (=ustensiles) preis (=prés) bois et hayes appendices et app[ar]tenances… ».

Il s’agissait donc bien d’une brasserie située à l’endroit occupé par la Brassine d’aujourd’hui.

En 1572, le propriétaire en est connu: « n[ot]re c[on]frere Robert [dangoxhe] brasse[u]r de Labeaux« , qui fut effectivement « eschevin » puis « mayeur » de la Cour de Justice de la Rimière en Condroz de 1569 à 1579.

Dès le décès de Robert Dangoxhe en juillet 1592, deux familles, défendues par leurs « mambours et facteurs » (=représentants en justice), se disputent l’héritage: « la maison del brassinne ou icelle est situee et erigee item certain heritage (=possession) appelle le Railisses semblablem[ent] lheritage appelle Le vieu sarre et tout ce que led[it] Robert poroit avoir acqui… ».

Un long procès va opposer:

d’une part, la famille de sa première épouse, Aylid de Labeau, qui affirme qu’il lui a « este faict relieff (=qu’il lui a été fait don) » des biens en question « dedans lannee du trespas de feue Aylid de Labeau jad[is] espouze a feu Robert dangoxhe  » lesquels ont « estez acquis(…) en leur plainct siege de mariage »,

d’autre part, Jehenne de Bouresse, sa seconde épouse, qui entre-temps s’est remariée avec Jean delle Wiche.

La Cour de Justice de La Rimière reste indécise.

Elle cherche des mois durant dans ses archives: « déclarons navoir en nos pappiers et reg[is]tres trouvez aucun actes fais[an]t mention des relieffs » réclamés par les Labeau. Elle se renseigne auprès d’éventuels témoins: « avons dit et recorde (=attesté) disons et recordons navoir memoir ni cognoissance (=connaissance) [des reliefs] ».Une fois, elle se voit même obligée de reporter l’affaire parce qu’elle n’a pu réunir ses membres: « avons trouvez la cort sobre de membres sur quoy avons laffaire continue jusques a noz prochain plaix ».

En 1595, le litige prend un tour nouveau: « de fait avons este a n[ot]re coffre que tenons en cleffz (=sous clef)( …) et illecque(=là) feullete nos Reg[ist]rez et pappiers ». A force de fouiller dans ses « pappiers« , la Cour de Justice constate que en 1590, deux ans avant sa mort, Robert Dangoxhe a « rendu a stuyt » (=donné en location) sa « maison brassine/vasseaux/Jardins/preis/terres/bois/et hayes avecque ses aultres heritaiges… » à « honneste home henry delle haye », le mayeur de l’époque qui plus tard cédera son bail à son frère Grégoire.

Il ne semble plus exister de documents concernant l’issue du procès mais il ne fait aucun doute qu’il s’est conclu en faveur de Jehenne de Bouresse.

En 1598, Jean delle Wiche, son second époux, s’enquiert auprès de la Cour de « la manier (=manière) coment feu Robert dangoxhe avoit rendu et fait transport ap[ro]ffit de henry delle haye ou son frère de La maison brassinne« .

En 1606 et 1607, Jehenne « relicte (=veuve) de feu Robert dangoxhe » cède une partie des rentes payées par son locataire « grigoire delle haÿe » à Anthoinne, Wathier et Coune « enffans et orphelins audit feu Robert et par Luy de Legittime mariaige engendrez a corps de Lad[it]e Jehenne« .

En 1609, Grégoire delle Haye se décide à acheter la Brassine dont il a été si longtemps locataire…mais ceci est une autre histoire.

Paul DANGOXHE – novembre 1995.

Bibliographie:

– Plaquette réalisée par Mémoire de Neupré-septembre 1991-Imprimerie Larock ANS.

– AEL, Cour de Justice de La Rimière en Condroz, 1560-1634.

1    On trouve au XVIème siècle l’orthographe ‘brassinne’ ou ‘brassine’.

Labeau, Labeaux, Labea sont d’autres formes de Labay (cf Buteau,Butea, Butay dans l’article rédigé A-G K. « Le coin du toponymiste » page ).