0308. Joseph FILEE raconte NEUVILLE …

Un siècle d’histoire anecdotique de la Neuville-en-Condroz de 1840 à 1940. (7) Dessins Renaud BERTRAND

Après le chemin du Hock, en direction d’Yvoz, nous passons devant la ferme de Joseph. Celui-ci loue une de ses pâtures aux particuliers propriétaires de moutons ne disposant pas d’une prairie, moyennant une redevance annuelle de 50 frs par bête; pas bête notre fermier. Son voisin qui habite juste en face de la Croix Lucas, est un artisan du bois: c’est Dieudonné un ébéniste de talent, il a sculpté les têtes de bancs de l’église.


Encore une maison puis c’est la campagne du Champ des Bures avec, sur la gauche, la ferme Jamar. Un des fils Jamar, Lucien possède une machine à « batte ». A l’arrière saison, il se rend dans les fermes avec sa locomobile alimentée au bois et sa batteuse traînées par les chevaux de la ferme; ces derniers ont été remplacés plus tard par un tracteur. Pour mettre ce tracteur en marche, comme c’est un diesel, on préchauffe à blanc avec une lampe à naphte une sorte de grosse boule à l’avant de l’engin puis on lance le moteur : c’est spectaculaire. Mais ce qui l’est plus encore, c’est cette énorme courroie large comme une main d’homme et longue de plusieurs mêtres qui ondule mollement entre le tracteur et la batteuse. Mais ne vous y fiez pas elle aurait vite fait de vous happer un bras!.

Lucien possède une machine à « batte »

Tout autour de la batteuse, s’affairent hommes et femmes pour nourrir cette dévoreuse de belles gerbes blondes qui remplit de gros sacs de 100 kg de blé, de froment, d’orge ou d’épaûtre dans un nuage de poussière qui assèche bien des gorges. A l’époque, un Ha de bonne terre donnait de 15 à 20 sacs, maintenant on vous parle de 80, voir de 90 sacs…. et le surplus des engrais se retrouve dans nos ruisseaux!.

La ferme JAMAR

Mais demi-tour, car nous étions sur le territoire de la commune d’Yvoz(pendant la guerre, on écrivait Ivoz, c’était plus haut dans l’alphabet et le ravitaillement arrivait ainsi avant d’autres communes!).

Un « clitchet » (benne à bascule)

Nous repassons le quartier des « fonctionnaires » et nous voici chez les marchands de bois. Encore des maisons avec leur façade plein sud, séparées par d’étroits passages parfois couverts et souvent fermés d’une grille ou d’une porte. C’est d’abord l’atelier du charron Monsieur Hinger; là une série de grosses pièces de bois sèchent dans une sous-pente. Il façonne les grandes roues de bois que le forgeron cerclera de fer. Dans son atelier aussi vaste qu’un garage d’autobus et fermé d’une haute porte, un « clitchèt »(benne à bascule) avec ses hautes halettes, assemblé par tenons et mortaises chevillés, attend que son commanditaire vienne en prendre livraison. De plus, il a sous-loué une partie de sa maison à Clara qui tient le « petit bazar »: c’est ici que vous pouvez trouver aussi bien des clous que du fromage(« La Brouette », du hollande en grosses boules rouges qui est excellent puisque les souris y goûtent parfois), du fil de soie ou d’archal, barbelé ou non, des boutons, des bonbons et même du charbon, des petits cadeaux, des chapeaux, des anneaux et des rideaux, des sabots et aussi des photos cartes-vues si recherchées maintenant parce que chargées d’histoire. Et pour faire ses comptes, d’un revers de son tablier, notre Clara vous efface le comptoir en éternit qui lui sert de tableau pour y faire , à la craie, les additions les plus compliquées.

Ensuite nous avons les marchands de bois : les Daper et les Deville; l’une des maisons est ornée d’une potale. En face, en complément du « petit bazar », Gustine vous vend des fruits et des légumes pendant que son mari sillonne le pays avec sa charrette et son cheval qui seront remplacés plus tard par un camion pour desservir les villages des alentours. Cette maison est mitoyenne avec celle de chez Ernest le tailleur à façon et réparateur de machines à coudre Singer ou Neumann qui ont rendu tant de service à Sidonie ou à Fernande. Juste avant la Pavée (la place du village) vous voyez d’un côté la grosse maison du Notaire Wathelet dont la belle façade donne vers le sud sur un très beau parc et en face, le « Pré Mohons » construit plus récemment.

Ah! enfin la Pavée: c’est le centre du village.

Sur la gauche on entend Colas qui évide ses blocs de peupliers pour en faire des sabots; sa voisine fabrique des clous et a un de ses clients tout à côté: c’est Paul, le menuisier qui fabrique, toujours sur mesure et parfois même la nuit, le cercueil de la personne dont le glas vient d’annoncer le décès; entre temps Paul transporte les pigeons de concours chaque semaine en saison aux lieux de lâcher, et en plus il fabrique des manches de pelles et de pioches pour les charbonnages. Passée la voie du tram c’est le Delhaize et tout à côté un des seize débits de boissons alcoolisées reconnus et payant patente que compte le village.

Plus loin la « Roualette », charmant petit sentier qui rejoint le Hock et le Rognac, ensuite une vieille maison bien orientée, elle aussi, avec sa « bawette » côté nord et sur l’arrière; puis nous voici face à la grande allée du château, arborée et fermée de deux grandes grilles flanquées de deux plus petites toujours ouvertes pour les piétons, accrochées à d’énormes pilastres de pierre de taille.

… d’énormes pilastres en pierre de taille

Nous traversons la Poileuse Ruelle(la route d’Esneux) pour arriver à l’église, la petite place avec le monument aux soldats de 14-18, le presbytère, la banque et tous les autres commerces.