0697. L’Enseignement à NEUVILLE-en-CONDROZ

Par Joseph FILEE.

Il faut aussi que je vous décrive l’aspect de ces classes. Vous aviez d’abord un grand tableau en bois ou en schiste, de couleur noire (maintenant il est vert ou même blanc et les craies ont été remplacées par des marqueurs à l’eau sans parler des rétroprojecteurs ou des écrans de téléviseurs!). Il couvrait toute la longueur du mur.

Devant ce tableau, on pouvait tirer un rideau qui cachait ainsi le texte des dictées.

Au-dessus de ce tableau, sur une longue planche, trônait toute la série des mesures de capacité allant du double litre au centilitre en passant par les doubles et les demis sans oublier le décalitre et le hectolitre en tôle peinte en noir. Il y avait aussi toutes sortes de volumes, du cube au parallélépipède rectangle (ouf) en passant par toutes sortes de prismes droits ou non, tels les cônes, les pyramides et d’autres volumes au nom des plus bizarres comme : tétraèdre, octaèdre et autre icosaèdre!!.

Ceux-ci voisinaient avec un dm cube décomposable et quelques mesures en zinc. Vous trouviez aussi l’alphabet en lettres cursives, les minuscules et les majuscules à imiter parfaitement tout comme l’écriture du maître à la craie avec « les pleins et les déliés » qui couvrait le tableau noir.

Et plus haut encore, un grand crucifix flanqué de chaque côté non pas des deux larrons mais des portraits du roi et de la reine du moment.

Sur les autres murs, vous pouviez suivre un cours de savoir-vivre grâce à la série des panneaux didactiques représentant des scènes d’éducation morale: la petite fille qui aide ses parents, le garçon soigneux qui range ses objets, etc.

Vous aviez aussi les cartes de géographie qui se trouvaient roulées dans une sorte de coffre au-dessus du tableau.

Dans le fond de la classe, trônait le meuble massif en pichepin contenant la bibliothèque de classe et diverses archives; à travers les vitres du meuble vous pouviez apercevoir des bocaux contenant du formol où flottaient des animaux étranges parfois.

En face de l’estrade, vous aviez les rangées de bancs de trois hauteurs : les petits, les moyens et les grands (évidemment!). Très souvent ces bancs de chêne étaient à deux places mais certains comprenaient quatre, voire sept places, ils étaient quelquefois sans dossier ce qui permettait à certains de secouer le voisin de derrière quand on voulait le faire enr. … pardon, le taquiner!! Le pupitre avait dans le haut une rainure pour y déposer les crayons, le porte-plume, la touche, ainsi que le trou pour recevoir l’encrier en porcelaine blanche. Ce dernier contenait parfois des choses bizarres qu’on retirait du bout de sa plume « Ballon » ou « Henry » ou mieux encore, les « Sergent Major » les préférées car la double pointe en était arrondie. Certains de ces pupitres avaient un couvercle relevable sous lequel les filles trouvaient une pelote à épingles, couvercle à rabattre avec douceur parce que l’institutrice n’appréciait pas les retombées bruyantes.

A propos de cette préférence pour les plumes, je voudrais vous inviter à faire cette expérience. Vous prenez un porte-plume vous y placez une plume « Ballon » que vous trempez dans un encrier (pas trop!), ensuite, sur une feuille de papier (avec bois) d’un cahier de brouillon de 100 pages (ceux au dos desquels figurent les tables de multiplication) et vous écrivez en cursive, avec des pleins et des déliés le mot « Devoir » (avec la majuscule bien entendu!). Si vous n’avez pas fait cracher votre plume plus de trois fois aux lettres « D » majuscule et « e » minuscule, je vous donne … une image, une belle, en couleur!. Vous pouvez essayer, j’ai encore le matériel chez moi, je vous le prêterai volontiers.

Sur ce pupitre, nous placions notre ardoise en carton pour les plus pauvres et en pierre entourée d’un cadre en bois pour les plus riches, des cahiers aussi, à une ou à trois lignes selon que vous soyez chez les grands ou en première année, et les livres tantôt de lecture ou de grammaire, tantôt de calcul avec le « 2.200 problèmes« . Nous avions aussi le plumier en bois à un ou deux étages pour y ranger les crayons de couleur, les plumes dans une toute petite boîte, « l’use-bout » de crayon, la gomme mi-crayon mi-encre. Tout à côté, la boîte à pastilles « Valda » (publicité gratuite) avec un chiffon ou une éponge pour effacer l’ardoise: cette « loque » exhalait un parfum très caractéristique!! Certains n’avaient pas cette boîte alors … on crachait sur l’ardoise et on l’essuyait d’un revers de la manche de son tablier de cretonne noire.

J’allais oublier la mallette en cuir, qu’on utilisait toute sa scolarité et qui, munie de ses deux sangles, était portée au dos libérant ainsi les mains et qui bringuebalait quand nous courions.

Au centre de la classe trônait le poêle; cette grosse colonne en fonte protégée par un pare-étincelles où on mettait sécher ses gants. Par les grands froids, le maître arrivait parfois à faire rougir ce mastodonte pour amener un peu de chaleur aux élèves du fond de la classe. Il arrivait souvent qu’on y place les bidons à café préalablement ouverts (la chaleur dilate les corps!) ces bidons en fer des élèves très éloignés de l’école qui restaient « diner » (comme on disait). Bien entendu, il ne fallait pas oublier de recharger le foyer car lorsqu’on commençait à sentir le froid, généralement le feu vous avait quitté depuis belle lurette et il fallait procéder dare-dare à son « rallumage »!

Sur les appuis de fenêtres, les quelques géraniums de Madame passaient l’hiver tout en continuant à fleurir.

Pour vous confirmer cet inventaire, vous trouverez ci-dessous la :
«  Liste des objets formant le mobilier de l’école de Neuville en Condroz » (dressée le 19 janvier 1874).

  1. Dix bancs pupitres, à 7 places, 3m50 de longueur ( 5 encriers dans chacun).
  2. (Ndr On était prévoyant, 70 places!!). 2) Une table, avec tiroir, modèle adopté.
  3. Une chaise, en chêne, fond en canne.
  4. Une armoire, avec porte vitrée.
  5. Un christ, en bois, sculpté.
  6. Un grand tableau noir, de toute la largeur de l’école.
  7. Neuf petits tableaux noirs dans les trumeaux, etc.
  8. Le buste du Roi avec socle en plâtre. (Je suppose qu’il s’agit du Roi Léopold II qui est monté sur le trône en 1865).
  9. La statue de la Vierge , en plâtre, polychromée, avec socle.
  10. Un thermomètre, monté sur fonte.
  11. La collection complète des poids et mesures, avec caisse.
  12. Le portrait du Roi Léopold Ier, encadré.(Ndr: on est conservateur.)
  13. Un arithmomètre. (Ndr: un boulier-compteur peut-être?).
  14. Un appareil Level, pour la démonstration du système métriqu (Ndr: Ici, je ne vois pas!).
  15. Un poêle colonne, tuyaux et accessoires, bac en fonte, tisonnier, pincette et pelle.
  16. La carte de la province de Liège, par Dessain, celle de la Belgique, de l’Europe et la mappe-monde en deux cartes par Kips, la carte de la Palestine, illustrée par ….
  17. ( la signature devait être illisible ou écrite en hébreu?) vernie, collées sur toile et montées sur bâtons.
  18. 40 tableaux d’histoire sainte, vernis.
  19. Quatre collections complètes de tableaux d’histoire naturelle (les mammifères: 30 tableaux; les oiseaux: 30 tableaux; les plantes: 30 tableaux; les poissons, les mollusques, amphibies, insectes: 30 tableaux et une collection; les ustensiles, etc: 30 tableaux. (On ne parle pas des tableaux de « La morale par l’exemple ». C’est vrai qu’ils ont reçu la médaille d’or de l’exposition de Paris en … 1900, c’est trop récent!!).
  20. Deux escabeaux pour faciliter l’accès des tableaux noirs.
  21. Deux trépieds pour suspendre des cartes géographiques.
  22. Des porte-manteaux dans le vestibule.
  23. Trois stores en coutil rayé, devant le tableau noir et deux id. aux fenêtres; cinq glands en fonte pour les stores.
  24. Trois cadres pour règlement, tableau d’occupation et programme.
  25. 24) Deux quinquets à pétrole avec suspensoirs.
  26. Une cloche avec chaîne en fer.

Le mobilier est neuf, il a été placé en janvier 1872; Tout est en bon état à l’exception de la cloche qui est fêlée depuis plus d’un an pour cause de suspension vicieuse. (Ndr: une remarque un peu caustique de l’Instituteur à l’adresse de son Collège!).
Neuville en Condroz, le 19 janvier 1874. (signé) L’Instituteur Cal. Alph. Regnier. ( et un ajout au crayon, non daté) En plus, un tableau des oiseaux insectivores, verni. Un programme des leçons, verni. Une boîte contenant le doryphora.(ici débute l’invasion des premiers doryphores!)