1595. Une histoire des téléphones et des télégraphes

Une histoire des téléphones et des télégraphes :
de l’universel au particulier.

Alain-Gerard KRUPA

  1. Introduction générale

C’est le 14 février 1876 que l’Américain Alexander Graham Bell dépose le brevet de son invention. En France, l’année 1880 voit la création de trois compagnies privées qui fusionnent (déjà) pour donner naissance à la Compagnie générale du téléphone.

Le 24 février 1887 à 8 heures, c’est la première correspondance téléphonique Paris-Bruxelles. La première ligne transatlantique Londres-New York est ouverte le 7 janvier 1927.

Quant au télégraphe, après celui par signaux aériens de Claude Chappe en 1793, c’est Charles Wheatstone qui invente en 1837 le télégraphe par signaux électriques tandis que c’est Samuel Morse qui met sur pied la première ligne télégraphique la même année et envoie le premier message en 1844.

Alphabet des signaux de télégraphie optique inventé par le français Claude Chappe durant la révolution (1794)
  1. La genèse de cet article

Avant tout, ce texte n’est pas une redite de l’article publié il y a déjà quelques années par Rolande Bertrand1. C’est une autre exploration d’une belle histoire et qui apporte des compléments d’information à ce qui a déjà été écrit.

Lors d’une découverte à l’occasion d’une de mes pérégrinations « brocantesques», je découvre un « Indicateur officiel des Téléphones et des Télégraphes », en l’occurrence le volume IV (zones de Liège, Arlon, Barvaux, Bastogne, Eupen, Huy, Libramont, Malmedy, Marche-en-Famenne, Trois-Ponts, Verviers, Virton et Waremme) de l’année 1953. Il y a donc 53 ans ! Et c’est le bon puisque nos villages y sont répertoriés. Dès lors, je ne puis m’empêcher de l’acquérir (un euro), de l’éplucher et de suggérer un article abondant en surprises, découvertes et informations.

3. Une année de transition

Non seulement 2006-1953 = 53 ! Mais qui plus est 1953 correspond à une année essentielle dans l’histoire belge de la téléphonie. En effet, le 24 octobre 1953 à 14 heures, 2000 abonnés du réseau de Liège sont raccordés à une nouvelle centrale automatique !

A partir de ce moment, les numéros d’appel de ces abonnés sont modifiés. Les mentions de ces abonnés figurent pour la dernière fois avec leur nouveau et leur ancien numéro. C’est ainsi que pour les réseaux de Liège, Aywaille, Comblain-au-Pont, Engis, Esneux, Fexhe-le-Haut-Clocher, Micheroux, Trooz et Visé, il faut former le numéro d’appel de l’abonné. Par contre, pour Anthisnes, Bassenge, Blegny, Louveigné, ROTHEUX-RIMIERE, Sprimont, Verlaine, Villers-l’Evêque et Warsage, il faut former le numéro mentionné en regard du nom du bureau intéressé. A l’agent qui répond à l’appel, il faut encore indiquer le numéro du correspondant. Mais pour la première fois, Rotheux-Rimière hérite du 04/71.44.22.

  1. Des renseignements généraux

En 1953, la Belgique est divisée en cinq zones : Bruxelles (I), Gand (II), Anvers (III), Liège-Luxembourg (IV), Mons, Charleroi, Namur (V). Chaque tome (5 parties) représente la division en zones (ex. Eupen, Huy, Barvaux ou Libramont). Chaque zone est divisée en secteurs (ex. Rotheux, Houffalize, Spontin ou Mouscron). Ajoutons enfin qu’il existe des bureaux téléphoniques, centres de zones (ex. Liège, Verviers, Bastogne ou Arlon) et des bureaux téléphoniques (ex. Rotheux, Esneux, Sprimont ou Anthisnes).

Parlons à présent des secours (hulp in Vlaanderen). D’abord en cas d’incendies graves, d’explosions, d’inondations, de sinistres de toutes natures il faut donner votre numéro de téléphone au poste que vous alertez. Sur le territoire belge, il faut appeler le Corps National de Secours qui intervient à la requête d’une autorité civile ou militaire. Pour un SOS urgent il faut former le 34.80.97, le 34.80.98 ou le 34.80.99…la maison a le temps de brûler ! En cas d’accident d’avion, il faut aviser l’aérodrome national de Bruxelles au 12.88.05 ou les postes de secours les plus proches (police, pompiers, gendarmerie).

Et là rien n’est simple non plus ; il faudrait presque un mini bottin téléphonique dans son portefeuille… Ainsi, par exemple, dans la région de Liège, pour appeler les pompiers il faut faire le 23.23.21 mais à Seraing, le 34.09.53, à Herstal le 66.09.73, à Jemeppe le 33.94.39 ou encore à Flémalle le 33.94.39. Si la catastrophe a lieu à Sclessin, on est perdu ! Si on veut appeler la police dans cette même zone on a plus de chance car il y a 14 numéros à retenir. Pour Sclessin, cela se complique puisque on peut appeler Tilleur, Saint-Nicolas ou encore Montegnée ! Quant à la Gendarmerie, c’est plus simple, mais ils arriveront moins vite car les bureaux sont situés à Chênée, Fexhe-Slins, Flémalle-Haute, Fléron, Hollogne-aux-Pierres et Wandre. Le temps de choisir et notre maison est en cendres…

  1. Particularités linguistiques

Allo ! Je ne vous entends pas. Articulez SVP ou plutôt épelez le nom que vous voulez me donner. Là aussi, il faut respecter les consignes et l’indiquer dans son petit bottin. Arthur, Bruxelles, Caroline, Désiré, Emile, Frédéric, Gustave, Henri, Isidore, Joseph, Kilogramme, Léopold, Marie, Napoléon, Oscar, Piano, Quiévrain, Robert, Suzanne, Téléphone, Ursule, Victor, Waterloo, Xavier, Yvonne, Zéro. Bref, imaginez devoir épeler le nom du cousin Arthur-Valentin Vandepyperzeele de Wezembeek-Oppem ! Soulignons aussi que les mots usités sont évidemment quasi les mêmes en néerlandais… Ainsi, quand il y a doute sur l’audition d’un mot, il convient de l’épeler en disant Marie Emile Marie Oscar Isidore Robert Emile Désiré Emile Napoléon Emile Ursule Piano Robert Emile (tout cela pour mémoire de Neupré !).

  1. Le monde à portée de cornet !

Les relations téléphoniques sont évidemment ouvertes avec tous les pays européens et même mondiaux, à l’exception de l’Albanie. Les taxes diffèrent évidemment suivant les pays en relation.

Par exemple, pour une période de trois minutes, on paie 24 francs pour Lille, 93 pour Berlin, 174 pour Gibraltar, 192 pour Helsinki et même 198 pour le Vatican (ils ne perdront jamais le nord…). Quand il s’agit de communications « urgentes », double tarif, quand elles sont « éclair », triple tarif, on va quand même pas se gêner surtout quand grand-maman est mourante et qu’il faut expliquer en détail ce qui est arrivé… Mais examinons aussi les pays « extra-européens » car si vous avez une communication éclair à destination de la Bolivie, il vous en coûtera 3006 francs ! Par contre, si vous souhaitez téléphoner en Chine, en Mongolie, ou au Vietnam, c’est impossible. Par ailleurs, je vous conseille la Nouvelle-Zélande (480 francs), le Congo belge (294 francs) ou encore les Açores (288 francs). Il est même possible de téléphoner à des bateaux soit par l’intermédiaire de la station d’Ostende, soit par celle d’Anvers,… cela dépend d’où le bateau est parti ! Avec un bateau étranger, je cite : « la taxe varie suivant la nature du bateau et la distance à laquelle il se trouve » (sic). Sans blague… Les paquebots sont évidemment accessibles comme les belges Albertville, Armand Grisar, Baudouinville, Charlesville, Copacabana, Elisabethville, Gouverneur Galopin, Léopoldville ou Mar del Plata. Les paquebots américains, britanniques, français, italiens, néerlandais et même norvégien (le Oslofjord, très cher au-delà de 35° de longitude ouest).

  1. Un annuaire exhaustif

Comme chacun d’entre vous s’en doute, les renseignements contenus dans l’annuaire sont d’une précision d’horloger. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de payer. Tarifs téléphoniques, abonnements, appareils accessoires (commutateur à manettes, microphone de poitrine, cordon à deux fiches, annonciateur, générateur magnétique, vibrateur d’appel,…), communications de toutes nature à l’intérieur du pays ; tous ces services font grimper votre facture de façon impressionnante. Téléphoner est un luxe. Quant aux indications techniques figurant sur les fiches annexées aux relevés de compte des abonnés, elles comprennent sur le ticket l’indicatif interurbain, le numéro appelé, le numéro appelant, la taxe unitaire par trois minutes, l’indication de service, la date, l’heure précise, le nombre de minutes de communication. Quant aux services spéciaux, n’hésitez pas à les utiliser mais faites-le à dosage homéopathique car que ce soit le service de réveil (achetez plutôt un réveil), le service des « abonnées absents » ou l’horloge parlante (achetez une bonne montre), ils entraîneront votre facture mensuelle vers des sommets alpins voire himalayens.

Plus on paye, plus on a de renseignements. Ainsi, l’adjonction d’un texte nécessitant l’emploi d’une ou plusieurs lignes de texte supplémentaires, l’insertion de mentions supplémentaires sous des vocables désignant son commerce ou son industrie, le grossissement de son inscription ou d’une partie de celle-ci au moyen de grandes lettres, l’inscription d’une mention concernant une tierce personne habitant le même immeuble… Quant aux annonces et réclames, gérées par la firme « Publi-télé » elles varient selon la demande, de la petite annonce à 1.000 francs (8 lignes de texte) à la page entière (21.000 francs par volume…), tout est possible. Notons que la Banque de Paris et des Pays-Bas (future) Paribas investit en demi-page et que (il faut le supposer) l’entreprise la plus florissante sont les macaronis Soubry (seule pleine page).

  1. Des recommandations originales et particulières

En page 39 de l’annuaire, une page spéciale en corps grands et gras donne des renseignements et des informations essentielles. Si vous appelez d’un poste automatique, formez votre numéro avec soin. Répondez immédiatement aux appels en énonçant votre numéro ou votre nom. Si, par suite d’un encombrement, l’un des services spéciaux ne répond pas immédiatement, ne raccrochez pas prématurément pour renouveler vos appels, sinon le bénéfice de votre première attente est perdu. Enoncez vos demandes de la manière la plus concise. Ne vous servez pas du téléphone pendant un orage. J’en passe et des meilleures…

  1. Retour à Rotheux

Après ces pérégrinations à travers les règlementations officielles, techniques et pratiques, il est temps de revenir à la maison, à Rotheux en particulier puisque Rotheux-Rimière possède un bureau téléphonique central. Il rassemble les abonnés de Petit-Berleur, Tavier, Ehein, Saint-Séverin, Neuville-en-Condroz, Plainevaux, Limont, La Vaux, Bonsgnée, Rimière, Englebermont, Nandrin, Cokaipré, Sotrez, Berleur, Yvoz, Angoxhe, Fraineux, Ramet et Rotheux.

Les numéros de 1 à 10 sont : Administration communale de Rotheux (1), Hôtel Neupré , Paquay (2), Café du Centre de Limont, Jules Pirlot (3), Jules Aerts de Berleur (4), le château de L. Braconier (5), les cultivateurs Deville-Wathieux à Sotrez (6), le 7 est inconnu au bataillon, le 8 c’est chez de Villenfagne à Saint-Séverin, tandis que le 9 appartient à J. Gony, agent de change à Neuville et le 10 à personne ! Le 13 est le numéro de l’assureur Clovis Parent. On dénombre 270 numéros au total (moins ceux qui ne sont pas attribués). Trois médecins sont inscrits : Léon Pierquin à Plainevaux (269), Albert Souris (56) et Denis Varlet (tous deux de Rotheux). On peut se faire coiffer chez Prosper Antoine (132), Marcel Briers (148), ou chez Peeters (255) à Neuville. Si on a soif, on a le choix : Madame J. Aimont (101) est liquoriste, Laurent Berger tient le café Bodega (77) à Plainevaux, Julia Daper vous sert au café du Bon Accueil à Neuville, A. Lacroix vend des vins et des spiritueux (178) à Saint-Séverin, Léon Leroux tient son café (190) et une quincaillerie !, tandis que Jules Pirlot est installé à Limont , au Café du Centre (3) tout comme la veuve Servais (228), limontoise aussi.

En bref, on trouve de tout, quatre curés, des boulangers, des bouchers-charcutiers, des garagistes (cinq), des cultivateurs, des fermiers, une accoucheuse, des assureurs, des menuisiers, un notaire, des meuniers, et même un représentant en … VIA…KA ! ( ?)

Pour terminer, prévenons le lecteur que si il souhaite faire apparaître une mention, il vaut mieux qu’il s’adresse à la Régie des T. et T. et non à l’imprimeur… Cela aussi il fallait l’inventer !

1 Les Cahiers de jadis : N°9 p267 et suivantes,

N°11 p 357.